Maroc

«La hausse des droits de douane ne permettra pas de renflouer les caisses de l’État»

Adil Bennani, Président de l’Aivam

Les Inspirations ÉCO : Selon le PLF 2018, les droits de douane sur les produits asiatiques augmenteraient de 17,5 à 20%. Comment avez-vous accueilli cette annonce ?
Adil Bennani : Froidement ! D’abord, nous nous y attendions pas du tout, car nous avons un processus continu de discussion avec les pouvoirs publics. Du coup, nous sommes généralement informés d’une manière formelle ou informelle des mesures qui sont en gestation. Or, dans le cas présent, il n’y a pas eu du tout de concertation. Nous avons compris par la suite que cette décision a été prise dans l’urgence. Personnellement, je pense que ce n’est pas une bonne mesure tout simplement parce qu’elle n’atteindra pas son but qui est de renflouer les caisses de l’État. Prenons un exemple simplifié : sur la base d’une valeur 100 pour 100 véhicules vendus, l’État collecte 17,5%, ce qui fait 1.750. Demain, on collectera 20%, mais on ne les collectera que sur 80 véhicules vendus donc sur une base de (80×100) 8.000, ce qui nous donne 1.600 en droit de douanes (8000×20%). Du coup, les importateurs de véhicules asiatiques vendront moins, l’État gagnera moins en droits de douane sans compter le manque à gagner en TVA qui sera, elle aussi, impactée par cette mesure du fait que les véhicules asiatiques de même segments sont plus chers que les Européens et donc générateurs de plus de TVA.

Jusqu’à quel degré cette hausse pourrait nuire à l’activité des importateurs de véhicules asiatiques ?
Déjà, les importateurs de véhicules asiatiques font suffisamment d’efforts sur leurs marges pour essayer de minimiser l’impact du différentiel de 17,5% qui les sépare avec les marques européennes mais si l’on passe à 20%, il devient encore plus difficile d’absorber ce gap et du coup, ces 2,5% s’ajouteront directement sur le prix final. Aujourd’hui, sur bien des segments nous ne sommes déjà pas compétitifs du fait des 17,5% de droits de douane et nous le serons encore moins si l’on passe à 20%. Nous estimons entre 20 et 25% la baisse de nos ventes sur les modèles qui seront impactés par cette hausse là, d’où l’exemple précité. Hormis les recettes fiscales, il y a les sorties de devises. Souvent un véhicule asiatique est plus cher à la sortie (prix de vente public) du fait de la taxation alors qu’à l’origine (prix d’achat) il coûte moins cher. Vendre moins d’asiatiques veut dire plus d’européennes et par conséquent à volume égal, le Maroc sortira plus de devises, ce qui n’est pas intéressant pour la balance commerciale. Je ne pense pas que ce soit l’objectif de la mesure !

Qu’allez-vous faire concrètement pour sensibiliser les pouvoirs publics sur les retombées négatives qu’aurait cette mesure si elle est adoptée ?
Nous avons déjà sensibilisé les différentes ambassades des principaux pays concernés à savoir, le Japon, la Corée et la Chine. Comme vous le savez, cette mesure ne s’applique pas uniquement à l’automobile, mais bien à tous les produits non-européens. Sauf que dans certains secteurs où les produits atteignent 40% de marge, l’impact est minime lorsque vous ajoutez 2,5% de droits de douane. En revanche, dans un secteur comme le nôtre où la marge moyenne est de 12 ou 13 points, une hausse de 2,5% en droits de douane devient conséquente. Elle l’est même encore plus pour les importateurs qui sont concernés par la tranche 25-30% qui touche certains utilitaires asiatiques et ces derniers seront, eux aussi, encore moins compétitifs que leurs concurrents européens «taxés» à 0%.

Oui, mais concrètement, quelle action pourrait être entreprise par l’Aivam ?
D’abord, ce n’est pas une problématique qui se traite au niveau de l’Aivam, car elle ne concerne pas l’ensemble de ses membres. Prêcher pour une direction ou une autre risquerait d’aller à l’encontre des intérêts de certains membres. Or, dans notre association, nous défendons les causes qui vont dans l’intérêt de tous les membres. Cette problématique s’inscrit plutôt dans le cadre du Givet (NDLR : Groupement des importateurs de véhicules pour l’équité tarifaire) qui continue son action pour atteindre les niveaux pratiqués en Europe, à savoir 10%. Même qu’avec certains pays asiatiques, ce 10% est en cours de démantèlement progressif sur 8 à 10 ans. Vous savez, cette mesure va un peu à contresens de l’histoire et même contre les recommandations de la Banque mondiale qui prône un allègement des droits de douane et pour lesquelles le Maroc s’est engagé.

Aurait-il été possible de trouver une autre façon, voire une énième taxe pour aider l’État à renflouer ses caisses ?
Bien entendu. Si les pouvoirs publics nous avaient ouvertement sollicité pour avoir un surplus de recettes fiscales en provenance du secteur automobile, nous aurions alors débattu de la question dans nos instances et présenté des propositions plus justes et équitables à l’égard de l’ensemble des membres. Sans vouloir être critique, je pense que plus de concertations avec les secteurs majeurs de notre économie (surtout quand ils disposent d’instances de représentation de qualité) serait très bénéfiques des deux côtés dans l’élaboration de la loi de Finances.

Qu’en est-il des mesures d’encouragement aux véhicules hybrides et électriques ?
Sur ce volet, nous avons également soumis un nombre de mesures et sensibilisé sur la question écologique. Nous aurions souhaité avoir des décisions politiquement plus courageuses, surtout dans une année post Cop-22. Nous aurions souhaité aussi que les départements ministériels concernés soient plus proactifs dans leur démarche. Pour ne rien vous cacher, nous avons eu une écoute très attentive de la part du ministre Aziz Rabbah, j’ai grand espoir que ses équipes suivent. La question environnementale et de raréfaction des ressources n’a jamais été autant d’actualité. Il est temps que le Maroc, à ce niveau, ne navigue pas à contre-courant, mais cela dit, je reste optimiste.



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