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L’Exécutif veut rassurer

Selon la majorité, le gouvernement a brusquement pris cette décision durant le week-end pour éviter des mouvements spéculatifs. Les économistes de gauche craignent pour la dette et estiment que c’est un véritable enjeu pour les industriels.

L’entrée en vigueur du nouveau régime de change, pour lequel la bande de variation de la monnaie nationale a été élargie, suscite beaucoup de débats. Si la question du timing est en elle-même source d’interrogation, la controverse concerne surtout l’efficience d’une telle mesure. Pour Abdellatif Brouhou, expert en finances publiques et membre de l’équipe Justice et développement à la Chambre des représentants, «Cette libéralisation partielle donne des garanties fondamentales qui protègent l’économie nationale et le système financier et stabilise le risque d’inflation». Selon lui, le gouvernement a pris cette décision brusquement durant le week-end pour éviter la spéculation en devises et prévenir toute forme de contournement de la loi par plusieurs banques ou acteurs économiques œuvrant dans les domaines de l’exportation et de l’importation. Il faut dire que l’annonce par le gouverneur de la Banque du Maroc fin 2016 de l’intention du Royaume de faire flotter le dirham a fait craindre de réelles répercussions sur l’économie nationale. Selon le gouverneur de Bank Al-Maghrib, certaines banques et certaines entreprises exportatrices et importatrices ont aussi sérieusement réduit les réserves de change du Maroc par des méthodes frauduleuses. Cependant, le gouvernement est intervenu durant le mois de juin pour suspendre la décision et différer sa mise en œuvre, jusqu’à ce que les conditions et garanties nécessaires pour protéger l’économie nationale et le pouvoir d’achat des citoyens soient réunies.

Du côté de l’analyste économique Najib Akesbi, la décision de libéraliser le taux de change du dirham affecterait négativement la performance de la balance commerciale et la détériorerait davantage, soulignant que ceux qui ont pris cette décision causeront de graves dommages à l’économie nationale. «Ceux qui ont pris cette décision affirment que cette libéralisation sera bénéfique pour le commerce extérieur du Maroc, mais les expériences internationales précédentes ont prouvé que cette étape est désastreuse pour certains pays». L’économiste explique que cette thèse est une recette classique préparée par la Banque mondiale pour un certain nombre de pays, quel que soit le type d’économie. «Certains pays asiatiques, comme l’Indonésie et la Thaïlande, ont déjà adopté ce plan, ce qui a provoqué une catastrophe, ces pays ayant connu une crise suffocante à la fin des années 1990». Surtout, l’opposition considère que l’impact sur la dette sera mauvais. «Sans emprunter plus d’argent, le solde actuel que le Maroc doit verser aux banques que nous empruntons coûtera plus cher lorsque la monnaie sera libérée: si, par exemple, la dette est maintenant de 300 milliards de dollars, le montant à rembourser sera supérieur au vu de la baisse de la valeur du dirham», conclut Akesbi. Il est vrai que la persistance de déséquilibres externes est l’un des inconvénients majeurs d’une telle mesure. La théorie monétariste affirme qu’un pays ayant une balance courante déficitaire provoque une dépréciation de la monnaie qui, in fine, permettrait une correction de la balance courante. En pratique, les déséquilibres persistent, notamment aux États-Unis qui accumulent les créances envers le reste du monde.

Plusieurs économistes, dont Milton Friedman, ont indiqué que l’autonomie des politiques monétaires, conférée par un régime de change flottant, est illusoire. «Les monétaristes croient que le change flottant permettrait de donner une liberté de manœuvre pour mener des politiques monétaires. Mais, pour mener une politique monétaire, il faut s’assurer d’avoir une monnaie crédible aux yeux des agents économiques. Ainsi, quand le Zimbabwe mène une politique monétaire, elle n’aura aucune incidence du fait d’une hyperinflation, alors que la Fed peut, elle, mener des politiques efficaces. Pour cette raison, beaucoup de pays comme la France ont abandonné leur crédibilité monétaire pour emprunter celle de leur voisin, notamment celle du deutsch mark dans les années 1970». Pour Attac Maroc, ONG altermondialiste, cette mesure favorisera l’épaississement de la sphère financière, notamment avec des hedge funds qui dépassent en taille le PIB d’un pays, et font relativiser la notion d’un prix de marché pour la monnaie d’un petit pays. «La dollarisation est apparue comme solution efficace pour éviter tout problème inhérent à la spéculation. Les changes flottants devaient réduire les besoins de réserves des États. La réalité montre qu’ils n’ont jamais été aussi importants».


Il faut rôder les opérateurs 

Ahmed Azirar
Professeur d’enseignement supérieur, fondateur de l’Association marocaine des économistes d’entreprise (AMEEN)

Les Inspirations ÉCO : Les autorités financières disent que le Maroc dispose de «prérequis solides» pour la flexibilisation du régime de change ?   
Ahmed Azirar : Oui. Nous sommes dans une situation où les grands agrégats macro-économiques sont globalement équilibrés. Une dette soutenue, une faible intrusion des investissements spéculatifs, une inflation largement maîtrisée, une réglementation de change rigide, et un budget global de moins en moins déficitaire, le tout avec un matelas confortable de devises (ndlr : 5 mois). En réalité, cette question a été soulevée par le FMI pour le Maroc qu’il considère comme un «bon élève» en termes de libéralisation de l’économie. Cette mesure est donc logique. Les autorités financières ont commencé cette transition avec le renforcement de l’indépendance de la Banque centrale et celui de la solidité du secteur financier, premiers préalables réalisés. Elle s’inscrit dans la volonté du gouvernement d’”internationaliser” l’économie, de mieux l’insérer dans les échanges mondiaux, d’en faire une puissance exportatrice… Or, un taux de change flottant est devenu la norme, pour être partie prenante du commerce mondiale.

Mais pourtant, la décision suscite beaucoup de craintes, chez les opérateurs autant que sur les citoyens…
On peut spéculer sur les taux d’inflation, toutes les hypothèses sont désormais possibles, mais seront dictées par le marché. Les sources de risques sont plurielles, l’on dispose d’un tissu industriel fragile, déficit commercial structurel, d’une faible valeur ajoutée des exportations, une faible productivité. L’on peut donc estimer qu’aujourd’hui, la valeur du DH est surestimée, et sera ramenée à sa valeur réelle lorsqu’il sera indexé sur la performance des opérateurs économiques. Cette élargissement de la bande de variation n’est qu’un préalable pour rôder les opérateurs économiques qui devront ainsi se montrer plus compétitifs.

Dans ce contexte, quel est le rôle de la Banque centrale ?
Cette mesure réduit drastiquement sa zone d’intervention. Toutefois, en cas de forte instabilité du cours de change une autorité monétaire peut intervenir sur le marché de change soit en vendant ou en achetant une ou des devises soit en instaurant le contrôle de change.   


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