Samir. Qui bloque le redémarrage ?
En ne donnant aucune visibilité sur le secteur des hydrocarbures, principalement la reprise du raffineur de Mohammedia, le gouvernement ralentirait le processus. Selon le représentant du Front de sauvegarde de la raffinerie, la Samir a besoin de tout au plus 1 MMDH pour démarrer, tandis qu’une nouvelle raffinerie coûterait 100 fois plus cher.
Le Front national pour la sauvegarde de la raffinerie marocaine de pétrole n’en démord pas. Constituée en juillet 2018, cette ligne de défense a été de tous les combats pour sauver la Samir, dont le dernier acte est un mémorandum soumis au Conseil de la concurrence. Ce dernier, rappelons-le, vient de publier son avis suite à la saisine gouvernementale à propos du plafonnement des marges bénéficiaires des distributeurs d’hydrocarbures. Un verdict nuancé, rejetant le plafonnement comme mesure «anti-concurrentielle», mais appelant par la même occasion à une refonte du secteur dont la libéralisation aurait été, selon le conseil, mal accompagnée. Réuni le lundi 18 février, le front s’est fendu d’un communiqué au ton ferme et au verbe acerbe sur les «conséquences majeures» de l’arrêt de la production au sein de la raffinerie de Mohammedia. Ceci, tant sur le plan économique et social qu’en matière de développement et de sécurisation de l’approvisionnement du marché national en produits pétroliers.
Contacté par les Inspirations ÉCO, El Houssine El Yamani, coordinateur du front, estime qu’il y a une ignorance du dossier même chez certains responsables politiques. Criblée de dettes, l’unique raffinerie du pays fait aujourd’hui l’objet d’une liquidation judiciaire au milieu d’une cacophonie générale sur les possibilités de sa reprise et de son éventuel redémarrage. El Yamani, qui a roulé sa bosse durant 28 ans dans le secteur, en veut au gouvernement qui ne donne plus de visibilité sur le secteur du raffinage au Maroc. «Plusieurs acquéreurs sont prêts à franchir le pas, mais ils attendent que l’État clarifie sa vision à propos du secteur», explique-t-il.
Par ricochet, tout atermoiement à ce niveau condamne un peu plus l’unité de Mohammedia à l’arrêt. Pour notre interlocuteur, la raffinerie est capable de reprendre son activité après son entretien. Le coût de ce dernier ne dépassera pas 1 MMDH sachant qu’en temps normal, le coût annuel d’entretien de la Samir variait entre 100 et 200 MDH. Sachant que la Société anonyme marocaine de l’industrie du raffinage (Samir) est en arrêt de production depuis août 2015, un simple calcul nous amène à un coût d’entretien de 800 MDH, voire 1 MMDH comme estimation maximale. La construction d’une nouvelle raffinerie, selon les due diligences d’experts internationaux, nécessite 10 milliards de dollars, soit 100 fois le coût d’un entretien pré-démarrage. Sans oublier tout l’écosystème nécessaire à la bonne marche d’une nouvelle raffinerie: un port à capacité d’accueil des pétroliers, des structures de stockage et des pipelines. Des structures qui faisaient pourtant la fierté de la Samir qui disposait d’une capacité de stockage de 2 millions de m3 dont 200.000 m3 à Sidi Kacem reliés via pipeline souterrain. Et comme l’avait bien mentionné le Conseil de la concurrence dans son dernier avis, le retour du raffinage renforcerait la concurrence dans un marché aujourd’hui dominé par 5 sociétés de distributions (70% de part de marché) sur les 20 que compte le secteur. «En fait, il y a une résistance au retour de la Samir car elle dévoilerait alors au grand jour les vices et dysfonctionnements du marché et installerait un vrai climat de concurrence», nous confie El Yamani.
Il faut savoir que depuis 2002, les initiateurs du front, syndicalistes, experts et autres acteurs associatifs ont proposé une approche basée sur la complémentarité et la concurrence loyale entre le raffinage et l’importation pour répondre au besoin des consommateurs marocains dans des conditions optimales. Mais l’on va encore plus loin en affirmant que la Samir est capable de satisfaire les besoins du marché en fuel (1,7 millions de tonnes), kérosène (700.000 tonnes), super (750.000 tonnes) et bitume (400.000 tonnes) que le Maroc exportait même en Algérie. Le raffineur serait également capable de produire 50% des besoins annuels en gasoil, qui sont de 7 millions de tonnes. En gros, le raffineur aujourd’hui en stand-by -voire en mort programmée- serait capable de subvenir à 75 ou 80% des besoins nationaux en produits pétroliers. Mais pour réguler le marché dans une situation marquée par une tension permanente avec le gouvernement et les usagers, le front propose la création d’une Agence nationale de l’énergie. Un régulateur qui serait à même de maîtriser l’élan du marché tout en donnant cette visibilité que les acteurs nationaux et internationaux réclament. Le marché a besoin d’une nouvelle génération de lois en phase avec la volonté du pays de devenir un hub énergétique tout en préservant le pouvoir d’achat et la compétitivité de l’économie qui dépend beaucoup de l’input-hydrocarbures. Pour El Yamani, les distributeurs ne sont pas contre le plafonnement, mais ils voudraient grignoter encore plus en négociant avec le gouvernement. Le plafonnement des marges bénéficiaires tel qu’expliqué permettrait de passer à un gain de 700 DH/tonne avant la libéralisation à 1.100 DH/tonne, mais les concernés s’attendraient à une plus grande marge. Aujourd’hui, le front ne demande rien de moins qu’une suspension de la libéralisation du secteur jusqu’à ce que les conditions d’une concurrence saine et loyale, comme indiqué par le Conseil de la concurrence, soient établies.
La vérité sur les prix
Le GPBM estime que les prix à la pompe au Maroc sont les moins chers parmi 28 pays de la région. L’on compare aussi, souvent, les prix au Maroc à ceux de la France qui frôlent le double. À cette question particulière, notre source estime qu’il faut relativiser cette comparaison car, ajoute-t-il, en France, 60% du prix est constitué de divers impôts contre 30% au Maroc. Dans son communiqué, le front refuse «la légitimation des profits immoraux et s’oppose à un accroissement illégitime des bénéfices des distributeurs qui serait acté à travers un plafonnement faisant à l’heure actuelle l’objet d’une négociation».