Culture

La taxe de trop

Instaurée en 1958 et révisée en 1998, cette taxe dite Taxe écran appliquée à la publicité dans les télés a été élargie à la presse électronique à l’insu des professionnels. Les éditeurs, annonceurs et agences de communication montent au créneau pour demander sa suppression en saisissant le directeur général des impôts.

La Fédération marocaine des éditeurs de journaux est en colère. Dans un communiqué qui vient d’être rendu public, la FMEJ fustige la décision d’élargir l’application de la taxe écran qui est de 5% à la presse électronique. Sans faire de bruit, ni les éditeurs ni les annonceurs n’ont été consultés, cette disposition fiscale a trouvé subrepticement son chemin vers la loi de Finances 2018 et fait l’objet d’une circulaire du directeur général des impôts. D’ailleurs, ce dernier a été saisi hier d’une lettre tripartite signée FMEJ-Groupement des annonceurs du Maroc-Union des agences conseil en communication. Cette correspondance, dont les ÉCO détient copie, n’en demande pas moins qu’une suppression de ladite taxe. Payée par les annonceurs via les agences de communication, cette taxe qui s’apparente à des droits de timbre sur les annonces publicitaires sur écran, devait être de facto supprimée sur deux tranches. Elle est donc passée de 10 à 5% en 1998. Mais la promesse gouvernementale de la supprimer definitivement n’a pas été respectée avec l’avènement de l’alternance. Le fait qu’elle soit aujourd’hui appliquée à la presse électronique a fini par faire sortir la profession de ses gonds. Contacté par les ÉCO, Noureddine Miftah, président de la FMEJ, a qualifié cette mesure de dangereuse, absurde et d’incompréhensible.

Quel impact sur les médias électroniques
Dans un marché publicitaire, qui ne pèse pas plus de 2 MMDH, tous types d’annonces confondus, seuls 5% vont au digital dont 70% directement happés par Facebook et Google. Les miettes qui restent et qui font vivre, survivre plutôt, toute la presse électronique se trouvent désormais sous le joug de l’impôt. L’État ne récoltera en fait pas plus de 12 MDH en taxant les annonces dans la presse électronique. Mais l’impact sur le secteur à moyen et long termes sera considérable. Car l’annonceur qui s’attendait à sa suppression ne tolérera pas l’extension de la taxe à ses insertions digitales. Il sera plus enclin à la répercuter sur son budget publicitaire qui ne bougera pas. L’année 2018 commence donc sur une note pas très encourageante pour la presse qui espérait au contraire un geste gouvernementale pour la sortir de son marasme. Car, la situation matérielle de nombre de parutions papiers et/ou électroniques est loin d’être reluisante. Seule une dizaine de sites d’informations arrivent à joindre les deux bouts. En même temps, les insertions publicitaires sont de plus en plus volatiles et sporadiques. À telle enseigne que des groupes de presse se tournent vers les abonnements et d’autres moyens d’échange pour subsister.

L’enjeu économique de la pub
Le bureau exécutif de la FMEJ, qui s’est réuni vendredi dernier à Casablanca, a exprimé sa surprise face à une décision qui fait fi des engagements gouvernementaux inscrits dans le Plan d’urgence. Ce dernier a fait pourtant l’objet d’un accord avec la FMEJ peu de temps avant la fin du mandat du gouvernement précédent. Joint au téléphone, Mounir Jazouli, président du Groupement des annonceurs du Maroc s’est dit surpris qu’une telle mesure soit prise sans que les concernés n’en soient avisés. Pour lui, il n’y a pas plus de 150 à 200 MDH d’insertions publicitaires dans les supports digitaux. Imposer ce montant dérisoire d’une taxe de 5% ne fera que compliquer .la machine comptable des annonceurs, des supports et des agences qui gèrent les investissements des annonceurs. «Ce sont ces mêmes annonceurs qui financent la presse, les médias et le pluralisme au Maroc», ajoute Jazouli. En effet, pas moins de 16 radios sont aujourd’hui complètement financées par la pub. Tout un écosystème a vu le jour depuis la libéralisation des ondes avec des investissements et des milliers d’emplois créés. Quant aux sites d’informations, ils n’ont pas d’autres sources de revenus non plus. D’un point de vue économique, indique la lettre tripartite, tout dirham dépensé en publicité génère en moyenne 15 dirhams pour l’économie. «Toute taxation additionnelle génèrera une chaîne d’effets négatifs et entravera les efforts de développement de l’économie numérique, antinomique avec la stratégie Maroc Digital 2020», lit-on par ailleurs dans la lettre adressée à Omar Faraj. D’ailleurs, une rencontre avec ce dernier est prévue lundi prochain pour mettre sur la table tous les griefs liés à la demande de suppression de la Taxe écran.


Les trois griefs des annonceurs

Dans la lettre adressée à la DGI, annonceurs, éditeurs et agences de communication ont mis en avant trois principaux arguments contre la Taxe écran :
Primo, cette taxe est contraire au principe de l’égalité de tous devant l’impôt. En effet, elle touche uniquement le secteur de la publicité audiovisuelle. L’affichage, la presse écrite ou la radio par exemple, sont épargnés. Secundo, les sommes en jeu sont modiques, une cinquantaine de millions de dirhams. Tertio, cette taxe complique singulièrement la comptabilité des agences de communication et pose des problèmes de trésorerie préjudiciables à leur activité.


À quand le fonds de promotion de la lecture ?

Au lieu d’une nouvelle taxe, la presse papier et électronique attendait de voir l’aide publique augmenter. Une aide qui ne dépasse guère 65 millions de dirhams, alors qu’en France par exemple, le soutien de l’État atteint les 15 milliards de dirhams. Sans commune mesure. Les éditeurs de journaux craignent pour l’avenir d’un secteur qui se tortille dans tous les sens pour prendre son envol, en vain. La crise de la lecture que tout le monde connaît au Maroc n’a pas encore servi comme alarme pour les autorités afin de mettre en place le Fonds de promotion de la lecture, resté lettre morte.


Télés, tablettes et téléphones dans le même panier

Ce nouvel impôt ne pouvait plus mal tomber dans un temps où quatre journalistes sont poursuivis dans le cadre du Code pénal pour avoir publié des informations véridiques. Cela s’ajoute au transfert d’une partie de l’article 72 du Code de la presse au Code pénal par le biais d’un projet de loi sans concertation avec les professionnels. Et plus récemment, l’on entend parler des prémices d’un projet de loi pour sanctionner les fake news. La FMEJ n’est pas contre l’application de la loi sur la presse et l’édition. Rappelons qu’elle s’est liée au syndicat de la presse en août 2017, dans leur combat pour accélérer sa mise en vigueur afin de remettre de l’ordre dans un secteur qui allait dans tous les sens. Mais de là à subir une taxe superflue en fait, car elle met dans le même panier la télé et les PC, les tablettes ou les smartphones…. Certes le montant des 5% est dérisoire au regard des rentrées publicitaires rachitiques de la presse électronique. Mais la symbolique que cette taxe est forte. Celle de tuer dans l’œuf une nouvelle presse qui cherche sa voie et qui pourrait à l’avenir représenter une alternative unique à la presse papier.


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