L’artiste qui donne du sens à la matière

La plasticienne marocaine Ghizlane Sahli propose un travail en deux temps, «Incubation/Genesis», à la Galerie de l’Institut français de Rabat du 19 janvier au 25 février. Tel un double «je», elle y présente un univers à la fois onirique et poétique. Zoom.
Entre Incubation et Genesis, Ghizlane Sahli invite tous les curieux et les amoureux de l’art à explorer son monde onirique et poétique à travers un prisme qui décompose son œuvre. De la particule la plus élémentaire, l’Alvéole, l’œil vient à englober ce Tout» qu’est le Cube. L’artiste explore la transformation de la matière. Elle ramasse et collecte des déchets qu’elle métamorphose en les brodant avec de la soie. Avec l’aide de femmes artisans, elle a conçu l’Alvéole, broderie tridimensionnelle faite à partir de fonds de bouteilles de plastique et de fil de soie. Elle aime ainsi exalter la matière et lui donner du sens. Genesis développe l’Alvéole, tel un atome dont l’accumulation compose la substance. La série dévoile, à travers un zoom, le processus d’incubation qui génère l’œuvre.
L’Alvéole, déchet de plastique, étouffée par la soie, respire dans son nouvel état. Elle s’accroche sur le grillage métallique qui forme la matrice de l’œuvre. Les alvéoles s’accumulent et se déploient de manière organique et parfaitement aléatoire. Elles forment ainsi des pans de vie, qui vibrent au rythme de l’énergie dégagée par les déchets détournés et régénérés, constituant une nouvelle forme, unique. Le Cube forme le Tout. Il y a changement d’échelle. On passe du microcosme de l’Alvéole (particule) au macrocosme du Cube (univers). Au noir et blanc originel vient s’ajouter le rouge. La Lettre, la Terre, la Lumière apportent leur part de connaissances, de mémoire et de connexion au tout. La forme primitive organique pure a désormais une identité. Avec Genesis, Ghizlane Sahli propose un travail organique et évolutif. À partir de la particule la plus élémentaire qui compose son univers, elle va nous dévoiler, comme à travers un microscope, le processus d’incubation qui va générer ses œuvres. Le travail commence par une alvéole, un déchet récupéré qui va se régénérer, se transformer, évoluer, proliférer par accumulation pour composer des tableaux organiques vivants. Ces alvéoles, formées de bouteilles de plastiques issues de déchets composés d’une matière industrielle, sont étouffées par le fil de soie, matière végétale naturelle, empruntant ainsi une autre destinée.
Cette transformation de la matière est une métaphore de la vie. Les alvéoles viennent ensuite s’accrocher au grillage, squelette de l’œuvre. Ce squelette se pose, dans un premier temps, sur une matrice formée de fils multidirectionnels qui donne naissance aux alvéoles. Puis l’œuvre s’affranchit de la matrice, et se régénère librement. Chacune des bouteilles, en fonction de l’état où se trouvait la personne qui en a bu, apporte une énergie différente. Toutes ces énergies accumulées participent à la singularité de l’œuvre et de son histoire. Elles lui confèrent ainsi sa forme organique unique. Un travail débordant d’humanité que propose cette artiste, née à Meknès en 1973. Après des études en architecture à Paris, Ghizlane Sahli, Marocaine de mère espagnole, rentre au Maroc et s’installe à Marrakech. Passionnée de broderies et de tissus, elle ouvre un atelier de création textile où elle s’entoure d’artisans. Ceux-ci l’initient à différentes méthodes traditionnelles de broderies.
L’artiste baigne dans cet univers pendant sept ans. Elle reçoit le prix de la création aux «Trophée Couleurs» en 2009. En 2013, la plasticienne crée pour un magazine une robe faite à partir de sacs-poubelle, de bidons, de bouteilles plastiques, le tout issu de réels déchets. Elle décide de fermer son atelier de broderie et de se consacrer à la création artistique pure. Elle forme, avec sa sœur et deux amis photographes, le collectif Zbel Manifesto qui travaille essentiellement au moyen de déchets. Aujourd’hui, Ghizlane Sahli poursuit ses travaux avec l’aide de femmes artisans. Elles recherchent ensemble de nouvelles manières de manier le fil de soie. Elle imagine des mondes poétiques et oniriques où elle peut expérimenter et créer des ponts entre ses trois passions: l’espace et les volumes, issus de sa formation d’architecte, le fil de soie, issu de son immersion dans le monde de la broderie, et l’environnement, issu de ses questionnements sur le développement durable et l’avenir de la planète. Elle se plaît ainsi à transformer la matière, à l’exalter et à lui donner du sens.