Sécurité alimentaire : les défis de 2050 inquiètent
L’intervention de Jacques Attali, lors de «La Voix de l’Afrique», a mis en évidence les enjeux cruciaux de la sécurité alimentaire en Afrique d’ici à 2050. Ses réflexions soulignent la nécessité d’une action urgente pour repenser les approches agricoles, relever les défis climatiques et trouver des solutions durables pour nourrir une population croissante. Détails.
Jacques Attali met en garde contre les défis de la sécurité alimentaire en Afrique d’ici à 2050. Lors de l’événement «La Voix de l’Afrique» organisé par l’UM6P sur la sécurité alimentaire et la durabilité, l’influent président d’Attali Associates a partagé ses réflexions sur l’avenir de l’agriculture, l’impact du changement climatique sur la sécurité alimentaire et les défis auxquels différentes régions du monde seront confrontées.
Dans son intervention, l’économiste est revenu sur les enjeux majeurs auxquels le continent africain fera face en matière d’alimentation d’ici à 2050. Il a notamment mis en évidence plusieurs facteurs clés, notamment la projection d’une augmentation de la population mondiale d’un milliard à deux milliards d’ici à 2050, avec une population africaine estimée à environ 2,5 milliards. Il a également souligné l’augmentation massive de la population urbaine, avec des villes comme Lagos au Nigeria qui devraient atteindre une population de 130 millions d’habitants.
Doubler la production agricole sur le continent
Pour répondre aux besoins alimentaires de cette population croissante, Jacques Attali souligne la nécessité d’augmenter la production agricole mondiale d’au moins 40%. En ce qui concerne l’Afrique, il estime que la production agricole devrait augmenter d’au moins 100%. Cependant, il note que la production agricole actuelle en Afrique ne suffit pas à nourrir le continent, en partie en raison de l’importation croissante de denrées alimentaires et de la vente de terres agricoles à des puissances étrangères. L’économiste avertit que si les tendances actuelles se poursuivent, le nombre de personnes souffrant de la faim en Afrique augmentera d’au moins 60% d’ici à 2050, malgré la croissance de la population. Il souligne également les défis supplémentaires liés au changement climatique, prévoyant des augmentations significatives de la température et des conditions de sol difficiles, en particulier dans les pays les plus vulnérables.
«Ce que nous observons, c’est une évolution climatique alarmante. Il est important de ne pas croire aveuglément les estimations selon lesquelles la température de la planète augmentera d’un degré et demi ou de deux degrés. En réalité, les projections actuelles suggèrent une augmentation d’au moins quatre degrés. Cela implique des variations de température d’au moins 10 degrés, avec des écarts de plus ou moins cinq degrés. Par conséquent, les températures du sol connaîtront une augmentation au moins de cette ampleur, voire davantage. Cette situation entraînera des conséquences considérables, en particulier pour les pays les plus vulnérables et leurs sols. Il est estimé qu’au moins pendant deux mois par an, les pays les plus fragiles connaîtront des températures supérieures à 35 degrés. Cependant, je crains que cette estimation ne soit très optimiste, et que la réalité soit bien pire. Face à cela, il est évident que nous ne pourrons pas continuer à cultiver les sols de la même manière», explique Attali.
L’orateur souligne la nécessité de repenser les méthodes agricoles actuelles et d’adopter des approches technologiques, culturelles et politiques innovantes pour relever ces défis. Il souligne également la contradiction apparente entre l’objectif de sécurité alimentaire de l’Afrique et les objectifs écologiques tels que la préservation des sols, la reforestation et la séquestration du carbone.
Le rôle-clé des progrès technologiques
Lors de son intervention, le théoricien social a aussi souligné l’importance des progrès technologiques tels que l’Intelligence artificielle, l’Internet des objets, les drones et les satellites, ainsi que les dimensions de science-fiction telles que l’agriculture désertique, l’agriculture en mer, l’agriculture verticale, la viande artificielle et les insectes.
Cependant, Attali met également en évidence d’autres éléments à prendre en considération. Il exprime son désaccord avec l’utilisation du terme «engrais» pour décrire les produits dérivés du phosphate, préférant plutôt les appeler «nutriments». Selon lui, le terme «engrais» devrait être réservé aux produits dérivés de l’azote, qui ont une utilisation totalement différente. Cette distinction souligne l’importance de reconnaître les différentes sources de nutriments dans l’agriculture.
De plus, l’économiste souligne le faible niveau d’utilisation de nutriments en Afrique par rapport aux autres continents. Il a également mis en avant l’importance de revenir à l’utilisation de fertilisants naturels tels que le compost, et de laisser la nature se régénérer d’elle-même.
Le gaspillage alimentaire
Un autre point crucial soulevé par Attali est le gaspillage alimentaire. Il note que 40% des aliments produits sur la planète sont gaspillés, ce qui représente une part importante du problème alimentaire mondial. Le panéliste souligne la nécessité de réduire ce gaspillage afin de résoudre une partie significative du problème alimentaire. En ce qui concerne les habitudes alimentaires, Attali affirme que la consommation excessive de viande et de sucre est préjudiciable à la santé et à l’environnement. Il encourage à réduire la consommation de viande et de sucre, ce qui permettrait de résoudre plus facilement les problèmes alimentaires mondiaux tout en améliorant la santé et l’environnement. Enfin, Attali met en avant l’importance de la formation des agriculteurs, en particulier des femmes vivant en milieu rural. Il souligne également l’importance de la propriété foncière pour les agriculteurs, estimant que si les terres agricoles étaient davantage la propriété des agriculteurs plutôt que de grandes exploitations, cela améliorerait la situation globale.
«Je ne souhaite pas vous submerger de chiffres, mais il est estimé qu’au moins pendant deux mois par an les pays les plus fragiles connaîtront des températures supérieures à 35 degrés. Cependant, je crains que cette estimation ne soit très optimiste, et que la réalité soit bien pire. Face à cela, il est évident que nous ne pourrons pas continuer à cultiver les sols de la même manière.
De plus, nous ne pourrons pas augmenter considérablement les surfaces cultivées. D’une part, cela s’explique par la disponibilité limitée des terres, et, d’autre part, par la croissance continue des zones urbaines. De plus, une contradiction majeure se profile entre l’objectif de renforcer la sécurité alimentaire de l’Afrique et les autres impératifs écologiques, tels que la préservation des sols, le développement de la reforestation et la mise en place de mesures de séquestration du carbone.
Ces deux objectifs, se nourrir et se protéger, semblent en conflit. Et, malheureusement, dans l’histoire de l’humanité, lorsque nous sommes confrontés au choix entre se nourrir et d’autres considérations, nous avons toujours tendance à privilégier la nourriture».
Modeste Kouamé / Les Inspirations ÉCO