Éco-Business

«Quatre engagements clés en matière de climat»

Abdellatif Zaghnoun, directeur général de la Caisse de dépôt et de gestion

Nous vous rencontrons dans le contexte particulier de la COP22. Quelles impressions dégagez-vous de cet évènement ?
Sur le plan de l’organisation, je dirais que tout est parfait. Il y a une mobilisation totale de l’ensemble des acteurs, des conférences des riches et des propositions très intéressantes. Je dirais que c’est une COP qui marche très bien (rires).

Nous avons assisté, durant cette COP, à de grandes annonces de la part d’opérateurs nationaux et régionaux. En tant que méga-investisseur, que prévoit la feuille de route verte de la CDG ?  
Le groupe CDG est un acteur majeur dans le développement socio-économique de notre pays. Nous sommes le premier investisseur institutionnel. Entre 2011 et 2015, le groupe a investi plus de 45 MMDH dans différents secteurs, qu’il s’agisse de l’immobilier dans toutes ses composantes, le tourisme avec les stations touristiques, les banques, la Bourse, les finances… avec cela, nous sommes au cœur de la stratégie de développement national et, bien sûr, la composante climat constitue également l’une des composantes majeures de notre stratégie à l’horizon 2020. J’ai la conviction que nous pouvons assurer un équilibre entre la croissance économique, le développement et la préservation de l’environnement. Je dirais même que cela constitue une opportunité pour nous afin d’accélérer le développement des grands projets structurants dans notre pays. Dans ce cadre, nous avons pris quatre engagements en matière de climat. Notre premier engagement consiste justement à inscrire cette composante «climat» dans notre vision stratégique. C’est un axe important qu’il faut décliner en objectifs clairs et précis dans différents domaines d’activité, avec une évaluation régulière pour s’assurer qu’on s’achemine vers ces objectifs. Et cela s’inscrit dans la durée! Le deuxième engagement concerne l’efficacité énergétique. Il s’agit de trouver des mécanismes et une approche concrète afin d’atteindre les objectifs nationaux en la matière. Dans ce cadre, nous proposons une initiative à laquelle deux partenaires publics ont déjà adhéré. Elle consiste en un partenariat qui aura deux missions. L’une consistera en l’accompagnement des départements gouvernementaux, entre autres le département de l’Éducation nationale, celui de la Santé, les établissements pénitentiaires… pour les accompagner d’abord en matière d’identification des projets, d’élaboration de business plans, de formations, de sensibilisation à cette problématique d’utilisation rationnelle de l’énergie. Concrètement, nous irons vers ces organismes afin d’identifier un certain nombre d’établissements qui seront les opérations pilotes de cette initiative. Ici, les trois partenaires sont complémentaires (l’un a la connaissance du métier, l’autre porte la stratégie et nous, en tant que troisième partenaire, avons la maîtrise de la mobilisation des finances et l’élaboration des business plans…) C’est un modèle que nous souhaitons généraliser par la suite à l’ensemble des bâtiments publics. Il faudrait bien sûr que d’autres organismes publics viennent porter avec nous ce projet.

Et des partenaires financiers certainement…
Justement, la deuxième action consiste en la mobilisation des finances nécessaires auprès des bailleurs de fonds afin de financer ces projets. À ce stade-là, nous avons déjà l’appui d’un certain nombre d’organismes internationaux qui ont exprimé leur appui total à cette initiative. C’est donc la traduction dans les faits de la vision du pays en matière d’efficacité énergétique. C’est cela même qui est attendu de cette COP22: chercher les mécanismes et les modes opératoires nous permettant de parvenir aux objectifs escomptés. Le troisième engagement concerne la mesure de l’empreinte carbone. Nous voulons lancer cette action de mesure, mais aussi déterminer l’écart de l’empreinte carbone et entreprendre les mesures nécessaires pour le réduire. Là, nous avons choisi deux domaines d’activité. Dans un premier temps, nous allons mesurer l’empreinte carbone dans les établissements tertiaires (bureaux et services…) et dans les bâtiments de l’hôtellerie (hôtels, stations hôtelières…). Notez que nous avons déjà initié cette action dans un certain nombre d’établissements.

Comment donc pérenniser ces orientations ?
C’est en cela que notre quatrième engagement prend tout son sens. Cet engagement concerne les mesures qui permettront de pérenniser toutes les actions citées. Notre stratégie s’inscrivant dans la durée, elle impose de s’assurer de la pérennité de ces actions. Dans ce cadre, je peux annoncer que la CDG a intégré l’Institut pour l’économie du climat (I4CE – Institute for Climate Economics) qui est un espace d’échange, de réflexion en matière de climat. Le fait d’intégrer cet espace, dont les partenaires sont notamment la CDC France et l’AFD, favorise pour nous le transfert d’expérience et d’expertise du Nord vers le Sud. Nous créerons certainement une entité au Maroc pour généraliser ce savoir-faire à l’échelle nationale et, pourquoi pas, le transférer par la suite vers l’Afrique.

Des engagements certes ambitieux, mais qui nécessitent une forte mobilisation, notamment financière. Comment ce volet sera-t-il géré au sein du groupe CDG ?
Il est important de souligner que, lorsqu’il s’agit d’accompagner les organismes publics dans le déploiement de leur stratégie, nous mettons davantage à disposition notre savoir-faire et notre expertise. Par rapport au financement, ce ne sont pas forcément les entités qui ont créé ce partenariat qui le financeront. Les bailleurs de fonds, les institutions internationales sont prêts à mobiliser les fonds nécessaires car ils ont notre garantie et ils nous font confiance. Notre rôle sera de faire office de levier pour ramener ces fonds. Au niveau des projets au sein du groupe, il y a deux mesures importantes qui sont entreprises: pour les nouveaux projets développés dans l’immobilier ou dans le tourisme, la dimension climat sera prise en compte avec tous ses critères et ses contraintes. Des études de rentabilité seront bien entendu menées pour assurer cet équilibre entre le développement durable et l’optimisation. La seconde mesure concerne les financements. En effet, quelques fois, nous ne sommes pas développeurs mais nous participons financièrement à certaines opérations. Là aussi, dans toutes nos participations de financement, nous tiendrons compte de ces aspects. Maintenant, quant à la question de savoir si une enveloppe est déjà arrêtée, je dirais que cela n’est pas encore possible car il faut identifier les projets, engager les études de rentabilité, tracer les business plans et ce n’est qu’à ce moment-là que nous cernerons le surplus qui sera généré par cette dimension Climat.

Vous évoquez un bon potentiel de synchronisation des actions entre la CDG et d’autres départements publics. Percevez-vous ce même engouement auprès d’opérateurs privés ?
J’ai la ferme conviction que les institutionnels financiers publics ont un rôle capital à jouer pour mobiliser les ressources nécessaires, tant publiques que privées. L’initiative sur laquelle nous sommes avec les institutionnels publics permettra de mobiliser les financements publics mais également privés. Nous servirons donc de levier sur le volet financier. Les expériences au niveau mondial ont montré que c’est le secteur public qui sert d’initiateur et de mobilisateur. Par ailleurs, l’autre nouveauté en matière de mobilisation de fonds pour financer les projets verts est que nous allons créer un club d’investisseurs africains pour mobiliser les fonds gérés par les caisses de dépôt et de gestion ou de consignation africaines; nous avons l’adhésion de l’Africa 50 et des fonds de pensions nigérians qui y prennent aussi part, en plus de l’appui des institutions internationales. C’est là un moyen de mobiliser l’épargne domestique de l’Afrique, ce qui permettra de lever des fonds auprès des instances internationales. Le secteur privé adhère forcément à ces initiatives.

Quelles recommandations pouvez-vous faire pour que nous puissions réussir le tournant «green» après la COP ?
Tout d’abord, un engagement ferme et solennel de la part de tous les responsables de mettre en œuvre les orientations prises et les décliner sur le terrain. Ensuite, il faut mettre en place les mécanismes et les modes opératoires qui permettront de cibler les projets éligibles et s’assurer d’élaborer les business plans nécessaires et de la bonne affectation des financements. Il faut donc chercher les meilleurs projets verts, rentables et en ligne avec les standards internationaux, avec un suivi et une évaluation réguliers pour s’assurer que la mise en œuvre des projets se fasse dans les meilleures conditions. Aussi, il faut démarrer progressivement, par deux ou trois projets, pouvant être généralisés après leur réussite. 



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