Maroc

Interview. Tarik Haddi : “La culture du financement doit changer”

Tarik Haddi
Président du Directoire de Azur Innovation Fund

Pour stimuler le développement du capital-investissement au Maroc, Tarik Haddi livre ses recommandations, mettant l’accent sur l’importance de favoriser le financement désintermédié. Il fournit aussi un aperçu du secteur et souligne ses principaux défis, en particulier en matière de fiscalité.

Comment se porte l’industrie du capital investissement ?
Elle poursuit sa dynamique enclenchée depuis plusieurs années, avec un montant total de 3 milliards de dirhams de capitaux mobilisés pour l’investissement au Maroc en 2023. L’année 2023 a également enregistré un record d’investissements de l’industrie, avec un montant total de 2,5 milliards de dirhams. On commence aussi à constater une inflexion dans la part des investisseurs marocains suite aux efforts entrepris par l’AMIC envers cette catégorie d’investisseurs depuis 4 ans. Cette dynamique ne peut que s’accélérer dans le cadre de la stratégie nationale de développement des investissements privés qui vise à atteindre des investissements privés d’un total de 550 MMDH à l’horizon 2026. Comme vous le savez, cette stratégie cible, à terme, une part des investissements privés qui représente les 2/3 du total des investissements, contre 1/3 actuellement.

Selon vous, comment booster davantage la croissance du secteur ?Essentiellement par un changement de la culture du financement dans notre pays (pouvoirs publics, opérateurs financiers, entreprises…). Celle-ci repose aujourd’hui sur le système bancaire, à l’image de l’Europe latine. Or, il est démontré que l’écart de croissance et de productivité entre les États-Unis d’Amérique et l’Europe provient de la prédominance de la finance désintermédiée (marchés financiers et capital investissement notamment) aux USA.

Le volet fiscal ne représente-il pas aussi un défi majeur pour le développement du capital investissement, quelles solutions selon vous ?
Certainement. Le non-remboursement sur les charges de fonctionnement des fonds de capital investissement au Maroc est non seulement contraire au principe universel de la neutralité de la TVA, mais constitue un frein au développement des investisseurs privés, notamment étrangers, dans l’industrie du capital investissement nationale.

En effet, cette TVA renchérit le coût de fonctionnement des fonds marocains, au détriment de la rentabilité attendue pour les investisseurs. Comme sur les marchés financiers les arbitrages sont vite faits… Concernant le capital amorçage / risque, la fiscalité des startups constitue elle aussi un frein majeur au développement de cette classe d’actifs.

En phase de démarrage, les startups marocaines génèrent souvent peu de chiffre d’affaires et voient leur masse salariale représenter une part significative de leurs coûts. Il est donc primordial d’adopter des mesures visant à alléger leurs assises financières, si nous souhaitons développer une économie de l’innovation au Maroc.

Quels sont les contours de la stratégie d’investissement d’Azur Innovation Fund et son niveau de déploiement à ce jour?
La stratégie d’investissement de Azur Innovation Fund vise, à travers les mécanismes du capital risque, à participer au développement de l’écosystème startup et innovation au Maroc. Nous finançons nos startups en fonds propres, avec un ticket initial moyen de 5 millions MAD, que nous pouvons compléter par des follow-on pouvant aller jusqu’à 20 (voire 30) millions MAD, et ce, pour faire face à la faille de marché qui se caractérise par l’insuffisance des fonds Capital Risque & PME au Maroc, pour les round ultérieures.

En plus de notre soutien stratégique, technique, et opérationnel, nos interventions couvrent divers aspects essentiels pour les startups, incluant la révision et l’adaptation des modèles d’affaires, la transformation des ajustements en plans d’action concrets, et un suivi régulier grâce à des comités mensuels entre l’équipe Azur et les dirigeants des startups.

Nous offrons égalementun accompagnement technique spécifique, financé par Tamwilcom, qui englobe l’identification des besoins, la sélection de prestataires au sein du réseau Azur fort de 15 ans d’expérience en capital-risque, ainsi qu’une supervision étroite des missions et leur mise en œuvre au sein de la startup. Notre aide s’étend à la mise en conformité règlementaire, facilitant les autorisations administratives nécessaires, au développement commercial notamment avec de grands comptes, à la promotion de la marque de l’entreprise, et à l’installation de systèmes de contrôle de gestion et interne.

Ainsi nous accompagnons nos startups du MVP (minimum viable product) jusqu’à l’internationalisation, dans le cadre d’une levée en série A, en passant bien sûr par le PMF (product market fit).

Quels critères de sélection des startups que vous accompagnez ?
Avant toute chose nous regardons la qualité de l’équipe : l’expérience dans le domaine, les compétences techniques, cognitives, comportementales et sociales, l’éthique…, puis le caractère innovant et la scalabilité du projet. Ensuite nous examinons le stade de développement : nous intervenons lorsque le MVP a été démontré et que du chiffre d’affaires récurent existe.

Toutefois, lorsque l’équipe est excellente et que le projet n’est pas encore mature pour un investissement Azur, nous nous efforçons de suivre le projet et de mettre en contact l’équipe avec notre réseau de structures d’accompagnement de startup, afin de pouvoir investir dans une étape ultérieure.

Puis nous analysons le business model : la chaîne de valeur et sa pertinence, le potentiel de marché, les compétences distinctives et les avantages concurrentiels, les barrières à l’entrée, la cohérence des moyens et de la technologie retenue, la conformité à la règlementation, les évolutions prévisibles, les impacts sociaux économiques et environnementaux, la valorisation demandée…

Enfin, nous évaluons les perspectives de sortie de Azur Innovation Fund, puisqu’un fonds de capital investissement dont la durée de vie est limitée (10 à 12 ans maximum) n’a pas vocation à rester éternellement dans le capital de la startup. Plus globalement, nous gardons en tête que dans toutes les startups à succès, il y a le projet de changer le monde en mieux, et donc les notions de mission, de responsabilité, d’éthique et d’impact.

Quels sont les secteurs dans lesquels le fonds investit ?
Nous investissons dans l’innovation, tous secteurs confondus. À ce jour, nous avons essentiellement investi dans la Health-tech (santé), l’Ed-tech (éducation) les Fin-tech, l’économie collaborative et l’industrie de la donnée, en privilégiant les projets à fort impact social et environnemental. Nos priorités pour les prochaines années seront les clean-tech (ENR, efficacité énergétique et hydrique, économie circulaire…) et les agritech (notamment en matière d’agriculture de précision, d’économie de l’eau et de captation du carbone dans la terre).

Qu’en est-il du bilan du fonds d’investissement ?
Très positif. Ce sont au total 12 startups qui sont accompagnées par le Fonds à ce jour, et une 13e est en phase de closing. Une startup crée en moyenne 30 emplois sur les 5 premières années et le taux d’emploi des femmes y est plus élevé que dans les PME hors textile. À fin 2023, nous avons déjà un total emplois directs de 183, dont 113 jeunes de moins de 35 ans et 115 femmes.

De plus, nos startups dans les secteurs de l’intérim et des services à domicile vont progressivement offrir du travail à des centaines de milliers de personnes (essentiellement des femmes et des jeunes non diplômés), dans toutes les régions du Maroc et dans des conditions optimales, tant pour eux que sur le plan règlementaire, puisque ces offres de valeur les sortent de l’informel.

En matière de Responsabilité Social et Environnemental, toutes nos startups sont soumises à un dispositif ESG rigoureux et nous avons investi dans une ESG-Tech qui offre une solution de pilotage et de gestion des reporting ESG, aux meilleures normes et à bas coût, pour toutes les entreprises au Maroc, en Afrique et à l’international. En matière d’amélioration de la Santé de la population, nous avons 3 health tech qui se déploient en ce moment. À ce jour, une startup a été mise au niveau d’une série A et 2 autres en phase de pré-série A.

Quid de vos ambitions pour l’année en cours et pour 2025 ?
Accélérer la croissance des startups du portefeuille, compléter le portefeuille par 7 autres investissements, notamment dans les domaines de la Clean Tech et Agritech, puis réaliser au moins 2 levées en série A avant le 31 décembre 2025.

Les recos de l’AMIC 

La Commission Amorçage/Risque de l’AMIC a recommandé l’adoption de trois mesures essentielles pour soutenir les startups marocaines, à savoir : l’introduction d’un plafond pour l’Impôt sur le Revenu (IR), la simplification du système de stock-options avec un cadre fiscal allégé pour encourager leur usage en tant que rémunération complémentaire pour attirer et fidéliser les talents, et, enfin, la promotion de la coopération entre entreprises et startups à travers des crédits d’impôt séduisants pour les dépenses réalisées en matière d’innovation collaborative.

La stratégie de sortie d’Azur Innovation Fund 

Les stratégies de sortie d’Azur Innovation Fund sont fixées au moment même de l’investissement avec les dirigeants de la cible : reprise par les promoteurs à travers un MBO, secondaire (cession à un autre fonds d’investissement) ou cession à un industriel (majoritaire) notamment. Ensuite le Fonds s’investit dans le monitoring de la participation durant la période d’investissement pour maximiser sa valeur. Enfin, le Fonds exploite sa connaissance de l’écosystème nationale et international du Venture Capital pour optimiser la valeur de ses participations lors des séries A et B.

Sanae Raqui / Les Inspirations ÉCO

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