Indicateurs touristiques. La tutelle entre enfin dans l’ère numérique

Longtemps prisonnier d’un système archaïque, le ministère du Tourisme modernise son dispositif de collecte de données. Une refonte destinée à intégrer les plateformes mondiales et à hisser le suivi du secteur au niveau des standards internationaux.
Un soir de juillet à Essaouira, la gérante d’un boutique-hôtel voit, entre 22 h et minuit, sept chambres s’envoler sans un seul coup de fil. Personne ne s’est pourtant présenté au comptoir, tout s’est joué en ligne. Une scène, somme toute, anodine mais qui illustre un paradoxe propre au secteur du tourisme. A l’heure où la plupart des voyageurs réservent leur séjour en quelques clics sur Airbnb, Booking ou encore TripAdvisor, le suivi officiel du ministère du Tourisme s’appuie encore sur des déclarations mensuelles collectées auprès des établissements classés. Ce décalage entre pratiques numériques, d’une part, et l’approche archaïque de l’administration, de l’autre, a incité la tutelle à lancer une refonte complète de son dispositif de collecte de données.
Exploiter les données
Et, c’est précisément cette fracture que le ministère du Tourisme entend résorber en lançant, le 9 octobre, un appel d’offres international pour une refonte complète de son dispositif de collecte et d’analyse de data. Estimé à 3 millions de dirhams, le projet vise à remplacer la plateforme Statour, en service depuis plusieurs années, par un système plus moderne, apte à agréger des données multiples et hétérogènes. Là où l’ancienne mouture centralisait surtout les déclarations des établissements hôteliers et quelques fichiers Excel transmis par l’Office des aéroports ou la Sûreté nationale, la nouvelle architecture prévoit une intégration automatisée de sources aussi variées que Booking, Airbnb, TripAdvisor, Google Places ou encore Amadeus. «La réforme va fluidifier le circuit et surtout permettre aux opérateurs d’avoir une lecture beaucoup plus fine de la demande en temps réel», observe un professionnel du secteur.
Changement d’échelle
Il en va de même pour la «compétitivité de la destination» qui ne se joue plus seulement sur l’offre, mais aussi sur la capacité à exploiter la data. La réforme marque en ce sens une rupture dans la manière même de produire la donnée. Les processus manuels, longtemps validés en cascade par les délégations régionales avant d’être consolidés au niveau central, cèdent la place à une plateforme intégrée, interopérable avec le datacenter du ministère, capable de croiser données structurées et non structurées, d’alimenter un entrepôt national et de générer des rapports interactifs en temps réel. Elle intègre également un modèle d’estimation statistique pour combler les informations manquantes et prévoit l’adoption progressive du Système de télédéclaration des nuitées (STDN) comme source principale.
S’aligner sur les standards internationaux
Au-delà de l’évolution technique, la réforme traduit un véritable basculement culturel. L’information touristique ne sera plus cantonnée aux seules arrivées aux frontières ou aux nuitées enregistrées dans les hôtels classés. Elle intégrera progressivement les usages numériques qui façonnent désormais le secteur. Pour le ministère, l’enjeu est double, puisqu’il s’agit d’améliorer la fiabilité des chiffres et mettre à la disposition des décideurs des instruments de lecture du marché inspirés des standards développés par les pures players. La réussite du projet dépendra toutefois de son appropriation par les acteurs concernés. L’appel d’offres impose un recours d’au moins 20% à la main-d’œuvre locale et prévoit un transfert de compétences pour que les équipes du ministère puissent piloter la solution sur le long terme. Après la conception technique, vient désormais le temps de la mise en œuvre. À travers cette refonte, la tutelle entend combler le retard dans un secteur stratégique qui exige désormais des outils de mesure adaptés. «Les détails de ce dispositif seront présentés dans les prochains jours», assure Ali Ghanam, président de l’Observatoire du tourisme, qui annonce la tenue prochaine d’une conférence de presse destinée à en préciser les contours.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO