Intérêts des comptes courants d’associés : les nouvelles règles de déductibilité

La note de service CI438/25/DGI publiée le 7 mars 2025 par Younes Idrissi Kaitouni, à destination des directeurs régionaux, provinciaux, préfectoraux et inter-préfectoraux de la DGI, marque un tournant dans le traitement fiscal des intérêts des comptes courants d’associés. Ce document, prenant appui sur l’article 10 (11-A-2°) du Code général des impôts, pose un socle règlementaire clair afin de garantir une cohérence entre la déductibilité de ces intérêts pour la société et leur constatation dans les produits financiers des associés.
Le 7 mars 2025, la Direction générale des impôts (DGI) a publié la note de service N° CI438/25/DGI clarifiant le traitement fiscal des intérêts des comptes courants d’associés. Ce texte, complété par un arrêté ministériel fixant le taux maximal à 2,74% pour 2025, marque une évolution majeure dans la politique fiscale du Royaume.
Objectif ? Sécuriser les pratiques de financement intra-entreprises tout en préservant l’équilibre des recettes fiscales. L’analyse de cette réforme révèle des implications concrètes pour les sociétés, leurs associés et l’administration fiscale. Dans un contexte économique où la maîtrise des charges financières et la consolidation de l’équilibre budgétaire sont primordiales, la mesure adoptée trouve toute sa pertinence auprès des financements intra-entreprises.
Un trio de conditions de déductibilité indispensables
L’article 10 (11-A-2°) du Code Général des Impôts (CGI) encadre rigoureusement la déductibilité des intérêts des comptes courants d’associés autour de trois piliers fondamentaux.
Premièrement, la société doit impérativement justifier d’un capital social entièrement libéré à la clôture de l’exercice, une condition essentielle pour prévenir les risques de dilution artificielle des fonds propres et renforcer la crédibilité financière de l’entreprise.
Deuxièmement, le montant des avances générant des intérêts déductibles est strictement plafonné à hauteur du capital social, limitant ainsi les dérives liées à un endettement excessif au sein des groupes et protégeant l’assiette fiscale de l’État contre les stratégies d’optimisation agressives.
Troisièmement, le taux d’intérêt appliqué ne peut excéder un seuil annuel défini par arrêté ministériel, ancré dans des indicateurs macroéconomiques objectifs.
Pour l’exercice 2025, ce taux a été fixé à 2,74% par Nadia Fettah Alaoui, ministre de l’Économie et des Finances, sur la base de la rémunération moyenne des bons du Trésor à six mois en 2024. Un triple verrou juridique, combinant transparence, proportionnalité et ancrage dans la réalité économique, qui assure un équilibre entre les besoins de financement des entreprises et la préservation des intérêts fiscaux publics.
Alignement taux société et taux associé : la fin de la double pénalisation
Il faut dire que la note de service opère une avancée décisive en clarifiant le traitement symétrique des intérêts pour les sociétés et leurs associés. Historiquement, une ambiguïté persistait : si la société voyait sa déduction refusée pour non-respect du taux légal, l’associé restait imposable sur ces mêmes sommes.
Selon Lhaj Boulanouar, expert-comptable et commissaire aux comptes : «Cette position permet d’éviter une telle situation paradoxale».
Et en même temps, «la DGI confirme l’alignement nécessaire entre le taux utilisé par la société pour la déduction et celui utilisé par l’associé.»
La DGI rectifie cette asymétrie via deux mécanismes. D’une part, elle impose un alignement strict des taux : les associés sont autorisés à comptabiliser leurs intérêts uniquement au taux utilisé par la société pour sa déduction (soit dans la limite de 2,74% en 2025), à condition que ces intérêts aient été formellement facturés.
D’autre part, elle encadre strictement l’application des redressements : l’article 213-II du CGI, qui permet à l’administration d’imposer un taux de marché, ne peut être invoqué que si les intérêts contestés ont été «effectivement facturés et encaissés» à un taux dépassant le plafond légal. Une double clarification qui élimine les situations resserrant les mailles du filet contre les abus avérés.
Comme le souligne un analyste, «cette évolution supprime le risque de sanctions croisées, sauf en cas de fraude manifeste, renforçant ainsi la sécurité juridique pour les entreprises et les investisseurs». Le dispositif crée ainsi un équilibre subtil entre flexibilité financière et contrôle antifraude, tout en ancrant la transparence dans les relations société-associés.
Implications pour les entreprises, les associés et le fisc
La réforme du traitement fiscal des intérêts des comptes courants d’associés redéfinit les responsabilités et les risques pour chaque acteur. Pour les entreprises, la priorité réside dans le respect scrupuleux des trois critères légaux. Vérifier que le capital est intégralement libéré, s’assurer que le montant des avances ne dépasse pas le capital social et documenter rigoureusement les conventions de comptes courants.
Ces dernières doivent préciser le taux appliqué et les modalités de paiement, sous peine de voir la déductibilité refusée lors d’un contrôle.
Pour les associés, la nouveauté réside dans l’imposition conditionnelle : seuls les intérêts effectivement encaissés sont soumis à l’IR (pour les personnes physiques) ou à l’IS (pour les personnes morales). Une simple comptabilisation sans encaissement ne suffit plus à déclencher l’imposition, incitant à une gestion transparente des flux financiers intra-groupes et à l’évitement des taux supérieurs au plafond. Enfin, pour l’administration fiscale, la réforme permet un ciblage plus efficace des contrôles.
La DGI concentre désormais ses audits sur les dossiers où les intérêts sont facturés au-dessus du taux légal et effectivement encaissés, optimisant ainsi l’allocation de ses ressources.
Parallèlement, le plafonnement à 2,74% limite les stratégies d’érosion de la base imposable grâce à des stratégies de transfert de bénéfices via des prêts intra-groupes sur-rémunérés, protégeant les recettes de l’État. Ce triptyque d’obligations crée un équilibre entre la sécurité juridique offerte aux entreprises et la vigilance renforcée de l’État, tout en ancrant les pratiques dans une logique économique réaliste.
En définitive, la note de service de la DGI du 7 mars 2025 marque un tournant pragmatique dans la fiscalité marocaine des comptes courants d’associés. Cette évolution consacre, ainsi, un équilibre réaliste entre contrôle fiscal et flexibilité financière, en ancrant les pratiques dans des flux économiques réels plutôt que dans des montages artificiels.
En encadrant strictement les mécanismes de facturation et d’encaissement, la DGI réduit à la fois les risques de double imposition et les tentations de contournement, tout en rationalisant ses propres contrôles. Une avancée qui conforte davantage le recours aux comptes courants d’associés comme outil de financement viable, sans sacrifier l’intérêt fiscal public.
Une sécurité juridique inédite
La note de service n° CI438/25/DGI marque un tournant dans la fiscalité marocaine des comptes courants d’associés. En harmonisant le traitement société/associés et en conditionnant les redressements à une preuve d’encaissement, la DGI renforce la prévisibilité et l’équité du système.
Pour les entreprises, cette réforme exige une rigueur accrue dans la formalisation des conventions de financement, mais offre en contrepartie une sécurité juridique inédite.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO