Fret maritime : faut-il redouter un retour au scénario covid ?

Un air de déjà-vu plane sur le transport maritime mondial. Face à une flambée soudaine de la demande et à des perturbations logistiques en cascade, les opérateurs replongent dans un scénario qui rappelle les pires heures de la crise de la covid. Résultat : une nouvelle poussée des tarifs du fret, qui se profile dans les économies importatrices, et ravive les pressions inflationnistes.
L’accalmie n’aura finalement été que de courte durée. Alors que les observateurs du commerce international pariaient sur une stabilité prolongée des tarifs du fret maritime, comme nous l’avions souligné dans notre édition du 21 mai dernier, les données exclusives actualisées révèlent une réalité amère. Une hausse spectaculaire a balayé en quelques jours trois mois de calme apparent.
En effet, depuis le 1er juin, les tarifs des conteneurs de 40 pieds (TC40) en provenance de Shanghai, Ningbo ou Qingdao ont bondi de 3.600 à 5.800 dollars, soit une envolée de plus de 60%. Même constat à Klang, en Malaisie, où les prix atteignent désormais 5.700 $, contre moins de 4.000 auparavant. Les ports indiens, jusque-là relativement stables, enregistrent eux aussi une progression de 11%.
Une ruée sous la pression douanière
Mais cette flambée tarifaire n’a rien de fortuit. Elle est en grande partie alimentée par une frénésie d’expéditions liée à la politique commerciale américaine. Le président des États-Unis ayant accordé un sursis temporaire de 90 jours avant l’application de nouveaux droits de douane sur plusieurs produits, notamment asiatiques, nombre d’exportateurs se sont bousculés au portillon pour acheminer leurs marchandises à des conditions plus avantageuses. Résultat, des navires saturés, une pénurie de conteneurs et une congestion croissante dans les ports. Les experts du secteur décrivent un mécanisme bien huilé.
«Comme ce répit approche de sa fin, le système a été chamboulé par une explosion soudaine de la demande, une offre rigide, et des prix qui s’envolent mécaniquement. C’est une logique de précaution face à l’incertitude, doublée d’un effet d’aubaine. Au bout du compte, tout le mécanisme est perturbé. C’est un cercle vicieux», indique Rachid Tahri, président de l’association des freight forwarders et secrétaire général de la Fédération de transport et logistique.
Une situation qui, selon les professionnels, pourrait encore s’aggraver d’ici l’expiration du sursis douanier. Mais cette dynamique commerciale ne suffit pas à expliquer l’ampleur de la hausse. Selon l’expert, le retour des tensions en mer Rouge constitue un second facteur déterminant.
Après quelques mois d’accalmie, les attaques ont repris, poussant les compagnies maritimes à contourner la zone par le cap de Bonne-Espérance. Ce détour allonge les trajets de plusieurs jours, accroît la consommation de carburant, et fait mécaniquement grimper les coûts opérationnels. À cela s’ajoutent des surprimes d’assurance, de plus en plus fréquentes, calculées en fonction du temps de navigation.
Vers un nouveau round inflationniste
Pour les pays importateurs, la facture risque d’être salée. Le Maroc n’est pas épargné en raison de la réglementation douanière en vigueur. Comme les droits de douane sont calculés sur la valeur des marchandises, incluant le coût du fret, tout le mécanisme de fixation des prix à l’import s’en trouve affecté, à mesure que les tarifs maritimes augmentent.
D’ailleurs, des études antérieures avaient montré que chaque hausse de 10% des prix du fret maritime peut générer jusqu’à 0,4 point d’inflation supplémentaire, en moyenne, dans les trimestres qui suivent. Une sensibilité jugée «élevée» dans un contexte où l’inflation sous-jacente peine à se stabiliser.
«Le fret est un thermomètre très réactif du déséquilibre mondial ; ses soubresauts se répercutent presque immédiatement sur les prix à la consommation», estiment plusieurs économistes.
Alors que la saison haute du transport maritime ne fait que commencer, les perspectives restent tendues. Les opérateurs redoutent une reconfiguration durable des routes commerciales, marquée par des coûts plus élevés, des délais rallongés et une volatilité accrue. Les conditions qui avaient permis une relative accalmie tarifaire, à savoir faible demande post-Covid, capacités excédentaires et détente géopolitique, ne sont plus réunies.
De plus, dans un contexte marqué par une érosion continue du pouvoir d’achat, cette reprise des coûts logistiques mondiaux vient alourdir la facture énergétique et resserrer encore un peu plus l’étau autour des ménages, surtout qu’une hausse des prix à la pompe vient d’être appliquée récemment.
Rachid Tahri
Président de l’association des freight forwarders
«Comme ce répit approche de sa fin, le système a été chamboulé par une explosion soudaine de la demande, une offre rigide, et des prix qui s’envolent mécaniquement. C’est une logique de précaution face à l’incertitude, doublée d’un effet d’aubaine. Au bout du compte, tout le mécanisme est perturbé. C’est un cercle vicieux.»
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO