Levée du secret bancaire : les tractations avec Bruxelles dans l’impasse

Pour lutter contre la fraude fiscale internationale, le Maroc s’était engagé à appliquer la convention sur l’échange automatique des données bancaires à des fins fiscales à partir du 25 septembre prochain. Mais après l’échec du processus de ratification de ce texte au Parlement, au motif qu’il aurait exposé les MRE à de lourdes sanctions financières, les autorités cherchaient un plan «B». Or, les négociations avec l’Union européenne sont dans l’impasse. Au dernier décompte, 207,2 milliards DH appartenant à la diaspora marocaine, sont logés dans les banques au Maroc.
Sur les 207,2 milliards de dirhams (MMDH) que détenaient les MRE à fin 2024 dans les comptes bancaires au Maroc, très peu seraient déclarés dans leur pays de résidence. L’an dernier, ces dépôts ont enregistré une hausse de 1,8%, portés par le rebond des dépôts à vue et des comptes d’épargne de, respectivement, 3,7% et 2,5%, indique la direction de la Supervision bancaire (DSB) de Bank Al-Maghrib.
Dans plusieurs pays européens, notamment en Belgique, aux Pays-Bas et en Italie, la détention d’actifs financiers et de biens immobiliers par les MRE au Maroc alimente un vif débat politique, suscitant même quelques «fantasmes». Au cœur de la controverse relayée par la presse locale, l’existence de «passagers clandestins» qui profiteraient indûment du système de sécurité sociale et de logements subventionnés.
La convention OCDE/G20 sur l’échange automatique des données bancaires à des fins fiscales – que le Maroc s’était engagé à appliquer à partir du 25 septembre 2025 -, était un signal politique du Royaume dans sa volonté de s’impliquer activement dans la lutte contre la fraude fiscale internationale. Techniquement, tous les outils sont prêts, confie une source proche du dossier.
Concrètement, la mise en œuvre de l’accord G20/OCDE aurait fait voler en éclats le secret bancaire sur les actifs bancaires et financiers que la diaspora marocaine détient au Maroc. Rabat avait opéré un rétropédalage inattendu à la suite de l’arrêt du processus de ratification du texte au Parlement.
Les autorités se trouvaient face à un choix cornélien : soit elles appliquent la convention OCDE, auquel cas le secret sur les actifs bancaires des MRE serait levé. Soit, comme c’est le cas, le Maroc prend le risque de se voir placer sur la liste dite des «territoires non-coopératifs», la liste noire des paradis fiscaux, à moins que les tractations en cours avec Bruxelles ne débouchent sur un schéma «satisfaisant».
Concrètement, figurer sur cette liste signifie une hausse des coûts de conformité pour les banques marocaines et des difficultés d’accès à certains programmes de financement de l’Union européenne. Rabat a informé ses partenaires (l’OCDE et l’UE) des difficultés rencontrées dans le cadre de la ratification de l’accord, et qu’il s’agissait désormais d’un problème politique.
Le ministre délégué au Budget s’était engagé à reprendre les négociations en vue de réviser les dispositions de cet accord de manière à obtenir un nouveau calendrier de mise en œuvre, à défaut d’une dérogation. Mais selon les informations des Inspirations ÉCO, aucune avancée n’a été réalisée dans ces tractations avec l’Union européenne, menées par une équipe multidisciplinaire composée de diplomates et de hauts fonctionnaires, côté marocain. «C’est désormais l’impasse», redoute une source proche du dossier.
La ratification de la FATCA, comme une lettre à la Poste
A contrario, la redoutable loi américaine FATCA, plus contraignante, n’avait pas posé les mêmes difficultés, sa ratification au Parlement étant passée comme une lettre à la poste. Comme à leur habitude, les États-Unis, qui ne sont pas signataires de l’accord d’échange automatique d’informations bancaires à des fins fiscales, avaient menacé de couper le tuyau du dollar aux pays qui n’appliquent pas cette convention, obligeant les établissements financiers et les sociétés de gestion d’actifs partout dans le monde à déclarer au fisc américain (à partir d’un certain seuil), les avoirs des personnes ayant qualité de contribuable aux États-Unis.
Par exemple, le fait de détenir une green-card tout en vivant au Maroc vous assimile à un contribuable américain. Les six millions de MRE, qui redoutaient que les informations qu’aurait communiquées la DGI ne soient recoupées avec leurs déclarations d’impôt dans leurs pays de résidence, avaient obtenu l’unanimité du vote contre l’accord OCDE à la Chambre des représentants.
Selon cet accord, l’administration fiscale marocaine peut recevoir, sans le demander, un rapport sur les avoirs «dissimulés» dans un État signataire de l’accord OCDE/G20. Plus un détail ne pouvait échapper à ses radars.
Dans l’autre sens, le Maroc devrait communiquer les données (soldes) des comptes bancaires et les détails sur les actifs financiers détenus par les non-résidents aux pays étrangers qui les lui demanderont. Afin de se mettre en conformité avec la loi américaine FATCA en prélude à l’application de la convention G20/OCDE, la Loi de finances 2018 avait inséré une disposition (article 214-5 du CGI) prévoyant que banques et compagnies d’assurance sont tenues de mettre en place les diligences pour l’identification des personnes concernées et la communication des informations relatives à leurs comptes et aux flux financiers les concernant dans le cadre de l’échange automatique d’informations.
Sont en première ligne dans l’offensive contre l’évasion fiscale internationale, les banques, les sociétés de gestion de l’épargne, les OPCVM, les compagnies d’assurance, les sociétés et leurs bénéficiaires effectifs (ndlr : la loi impose à toutes les entreprises de déclarer leurs bénéficiaires effectifs dans un registre centralisé au ministère des Finances).
Les informations à communiquer par le fisc
Si votre banque à l’étranger vous soupçonne d’avoir une résidence de complaisance, elle peut transmettre les informations sur votre compte au pays dont vous détenez le passeport. Par exemple, vous avez un passeport marocain mais une résidence (fiscale) en Côte d’Ivoire, la banque étrangère, dont vous êtes client, peut estimer que votre résidence n’est pas «réelle» et transmettre vos données à la Côte d’Ivoire et au Maroc.
Dans l’autre sens, la banque peut également remettre en cause votre deuxième passeport et remonter vos données à votre nationalité d’origine. Quelles informations seront communiquées par les banques ? L’identité des titulaires non-résidents et bénéficiaires de comptes bancaires : nom, prénom, numéro de passeport et coordonnées du détenteur, numéro de compte, soldes du compte, intérêts perçus, produits de cession de valeurs mobilières, etc. Les données transmises incluent notamment les références des comptes, les revenus, les plus-values et les soldes.
Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO