Culture

Rachid Benzine (2/3): La crise est culturelle

Dans «Ainsi parlait ma mère», Rachid Benzine traite de la différence entre nos parents et les jeunes d’aujourd’hui, de la lutte des classes et de l’importance de la culture… 

Une des plus belles phrases du livre c’est : «Mes parents et moi avons vécu ensemble mais pas en même temps». C’est une des capacités empêchées ?
Cette citation met en lumière un vrai problème de temporalité. Il s’agit d’une génération qui était à la recherche de l’altérité, de l’inconnu et il y avait quelque chose qui relevait de l’humilité. On a des jeunes, aujourd’hui, qui sont connectés dans le monde sans avoir développé suffisamment leur humanité, c’est-à-dire dans les relations avec l’autre. Nos parents étaient ouverts à la rencontre. Je me pose donc la question de comment des jeunes à l’époque, Marocains décident de venir dans un pays où ils ne maîtrisent pas la langue. Comment décident-ils de venir avec leur famille vers l’inconnu ?. Il s’agit d’une prise de risque qui nécessite du courage quand le courage n’annule pas la peur. Le courage, c’est l’action malgré la peur. Cette génération avait un étonnement vis-à-vis du monde. Un étonnement que les jeunes aujourd’hui n’ont plus tellement, ils sont saturés parce qu’ils ont l’impression d’avoir tout vu. Alors qu’ils ne se sont pas déplacés. Nos jeunes d’aujourd’hui sont beaucoup plus fermés que nos parents ! Nos parents n’avaient pas cette crise d’identité que les jeunes traversent aujourd’hui. Ils savaient qui ils étaient, d’où ils venaient, la richesse dont ils étaient porteurs. Ils étaient chargés traditionnellement, culturellement., ce que les gens n’ont pas. Ils sont donc plus influençables. Ils ne sont pas assez enracinés. 

Pourtant, vous n’en faites pas un roman misérabiliste. Jamais. Vous ouvrez même sur un problème universel : une lutte des classes plus qu’un problème lié à l’immigration via la famille Neuweel, ces voisins français «parfaits» dont le père est dépassé…
C’est exactement ça, et c’est parti d’une citation de Macron qui dit : où est ce que va ce pognon de fou qu’on leur met dans les services sociaux ? C’est comme si c’était une forme de charité. Et pour moi, c’est cette violence des riches vis-à-vis des pauvres. Cette lutte des classes, elle existe toujours. Au déjà de la lutte, c’est un mépris de classes. C’est le mépris au sens où on en fait des objets qui ne sont plus capables de devenir sujets. Dans le regard du riche. «Il faut armer les plus faibles car le plus fort a tendance à devenir barbare», disait Hannah Arendt. C’est tout a fait ça. Pour moi, il s’agit d’abord d’une relation d’une mère et son fils, un roman social qui raconte des choses sur notre société, sur le parcours d’une famille, au delà de l’immigration. L’immigration est un ancrage parmi d’autres. Que faisons-nous de nos vieux ? C’est quelque chose de fondamental pour moi. Mais les personnages que j’ai mobilisé sont fictions, des moyens que j’utilise pour transmettre ce que j’ai envie de transmettre. Puiser dans nos sources les plus intimes, nos peurs, nos angoisses, nos belles émotions, notre joie, pour rejoindre les lecteurs dans leur humanité. Tout le passage sur la famille Neuween montre la générosité de cette mère qui ne le montre pas. Une vraie générosité est toujours cachée, elle n’est pas dite. 

« Puiser dans nos sources les plus intimes, nos peurs, nos angoisses, nos belles émotions, notre joie, pour rejoindre les lecteurs dans leur humanité ».

Dans le livre, la littérature et la musique pansent les blessures. La culture serait-elle une réponse à toutes ces questions ?
Pour moi, la culture c’est ce qui fait la condition humaine. Qu’est-ce que la culture si ce ne sont des strates d’apport de l’humanité pour comprendre et se comprendre, pour comprendre le monde dans lequel elle vit et se comprendre elle-même. La culture c’est ce qui permet de partager un univers commun. Quand on partage un film, une musique, on rejoint ce qu’il y a de plus essentiel en nous. Dans le sens où les émotions que nous ressentons devant une peinture, devant une pièce de théâtre, un concert, elles sont communes à toute l’humanité. C’est-à-dire que nous sommes tellement habitués à décrire l’autre comme ennemi ou adversaire qu’on ne sait plus ce qui nous relie à lui. La culture d’un pays c’est son imaginaire. Aujourd’hui nous assistons à une crise civilisationnelle, culturelle, celle de l’imaginaire. Tant qu’on n’aura pas travaillé sur cet imaginaire et puisé dedans pour répondre à un certain nombre de questions qui nous sont posées, on n’y arrivera pas. Ces textes, ces musiques dont je parle dans le livre, on les a tous connus ! Cela nous permet d’avoir un imaginaire commun. Quand est-il aujourd’hui, à l’heure de Netflix, des plateformes, où l’on voit dans une même famille que l’on ne partage plus du tout le même imaginaire. Comment faire ensemble, quand chacun a un imaginaire différent de l’autre. Il y a des ruptures. La question c’est comment faire récit ensemble ? Pour moi, au-delà de la crise économique, la crise est culturelle. 




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