Maroc

Fours turcs : les producteurs nationaux face à un enjeu de compétitivité

Face à l’afflux de produits turcs à bas coût, le Maroc renforce sa politique industrielle en appliquant un droit antidumping définitif sur les fours électriques importés. Cette mesure, pensée pour rétablir une concurrence équitable, place les industriels locaux face un enjeu de compétitivité.

En instaurant un droit antidumping définitif sur les fours électriques importés de Turquie, le Maroc affirme sa volonté de protéger son industrie locale face à une concurrence jugée déloyale.

L’arrêté conjoint du ministre de l’Industrie et du Commerce et de la ministre de l’Économie et des Finances, publié le 3 janvier dernier, prévoit ainsi l’application d’un droit antidumping, pour une durée de cinq ans, sur les importations de fours électriques mobiles, non encastrables, d’une capacité n’excédant pas 70 litres et destinés à un usage domestique, originaires de Turquie.

Ce droit additionnel ne concerne toutefois pas les modèles «Air Fryers» ni les produits ne répondant pas à la définition établie par les autorités.

«Distorsions» du marché
Cette décision marque une étape supplémentaire dans les efforts de régulation du marché local. Selon le cabinet Esytrad, les producteurs turcs pratiqueraient des prix à l’export largement inférieurs à ceux appliqués sur leur propre marché, facilitant ainsi une pénétration massive du marché marocain.

Entre 2019 et 2022, les importations de fours électriques turcs ont fortement augmenté, passant de 63,77 millions à 82,82 millions de dirhams (MDH), avec un pic enregistré à 105,85 MDH en 2021.

Cette progression s’est accompagnée d’une chute des prix de ces produits, vendus entre 35% et 45% moins cher que ceux importés d’autres pays, selon les données d’Esytrad.

«Ces mesures antidumping sont essentielles pour corriger les distorsions du marché et créer un environnement concurrentiel plus équilibré. Elles permettent de préserver les emplois locaux tout en renforçant la souveraineté industrielle nationale», explique Loubna Rahmane, directrice générale du cabinet Esytrad.

Depuis l’application des droits provisoires, des effets positifs se font déjà sentir sur la rentabilité et l’employabilité des acteurs locaux. L’enquête menée par Esytrad révèle que le dumping pratiqué par les producteurs turcs repose sur une marge de prix significative entre le marché domestique et les exportations vers le Maroc.

Cette différence de prix, attribuée à des stratégies visant à inonder le marché marocain avec des produits à bas coût, pénalise lourdement les producteurs locaux. Confronté aux plaintes récurrentes des industriels marocains, l’accord de libre-échange signé en 2004 a dû être amendé en 2020 pour inclure des droits d’importation sur certains produits. Depuis lors, les mesures antidumping se sont multipliées, traduisant une volonté des autorités de protéger les secteurs stratégiques.

Protectionnisme
En l’occurrence, le dispositif antidumping définitif adopté concerne les importations de fours électriques turcs. Il est effectif depuis le 3 janvier 2025. Les taux varient de 32,82 %, pour Itimat Makina Sanayi Ticaret A.S., à 62,07% pour les autres producteurs turcs.

Certes, cette mesure traduit une stratégie ambitieuse de protection de l’industrie locale et réaffirme la volonté de l’Executif de défendre des branches fragilisés de l’économie, mais elle s’inscrit aussi dans une tendance observée à l’échelle internationale de renforcement des mesures protectionnistes, particulièrement dans les économies émergentes.

«Le Maroc cherche ici à rétablir un équilibre concurrentiel, en mettant fin à une distorsion des prix qui menace non seulement la production locale, mais aussi l’intégration de sa chaîne de valeur industrielle», insiste Loubna Rahmane.

Cela dit, de telles mesures pourrait faire craindre d’éventuelles représailles commerciales de la Turquie, qui pourrait restreindre l’accès des exportateurs marocains à son marché.

Des implications pour la consommation locale qui ne sont pas à négliger
Les droits antidumping devraient provoquer une hausse des prix des fours électriques, affectant le pouvoir d’achat des ménages.

«L’impact direct sur les prix pour le consommateur final reste limité. En réalité, les prix de vente sur le marché local ne changent pas significativement, car ils sont déjà alignés entre les produits locaux et importés», rassure la directrice général d’Esytrad.

L’enjeu sera de voir si l’industrie locale peut répondre à la demande avec des produits compétitifs en termes de qualité et de prix. Une chose est sûre, ce dispositif pourrait inciter les acteurs locaux et étrangers à investir dans la production nationale et poser ainsi les bases d’une stratégie industrielle plus ambitieuse.

Pour de nombreux observateurs, l’efficacité des mesures antidumping dépendra donc largement de la capacité des producteurs locaux à capitaliser sur cet avantage afin de s’imposer durablement sur le marché.

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



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