Le savant féerique

Il a la sensibilité de l’artiste écorché vif et la rigueur du scientifique à la tête sur les épaules. Il met les sciences au service de l’art ou l’art au service de la science presque de façon innée et naturelle. Il s’agit de Hicham Berrada, artiste qui expose à Culture Interface pour la première fois, individuellement, à Casablanca du 14 octobre au 19 novembre des œuvres qu’il regroupe dans «Ellil». Attention, âmes sensibles, ne surtout pas s’abstenir…
Hicham Berrada est sûrement dans un monde parallèle où les sciences et l’art vivent un mariage des plus heureux. Il visualise ce que l’on ne visualise pas, il semble vivre dans un monde féérique que l’on ne connaît pas encore. Il anticipe, pense à du beau et l’offre à qui veut en profiter. Entre poésie et équations, entre magie et concret, Hicham Berrada mène sa propre danse : un beau compromis entre les deux mondes. «Dans l’ensemble de mon travail, le fil conducteur, c’est de travailler comme un peintre pourrait le faire en changeant la conscience qu’il pourrait avoir de la peinture sur toile par la connaissance physique, pouvoir agir sur le réel, comme un peintre le ferait en faisant apparaître l’image», confie le scientifique passionné d’art depuis toujours.
Il l’avoue, il n’a de scientifique que son baccalauréat. Et pourtant, il se permet de détourner des méthodes scientifiques à des fins culturelles. Il puise dans la science, dans le mouvement et cette obsession de temporalité pour créer des ponts entre le réel et le féérique. «En tant qu’artiste, j’essaie de me positionner uniquement comme un régisseur d’énergie et d’être uniquement celui qui, au sein du réel, fait que certaines forces, certaines énergies se retrouvent à un moment donné, à un lieu donné». C’est exactement ce qu’il propose dans «Ellil», une exposition d’une finesse déconcertante, sophistiquée et bien pensée tout en étant bluffante de simplicité, qui incite le public à voyager tout en se questionnant sur la vie, la nature, le temps. «La science vient comme un outil pour pouvoir intervenir sur le réel mais le but est toujours uniquement pictural», avoue Hicham Berrada qui plante le décor avec une vidéo baptisée : «Les oiseaux», qui immortalise un des endroits clés de la Villa Médicis où il a eu la chance de faire une résidence d’un an.
Le plasticien fou filme tout en figeant un moment au lieu de se contenter de peindre l’endroit comme la plupart. Il le peint à sa manière en déversant de l’énergie à un endroit donné afin de créer un rassemblement d’oiseaux qui tournent autour de la lumière. À peine remis de l’émotion procurée par cette installation, que les yeux sont détournés par la vue d’un ensemble à la fois attirant et dérangeant : 15 dessins inédits, intitulés paysages, réalisés avec des produits chimiques sur plaque chromatographique, créant ainsi des images allégoriques et fantastiques comme si l’artiste questionnait le rapport de l’homme à la nature via le paysage, mais tout ceci n’était que le prélude d’une expérience étonnante, celle qui compte faire vivre avec son oeuvre majeure : Mesk Ellil montrée dans la salle principale de l’espace Cultures Interface. Expérience sensorielle offerte par la plante qui a l’odeur la plus forte de toute la sphère végétale, cette installation est une façon pour l’artiste de jouer avec la temporalité en inversant le cycle jour-nuit. 50 plans de Cestrum Nocturnum baignés dans une lumière bleue nuit pour leur permettre de vivre autrement.
Cette installation présentée à la Biennale de Lyon 2015, lui a valu le prix de l’artiste francophone décerné par la ville de Lyon. Plus loin, le rapport au temps est exploité encore une fois avec «Mon château», une installation-sculpture en acier submergée dans 200 litres d’eau, qui évoluera tout au long de la durée de l’exposition par la présence d’oxydation du métal, dont l’artiste change le processus comme s’il pouvait prédire l’avenir en accélérant le vieillissement du matériau. L’exposition se termine sur une vidéo de 2 min à visualiser dans une chambre noire, une sorte de rappel de tout ce qui s’est vu mais surtout un sommaire du talent du jeune artiste. Il fige le temps de cette forme attaquée par différents jets d’air haute pression, puis laisse apprécier le mouvement d’une fleur, qu’on ne peut pas apprécier avec un regard humain. L’ensemble de la vidéo dure un tiers de seconde en temps réel. «Dans histoire de l’art, les peintres ont peint une nature figée. J’essaie de peindre une nature en mouvement». Ce qui est sûr, c’est qu’avec son exposition «Ellil», il propose une œuvre qui ne se contente pas d’être regardée puisqu’elle se vit.