Vaccins : les diplomaties de la santé russe et chinoise préoccupent l’Europe
Quelle place pour l’Europe dans la «diplomatie vaccinale» mondiale ? Lors du cinquième webinaire, organisé en collaboration avec l’Université La Sapienza de Rome, le principal sujet de discussion était «La diplomatie de la santé dans la région méditerranéenne». L’objectif du forum était de stimuler la discussion entre les intervenants sur la diplomatie vaccinale, ou la fourniture de vaccins comme outil de projection du soft power, dans la mesure où les vaccins et les fournitures de santé interagissent avec les politiques préexistantes et les priorités de la politique étrangère.
Les pays de l’UE voient d’un mauvais œil la fourniture de vaccins, outil de projection du soft power chinois et russe, dans l’aire méditerranéenne. Lors de la conférence annuelle sur la Méditerranée, Road to Shade Med 2021, les intervenants ont été unanimes quant au fait que certains pays ont cherché la possibilité de renforcer leur influence dans la région du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA) par une série d’accords de santé très médiatisés. Pour les intervenants, l’Europe, par le biais de l’initiative multilatérale COVAX, est bien placée pour mener le bal dans ce marathon et pourrait renforcer les initiatives bilatérales et la coordination avec la nouvelle administration américaine.
Dans la mesure où la fourniture de vaccins et autres produits de santé interagissent avec les politiques existantes et les priorités en matière de politique étrangère, plusieurs chefs de corps de marine européens et des orateurs de renom ont échangé sur la diplomatie vaccinale dans le cadre de l’événement Road to Shade Med 2021 (Sensibilisation partagée et élimination des conflits en Méditerranée), lors d’un webinaire sur «La diplomatie de la santé dans la région méditerranéenne», organisé par l’Opération EunavforMed Irini. L’objectif étant de réunir les participants, de partager leur connaissance de la situation et d’évaluer l’évolution, les tendances et les best practices dans la région. Paradoxalement, les Occidentaux ont jusqu’à présent donné la priorité des doses à leurs propres populations, ouvrant des couloirs d’opportunités aux diplomaties sanitaires chinoise et russe. Face à certaines pratiques observées sur le marché, les pays du Sud de la Méditerranée ne se sont pas privés de diversifier leurs approvisionnements en doses injectables.
À titre de rappel, le Maroc a été fourni en doses vaccinales par les laboratoires AstraZeneca et Sinopharm, quand le voisin algérien a opté pour des doses AstraZeneca et Sputnik V. La Tunisie s’est, quant à elle, approvisionnée auprès d’AstraZeneca, Pfizer, Sinovac et Sputnik V. La Libye a beaucoup plus diversifié sa fourniture, notamment avec Johnson&Johnson, Moderna, AstraZeneca, Pfizer, Sinovac, et Sputnik V. L’Égypte a de son côté acquis à la fois des doses BBIBP-CorV, AstraZeneca, Sinovac et Sputnik V. Comme le souligne Roie Yellinek, chercheur au Centre Begin-Sadat d’études stratégiques, «l’Union européenne et les États-Unis se sont concentrés sur leurs propres populations, laissant la bataille de la diplomatie sanitaire à la Chine et à la Russie. Mais il n’est pas trop tard», soutient le chercheur. D’autant plus que, comme l’a expliqué Olivier Bailly, chef de la Task Force de l’UE sur la stratégie en matière de vaccins, l’Union européenne s’est engagée à donner plus de 100 millions de doses aux pays fragiles via l’initiative COVAX. «Nous ne sommes pas engagés dans un commerce de vaccins : nous considérons le partage comme un devoir moral. Le voisinage Sud doit faire l’objet de toute notre attention», a-t-il affirmé.
Les enjeux derrière la fourniture d’aide et de masques
En ouverture de la conférence, le commandant de l’opération Irini d’EunavFor Med, le contre-amiral Fabio Agostini, a déclaré que «la pandémie de Covid-19 a donné lieu à une large utilisation de ce que l’on appelle la «diplomatie de la santé et du vaccin», certains pays utilisant les fournitures d’aide, les masques et les vaccins pour renforcer les liens régionaux et améliorer leur propre puissance et leur statut mondial». Une opinion partagée par Flavia Giacobbe, directrice de Formiche et Airpress, qui a clairement indiqué que «les diplomaties vaccinales russe et chinoise sont un facteur stratégique dans la région méditerranéenne». Et d’ajouter que «l’Europe et les États-Unis doivent participer en tant que protagonistes à ce nouveau jeu important». En particulier, comme l’a expliqué le chercheur de l’Institut allemand pour les affaires internationales et de sécurité Moritz Rudolf, «la diplomatie de la santé de la Chine repose principalement sur une propagande internationale rationalisée, des livraisons stratégiques et le lien entre la diplomatie de la santé et la promesse d’une reprise économique post-pandémie».
Désagréments pour les binationaux
Toujours dans la logique de couper l’herbe sous les pieds de la concurrence, la France a fait le choix de n’accepter que les vaccins qui sont reconnus par l’agence européenne des médicaments, ce qui n’est pas le cas du vaccin Sinopharm. Conséquence: l’on assiste à des complications et une différence de traitement en cas de voyage vers l’hexagone, selon que l’on soit français ou pas. Pour les personnes de nationalité française qui désirent entrer en France, il leur faut un test PCR et un auto-isolement de 7 jours. Et pour les personnes de nationalité marocaine ayant bénéficié du vaccin Sinopharm, il faut en plus justifier d’un motif impérieux. Le 9 juin 2021, la branche marocaine de l’association «Les Français du Monde» a adressé un courrier au secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé du Tourisme, des Français de l’étranger et de la Francophonie, Jean-Baptiste Lemoyne, pour faire part du mécontentement des Français du Maroc ayant bénéficié du vaccin chinois. Dans ce courrier, l’association fait part de son incompréhension et appelle les autorités françaises à revoir cette décision, qu’elle juge «unilatérale et arbitraire», d’autant que le vaccin chinois fait l’objet d’une validation de la part de l’OMS. Pour l’association, cette position de la France «va pénaliser un grand nombre de Français, vaccinés au Maroc, lors de leur retour en France cet été, en amputant de sept jours leur séjour du fait de l’auto-isolement».
Modeste Kouamé / Les Inspirations Éco