Heure légale : GMT+1, Le fuseau de la discorde

À chaque basculement horaire, le même malaise resurgit. Le changement d’heure, imposé depuis 2018 sans véritable évaluation d’impact, cristallise aujourd’hui un ras-le-bol national. En cause : l’absence de débat sur l’efficacité de cette mesure.
À chaque fin du mois de ramadan, la même question resurgit dans les foyers marocains : pourquoi changer d’heure ? Depuis sept ans, le Royaume avance ou recule les aiguilles de ses montres, jonglant entre l’heure d’été permanente (GMT+1) et le retour temporaire à l’heure dite «normale» (GMT) à l’occasion du mois sacré. Un rituel administratif devenu, pour beaucoup, un casse-tête récurrent, voire un symbole de surdité politique.
Pour la septième année consécutive, le Maroc a réajusté son horloge le week-end passé, suscitant une lassitude mêlée de colère. De plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer la fin d’un système perçu comme inutile et perturbateur.
Un rythme biologique malmené
Le changement d’heure, même minime, n’est pas anodin. C’est ce que rappellent les professionnels de la santé, notamment les spécialistes du sommeil et les pédiatres, qui alertent sur l’impact du passage à l’heure d’été. Chez les enfants, l’adaptation peut prendre plusieurs jours. Leur rythme veille-sommeil est chamboulé, rendant les matinées scolaires plus pénibles et affectant la concentration.
«L’effort à fournir est colossal, surtout lorsqu’il s’agit de réadapter toute une routine familiale», atteste un spécialiste.
Le malaise dépasse les salles de classe. Chez les adultes aussi, la fatigue accumulée, les retards ou les difficultés à s’endormir sont monnaie courante à chaque transition.
Une efficacité économique à démontrer
Mais en dehors des perturbations du comportement, qu’apporte cette mesure imposée en 2018 par décret gouvernemental ? Un double objectif était avancé au moment de ce basculement : économiser de l’énergie et s’aligner sur les horaires en Europe, premier partenaire économique du Royaume. Or, sept ans plus tard, aucun bilan valable n’a été produit pour justifier le maintien de cette mesure.
«Il n’existe aucune étude publique qui démontre les bénéfices de ce changement. L’argument de l’économie d’énergie ne tient plus, surtout à l’ère de la décarbonation et des énergies renouvelables. Quant à celui du commerce avec l’Europe, il est devenu obsolète dans un monde où la technologie a fluidifié les échanges», déplore Omar Kettani, professeur en économie à l’Université Mohammed V de Rabat.
Le verdict des spécialistes est sans appel, la productivité ne dépend pas d’une heure supplémentaire, mais de la qualité des services et des processus. Toutefois, il n’existe pas de données exactes et exhaustives pour corroborer ce constat, qui demeure pour l’heure aléatoire.
«En l’absence ou la rareté d’études exhaustives, il est difficile d’affirmer ou d’infirmer l’impact de cette décision sur l’économie d’énergie, car il serait plus judicieux de disposer d’un chiffre qui quantifie ce gain. Il en est de même pour la productivité sectorielle, d’où l’intérêt de mener des évaluations complètes sur le plan micro et macroéconomique, une avant d’opérer le changement, et une autre à posteriori. Les résultats qui en découleront permettront de se munir d’un élément de comparaison entre les deux périodes. Les données sur la vitesse d’ajustement sont impératives afin d’adopter les mesures les plus appropriées», recommande Ahmed Bousselhami, professeur d’économie à la Faculté des sciences juridiques et économiques de Tanger.
En quête de la bonne formule
Face à cette ambiguïté, les autorités publiques restent silencieuses et font fi des nombreuses recommandations formulées depuis toutes ces années. Le supplice subi à chaque période de l’année reste sans réponse convaincante pour l’apaiser. En l’absence d’un débat public structuré et de données fiables, difficile de prédire une inflexion prochaine. De plus, une question taraude les esprits.
«Comme la boussole économique est désormais orientée vers l’Afrique, notamment de l’Ouest, cela suppose que le Maroc devrait s’adapter à son fuseau horaire, sachant qu’il est également perturbé. Il est vrai que cette diversification est «tout bénef» pour l’économie marocaine, mais comment s’assurer de l’efficience de l’adaptation au fuseau des partenaires sans étude préalable ?», s’interroge Bousselhami.
À l’heure où plusieurs pays européens songent à mettre fin au changement d’heure saisonnier, s’interrogeant sur son efficacité, le Maroc continue à faire cavalier seul. Ceci dit, la décision n’est toujours pas en vigueur en Europe, en raison de désaccords entre les États membres concernant la coordination des fuseaux horaires, mais elle reste d’actualité.
Omar Kettani
Professeur d’économie à l’Université Mohammed V de Rabat
«Il n’existe aucune étude publique qui démontre les bénéfices de ce changement. L’argument de l’économie d’énergie ne tient plus, surtout à l’ère de la décarbonation et des énergies renouvelables. Quant à celui du commerce avec l’Europe, il est devenu obsolète dans un monde où la technologie a fluidifié les échanges.»
Ahmed Bousselhami
Professeur d’économie à la Faculté des sciences juridiques et économiques de Tanger
«En l’absence ou la rareté d’études exhaustives, il est difficile d’affirmer ou d’infirmer l’impact de cette décision sur l’économie d’énergie, car il serait plus judicieux de disposer d’un chiffre qui quantifie ce gain. Il en est de même pour la productivité sectorielle, d’où l’intérêt de mener des évaluations complètes sur le plan micro et macroéconomique, une avant d’opérer le changement, et une autre à posteriori. »
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO