Un après-concert avec Nader Mansour : The Wanton Bishops

D’une fraîcheur déconcertante, les Wanton Bishops ont détonné lors de la 15e édition du Festival Timitar avec un répertoire Blues-Folk libanais. À la vie comme à la scène, le leader du groupe, Nader Mansour, est fidèle à lui-même, assumant ses dons multiples comme ses démons. Résumé de deux heures avec un artiste énergique, entre la fin d’un concert et le retour au bercail.
La dégaine (presque) nonchalante mais classieuse, Nader Mansour semble en forme pour quelqu’un qui a tout donné sur scène. Il a encore l’énergie d’accepter tous les selfies qu’on lui demande, les interviews qu’on lui recommande et une pizza margherita qu’il commande pour ne pas faire de crise d’hypoglycémie. «J’ai mon vol dans quelques heures, je dois être à l’aéroport dans 3 heures», lance-t-il amusé, avant de rappeler qu’il se sent bien à Agadir -et au Maroc en général- qui accueille le groupe pour la quatrième fois après Tanger, Rabat et Casablanca. Normal, après tout, lorsque l’on signe une musique aussi sincère, qui parle à tout le monde.
Une belle schizophrénie
Il a l’âme d’un rockeur tout en étant profondément bluesman. Avec une voix profonde et rauque au service de mélodies entraînantes voire délirantes, le leader de The Wanton Bishops ne passe jamais inaperçu. Il investit investit la scène. On le dirait habité par le fantôme des grands du Chicago Blues, sans pourtant y avoir mis les pieds. Depuis sa ville natale Beyrouth, Nader Mansour, du groupe The Wanton Bishops, est l’heureuse rencontre d’un John Lee Hooker et d’un Sabah Fakhri non assumé, à la dégaine de hipster beau gosse. Un cocktail détonnant qui laisse place à un univers multidimensionnel où la musique n’a plus aucune frontière. Jamais le Blues et la musique populaire n’auront été aussi proches. Pour Nader Mansour, le constat est sans appel. Sa musique est, au premier abord, une fusion, mais elle relève davantage d’une confusion résultant d’une belle et douce schizophrénie. «Ma musique ressemble à cette identité de crise qu’on a tous quand on est libanais. Le fait que l’on parle aussi bien français que mal l’arabe. On est paumé. J’ai voulu montrer cette confusion, que c’est la seule base fédératrice qu’on a comme peuple parce que l’on a rien d’autre. De multiples religions, tellement de politiciens et aucune base pour construire une Nation. Sauf, à mon avis, cette confusion identitaire. Je pense que, si l’on peut en faire quelque chose de positif, on pourra enfin construire une Nation», confie le chanteur, guitariste, luthiste, harmoniste, auteur-compositeur et interprète qui avoue avoir mis du temps à assumer son identité et son arabité. Pourtant, rares sont les chanteurs qui ont une maîtrise du chant occidental et oriental. Après «Sleep with the lights on», premier album résolument Blues, les Wanton Bishop ont proposé à la scène libanaise et au monde une musique imprégnée de l’univers Blues-Rock, sublimé par une voix profonde, mais qui laisse tout de même entrevoir une grande influence des rythmes populaires et traditionnels arabes. «On retrouve cela sur la scène beyrouthine: on est tous en refus de notre culture arabe à nos débuts, quand on fait nos premiers projets musicaux. On a l’impression que c’est une crise d’adolescence. Quelques-uns n’en sortent jamais, d’autres se disent qu’il faut s’écouter; si on est tout a fait honnête avec soi-même, c’est une partie de nous qu’il faut exprimer».
Confusion assumée
Avec «Run run» et «It’s gonna be fine», extraits du nouvel album du groupe, Nader Mansour semble à l’aise avec ses racines arabes. «Il n’y a pas vraiment une façon de faire: chaque chanson est venue à sa manière, il n’y a pas de tentative délibérée de faire un mélange, c’est un produit «déjà fini» qui surgit et non un produit occidental et oriental qu’on essaie de fabriquer. Ce n’est pas de la fusion, c’est de la confusion», continue celui qui se permet un «mawal» et un solo de oud pendant le concert. Une maîtrise parfaite, mais surtout une émotion particulière dans l’exécution qui laisse penser que le bluesman transcende le temps et l’espace. «J’ai découvert ma voix «orientale» il y a bien longtemps. Mais je me le cachais, je m’y soustrayais même. Je viens d’une famille qui chante le folklore bédouin, levantin tous les dimanches. J’ai été élevé en plein dedans. Après il y a eu le tarab halabi, Oum Kalthoum. Ces trois dernières années, je me suis plongé dedans. La littérature pré-islamique et post-islamique. Cela m’a fasciné, à tel point que j’ai fait mon premier diwan, que je vais lancer dans 2 à 3 mois». Pourtant, le musicien revient de loin. Ingénieur financier, le leader des Wanton Bishops ne s’est jamais considéré comme musicien. Il comblait un manque qu’il ne parvenait à identifier avec la drogue, et se sentait confus à Paris où il a vécu. Il tombe sur une méthode pour apprendre l’harmonica, s’y précipite sans savoir qu’il s’apprête à réveiller la bête en lui. Avec Eddy Ghossein, son acolyte à la guitare, au banjo et aux chœurs, il crée le duo The Wanton Bishops autour d’une passion commune. Commence alors une belle aventure libanaise qui a plus de reconnaissance à l’étranger qu’au Liban. «Au Liban, nous avons un problème de drogue. On a une invasion d’une certaine drogue qui s’appelle la musique électronique. Et des groupes live avaient du mal à s’imposer, à l’instar de Mashrou’Leila ou de nous. Le live act a pris un coup énorme. On a toujours du mal à remplir une salle au Liban. En revanche, on a une place à l’international, comme chez vous au Maroc !», s’amuse Nader Mansour, aux talents multiples. Telle une bombe à retardement, il se révèle de plus en plus en acceptant son talent. En assumant l’arabe, le diwan à venir est proche de l’univers de Nizar Kabani. Un véritable saut en parachute pour le musicien qui semble avoir gagné en liberté, comme libéré de ses démons, comme s’il avait tout «sorti». «J’ai commencé à écrire des choses, à gribouiller des textes, et un de mes anciens professeurs est tombé dessus un jour. Il m’a demandé ce que c’était. Il sait ce que je fais et ne s’y intéresse pas, il ne s’y est jamais intéressé. Il m’a demandé la permission de les lire, mais mon écriture est illisible. Il m’a alors demandé de lui lire les textes. J’étais embarrassé, mais je les lui ai lu. Il m’a proposé d’éditer mes écrits. Il a trouvé cela moderne, dynamique et profond». D’aventure en aventure, l’artiste libanais souhaite même mettre en scène son diwan et laisser cette créativité débordante s’exprimer sans jamais plus la refréner. Parce que, pour lui, une chose est sûre: «Je crois en l’art démocratique et non aristocratique. Il ne doit pas y avoir cette barrière entre le public et nous. Je suis populaire, je viens du peuple, je viens du prolétariat».