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Lutte contre les avoirs illicites : le Maroc sous les projecteurs

Le bilan de la lutte contre les avoirs illicites au Maroc est mitigé. Si des progrès notables ont été accomplis, tels que la sortie du Royaume de la «liste grise» du GAFI, des faiblesses subsistent dans plusieurs domaines clés, comme le révèle le rapport d’évaluation de Transparency Maroc.

Bilan mitigé de la lutte contre les avoirs illicites au Maroc. À en croire Transparency Maroc, les progrès sont notables mais des défis majeurs persistent. Le Royaume a réalisé des progrès relatifs dans la mise en place d’un dispositif de détection et d’identification des avoirs illicites, comme en témoigne sa sortie de la «liste grise» du GAFI, en 2023.

Cependant, des défis persistent. C’est ce que souligne le récent rapport d’évaluation que vient de publier Transparency Maroc, signé par Dr. Mohammed Berraou, expert en gouvernance publique et recouvrement d’avoirs. Première préoccupation levée par le document d’évaluation : la transparence du patrimoine des agents publics au Maroc.

La transparence sur  le patrimoine des agents publics : un défi persistant
Le document d’évaluation soulève des préoccupations légitimes concernant la transparence du patrimoine des agents publics au Maroc. Bien qu’un cadre légal imposant des déclarations obligatoires de patrimoine soit en place, ces déclarations ne sont pas rendues publiques, ce qui soulève des questions quant au caractère effectif de ce dispositif.

Selon Transparency Maroc, l’institution chargée de recueillir ces déclarations n’a pas encore fourni un état détaillé et transparent sur la situation des patrimoines des déclarants. Une opacité qui entrave la capacité de la société civile et des citoyens à exercer un contrôle et à s’assurer que les agents publics ne s’enrichissent pas de manière illicite.

De plus, la Cour des comptes, après avoir examiné un échantillon de déclarations, a conclu que les informations fournies «ne permettent pas de tirer des conclusions fiables» sur l’évolution des patrimoines. Cette conclusion met en lumière les lacunes potentielles dans le processus de déclaration et de vérification des patrimoines. Une situation qui soulève plusieurs défis majeurs.

À commencer par le manque de transparence : l’absence de publication des déclarations de patrimoine entrave la transparence et nuit à la confiance des citoyens envers les institutions publiques. Des lacunes dans le processus de vérification existent également : les conclusions de la Cour des comptes soulignent les faiblesses potentielles dans le processus de vérification des déclarations, ce qui pourrait permettre à des agents publics de dissimuler des enrichissements illicites. Sans un accès public aux déclarations de patrimoine, il est difficile de tenir les agents publics responsables de tout enrichissement injustifié ou de tout conflit d’intérêts potentiel.

Nécessité de renforcer les capacités de l’ANRF et l’entraide judiciaire internationale
Bien que des progrès notables aient été accomplis dans la mise en place d’un cadre juridique et institutionnel pour lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, l’évaluation souligne certaines faiblesses persistantes qui nécessitent une attention particulière. À commencer par le renforcement des capacités opérationnelles de l’Autorité nationale des renseignements financiers (ANRF). Soulignons que l’ANRF est l’organe central chargé de recevoir les déclarations de soupçon de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme.

Cependant, l’évaluation souligne que sa capacité opérationnelle reste à renforcer. «Il est crucial de doter l’ANRF des ressources humaines, techniques et financières adéquates pour lui permettre de traiter efficacement les déclarations de soupçon et de mener des analyses approfondies».

Pour lutter contre les activités criminelles transfrontalières, l’entraide judiciaire internationale est essentielle.  Cependant, l’évaluation révèle qu’aucun texte spécifique n’existe au Maroc pour encadrer ce processus, les demandes devant transiter par la voie diplomatique, sauf en cas d’accords bilatéraux. Une procédure qui peut s’avérer lente et inefficace, entravant ainsi les enquêtes et les poursuites judiciaires. Il serait donc judicieux d’adopter une loi spécifique sur l’entraide judiciaire internationale, définissant des procédures claires et rapides pour faciliter la coopération avec les partenaires étrangers.

Autre point d’achoppement : le Maroc a signé la convention de l’OCDE sur l’échange de renseignements en matière fiscale, un instrument clé pour lutter contre l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent. Cependant, sa ratification a été suspendue, ce qui empêche sa mise en œuvre effective.

Pour gagner en efficacité, il est important que le Royaume finalise le processus de ratification afin de bénéficier d’un cadre renforcé pour l’échange d’informations fiscales avec d’autres juridictions, contribuant ainsi à la transparence et à la lutte contre les flux financiers illicites.

Autant dire que pour relever ces défis, une approche globale et coordonnée sera nécessaire, impliquant tous les acteurs concernés, tels que les autorités compétentes, les institutions financières, les professionnels non financiers désignés et les partenaires internationaux. Des ressources adéquates devront être allouées au renforcement des capacités de l’ANRF, au renforcement du cadre juridique sur l’entraide judiciaire et à la ratification rapide des conventions internationales pertinentes.

Renforcement des obligations des institutions financières : un pilier essentiel
Dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, le secteur financier joue un rôle crucial en tant que maillon essentiel de la chaîne de détection et de signalement des activités suspectes.

À cet effet, le cadre juridique marocain impose aux institutions financières des obligations strictes visant à prévenir et détecter les flux financiers illicites. Comme le précise le rapport, ces obligations sont prévues dans la loi bancaire, la loi anti-blanchiment et les directives de la Banque centrale.

Parmi les principales obligations, on peut citer :

– Les mesures de vigilance à l’égard de la clientèle (CDD, KYC) : les institutions financières sont tenues d’identifier et de vérifier l’identité de leurs clients, ainsi que de comprendre la nature de leurs activités et des relations d’affaires envisagées. Cette diligence raisonnable est essentielle pour prévenir l’utilisation du système financier à des fins illicites.

– La déclaration de transactions suspectes : en cas de soupçon de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme, les institutions financières ont l’obligation de déclarer ces transactions suspectes aux autorités compétentes, telles que les services de renseignement financier.

– La diligence renforcée pour les clients à haut risque : certains clients, comme les personnes politiquement exposées (PPE), présentent un risque accru de blanchiment d’argent en raison de leur exposition potentielle à la corruption. Les institutions financières sont donc tenues d’appliquer des mesures de diligence renforcée pour ces clients à haut risque.

Le respect de ces obligations par les institutions financières est crucial pour détecter et signaler les activités suspectes, contribuant ainsi à endiguer les flux financiers illicites.

Cependant, pour assurer l’efficacité de ce dispositif, plusieurs défis doivent être relevés, notamment la formation et la sensibilisation continues du personnel des institutions financières aux techniques de blanchiment d’argent et aux obligations réglementaires, le renforcement des capacités de surveillance et de contrôle des autorités de régulation pour s’assurer de la conformité des institutions financières, la mise en place de sanctions dissuasives en cas de non-respect des obligations par les institutions financières, ou encore la coopération et l’échange d’informations entre les institutions financières, les autorités de régulation et les services de renseignement financier, tant au niveau national qu’international.

En imposant des obligations strictes aux institutions financières, le Maroc s’aligne sur les normes et les meilleures pratiques internationales en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Cependant, des efforts continus sont nécessaires pour garantir l’efficacité de ce dispositif et préserver l’intégrité du système financier national.

Recouvrement des avoirs, protection des lanceurs d’alerte, coopération internationale

Si une stratégie nationale anti-corruption existe, le Maroc ne dispose pas d’un plan dédié au recouvrement des avoirs. Des actions de sensibilisation ont été menées ces trois dernières années, mais peu d’initiatives de plaidoyer international.

Sur la gestion des avoirs recouvrés, «de bonnes intentions politiques ont été exprimées pour créer une agence dédiée», note le rapport d’évaluation.

La protection des lanceurs d’alerte dans les affaires financières reste limitée juridiquement, appelant un renforcement. Aux niveaux international et régional, des engagements normatifs existent mais manquent d’initiatives opérationnelles concrètes.

En interne, des protocoles de partenariat ont été signés récemment entre les parties prenantes. En somme, si les progrès sont notables, des défis majeurs subsistent dans la transparence patrimoniale, les capacités institutionnelles et opérationnelles, ainsi que la mise en œuvre effective des engagements internationaux du Royaume.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO



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