Littérature : Quand Zakya Daoud raconte Abdallah Ibrahim…

Avec «Abdallah Ibrahim, L’histoire des rendez-vous manqués», Zakya Daoud livre le destin da’une figure peu connue de la politique marocaine qui a pourtant joué un grand rôle dans l’histoire du pays. Un ouvrage édité chez La Croisée des chemins.
Dans cet ouvrage, Zakya Daoud raconte l’histoire de Abdallah Ibrahim, qui a été président du Conseil du gouvernement marocain de fin 1958 à mi-1960. Une courte durée qui façonnera, par ses réalisations et ses ambitions, le paysage politique marocain. «Peu de Marocains aujourd’hui savent qui est Abdallah Ibrahim. Quelques-uns se souviennent vaguement d’un homme politique. Les plus âgés se rappellent du président du conseil qui, au début des années 60, fit bouger les lignes.
Presque personne ne mesure l’importance de cette figure d’autorité morale et de conscience politique, cet humaniste porteur d’une éthique intransigeante qui a bataillé contre toutes les formes d’inertie. Distancié vis-à-vis des traditions et de la religion, il a réfléchi sur l’histoire et sur l’islam et proposé des réflexions détonantes», explique l’auteure du livre qui raconte que ce que Abdellah Ibrahim a essayé de faire dans les années 30-60, qui sont le socle du Maroc actuel, est révolutionnaire.
Selon l’ouvrage, Abdallah Ibrahim a également su résister à l’opportunisme politique et fait de sa vie un reproche vivant et permanent à toutes les entreprises de corruption. Cet honnête homme était attentif aux autres et méprisait l’argent; deux faits suffisamment rares pour susciter la curiosité. La pensée de cet intellectuel issu du Maroc ancestral, engagé dans le combat de l’Indépendance et de la construction, mérite donc d’être connue et reconnue.
«C’est ce que tente de faire cette biographie en retraçant l’histoire de ses rendez-vous manqués, plutôt celle des occasions perdues sur le chemin de l’émancipation et du développement du Maroc. Abdallah Ibrahim demeure à ce jour le porteur d’une espérance déçue», raconte Zakya Daoud, qui a côtoyé l’homme pendant des années. Cela l’a aujourd’hui amenée à publier cet ouvrage dans lequel elle revient sur toute la vie de Abdallah Ibrahim, de sa naissance jusqu’à sa disparition, en passant par son action et ses interactions avec les hommes et les femmes politiques de son époque.
En effet, même après l’arrêt de ses fonctions de président du Conseil de gouvernement, Abdallah Ibrahim, ce professeur de sciences politiques, passionné d’histoire, aimé et admiré par ses étudiants, permettra à travers sa position d’intellectuel de livrer des analyses d’une pertinence lucide. Avec constance et courage, il a gardé son honnêteté proverbiale, sa moralité intransigeante, son éthique radicale et sa relative modération politique, quitte à s’attirer les disputes et railleries de ses détracteurs comme de ses partenaires. Des photographies et documents d’archives cédés par la famille Ibrahim viennent compléter cette biographie aussi instructive qu’éclairante sur tout un pan de la vie politique marocaine.
Homme de culture…
Elle raconte la naissance d’un chef nationaliste à Marrakech. «Abdallah Ibrahim découvre très tôt Ibn Khaldoun qui devient son maître à penser. Il est aussi influencé par les écrits d’Ibn Arabi. Puis il s’intéresse très jeune à l’expérience soviétique, suite à des tracts jetés dans la médina, et notamment la première Constitution soviétique de 1930, présentée par Staline, chose qu’il révélera en même temps que son intérêt pour les auteurs romantiques français et pour les Grecs, Platon et Aristote», raconte l’auteure dans son livre, avant de révéler que l’homme politique intellectuel découvre aussi les philosophes allemands, notamment Hegel, l’économie ou encore l’auteur auteur mystique Al Hatimi, le plus grand philosophe arabe selon lui. «Abdallah Ibrahim, pour lequel l’individu est conscience, a compris très vite que changer la politique n’était pas suffisant pour changer les mentalités. Il faut travailler en profondeur le corps social, inventer une nouvelle culture, un humanisme marocain».