Indépendance de BAM : Faut-il faire sauter les verrous?

La réforme du statut de Bank Al-Maghrib (BAM) soulève déjà un débat important au sein des composantes de la majorité et de l’opposition à la Chambre des représentants. Les échanges concernent particulièrement la question de l’indépendance de BAM. Tandis que le PJD prône une poursuite de l’exercice des attributions de la Banque centrale sous l’égide du gouvernement, l’USFP plaide pour une application plus poussée de cette indépendance.
Le débat autour du nouveau statut de Bank Al-Maghrib s’annonce houleux. Le texte qui suit le circuit d’adoption depuis juillet dernier fait l’objet de profonds désaccords à la Première chambre. Le nouveau texte entend accorder plus d’indépendance à la Banque centrale, élargit ses missions et instaure des pratiques de bonne gouvernance. Concrètement, le texte prévoit d’attribuer à la Banque centrale une autonomie totale en lui conférant le pouvoir de définir l’objectif de stabilité des prix, qui devient son principal objectif. Il est clairement indiqué que ce sera à BAM de conduire la politique monétaire en toute indépendance. Les échanges entre la Banque Centrale et le gouvernement se limiteront à une simple concertation régulière entre le ministère de l’Économie et des finances et le wali de Bank Al-Maghrib en vue d’assurer la cohérence de la politique macro-prudentielle ainsi que celle de la politique monétaire. Le nouveau texte va même jusqu’à interdire à la Banque centrale de solliciter ou d’accepter toute instruction émanant du gouvernement ou de toute autre personne. Le projet prévoit en parallèle l’audition du wali de Bank Al-Maghrib par les commissions permanentes chargées des finances du Parlement sur les missions de la banque.
L’Exécutif dépouillé?
Ces innovations inquiètent plusieurs partis politiques de la majorité et de l’opposition. Ainsi, le PJD adopte une attitude particulièrement virulente à l’égard du texte. Dans son intervention à l’occasion de la discussion du texte devant la Chambre des représentants, le député PJD, Abdellatif Berrahou, a engagé le débat sur la nature juridique de BAM: «S’agit-il d’un établissement public ou d’un organisme totalement indépendant des institutions constitutionnelles?», s’interroge Berrahou, qui estime «impensable qu’un organisme quelconque puisse exécuter la politique monétaire de l’État en lieu et place du pouvoir exécutif». Pour ce dernier, les normes et les standards internationaux ne peuvent en aucun cas constituer un idéal à atteindre en ignorant les risques encourus et les réalités d’une économie comme celle du Maroc. Les députés du PAM ont, pour leur part, affirmé que l’indépendance de BAM ne saurait en aucun cas être considérée comme un gage de sécurité à l’égard des crises financières. Par ailleurs, le député PAM, Mohamed Hammouti, a souligné que «le ciblage de l’inflation, qui constitue l’une des principales prérogatives de BAM, gagnerait à être combiné avec des objectifs clairs en termes de croissance économique». Une innovation non incluse dans le projet de loi actuel et qui permettrait à BAM de chercher à maintenir l’équilibre fragile entre ces deux agrégats. Par ailleurs, le député PAM d’Al Hoceima s’interroge sur l’existence même d’une politique monétaire dans un contexte de «quasi-monopole par trois grandes banques de la place qui retiennent 65% de parts de marché».
Une indépendance incomplète
Pour leur part, les parlementaires de l’USFP s’affichent clairement en faveur de cette indépendance, estimant même qu’elle reste incomplète tant que plusieurs autres prérogatives n’ont pas été accordées à BAM et que la participation des membres du gouvernement dans le Conseil d’administration de la Banque centrale n’a pas été levée. «Pourquoi avoir maintenu la présence de deux représentants du gouvernement au sein du Conseil de Bank Al-Maghrib et plus particulièrement le commissaire du gouvernement, sachant que ce dernier peut très bien exercer son contrôle sans que sa présence au sein du conseil ne soit vraiment nécessaire?», demande Hanane Rihab, députée USFP. Cette dernière salue l’introduction d’une limitation du mandat pour le wali de Bank Al-Maghrib. «Cette disposition instaure en effet le principe d’inamovibilité, gage encore une fois d’une réelle indépendance sur le plan personnel, mais recèle en soi une imperfection liée à l’indétermination du renouvellement», précise Rihab. Pour la députée USFP, le maintien de la disposition consacrant la possibilité pour l’État de se financer directement auprès de la Banque centrale via le mécanisme de la facilité de caisse, constitue un autre bémol entachant la marche vers une réelle indépendance. Elle propose d’évaluer l’effectivité de cette disposition au regard de l’expérience vécue jusqu’à ce jour, avant de décider de l’opportunité de la maintenir. Par ailleurs, l’USFP critique la pauvreté de la mouture en cours de discussion en ce qui concerne la régulation et la réglementation des moyens de paiement, surtout eu égard aux récents développements liés au boom du marché de la cryptomonnaie. «À peine la Banque centrale s’assure-t-elle de la sécurité des moyens de paiement et de la pertinence des normes qui leur sont applicables. Ce n’est absolument pas suffisant… Il serait donc opportun de songer, dès à présent, et à l’occasion de ce texte même, à prévoir un dispositif pouvant servir de socle de base à une intervention de la Banque centrale en la matière», affirme Rihab.
Gestion des réserves de change
Il est à signaler qu’en plus des dispositions portant sur l’indépendance de la Banque centrale, le texte clarifie également les attributions de BAM en matière de politique du taux de change et l’assouplissement de la gestion des réserves de change. Des dispositions qui vont dans le sens du projet de la réforme de flexibilité du dirham. Selon le législateur, cette démarche permettra de «s’adapter aux meilleures pratiques selon lesquelles la politique de change relève des attributions du ministère chargé des Finances, avec toutefois la consultation des banques centrales». À ce titre, le projet de loi précise que «BAM met en œuvre la politique du taux de change dans le cadre du régime de change et des lignes fixées par le ministère de l’Économie et des finances après avis de la banque». Dans ce cadre, BAM a été également autorisée à utiliser les réserves de change dans l’objectif de défendre ou de préserver la valeur du dirham en cas de régime de change flexible. Par ailleurs, et afin d’assouplir la gestion des réserves de change, le projet de loi prévoit des dispositions visant à habiliter la banque à conclure des conventions avec ses contreparties sur la base des conventions-cadres agréées par des associations professionnelles internationales et à déléguer la gestion d’une partie des réserves de change à des mandataires dans des conditions fixées par la banque. BAM est également habilitée à décider des modalités d’utilisation des réserves de change dans un objectif de préservation de la valeur du dirham. Le projet de loi propose également d’élargir les missions de BAM pour intégrer la prévention du risque systémique et le renforcement de la stabilité financière. Enfin, le projet de loi propose l’instauration de nouveaux organes d’administration et de direction de la banque. C’est le cas en l’occurrence du Comité monétaire et financier et du Comité de stabilité financière, qui ont pour rôle d’assister le wali dans les domaines directement liés aux missions fondamentales de la banque. Un comité d’audit est également prévu, lequel a pour mission de donner un avis au conseil de la banque sur les questions relatives à l’information comptable, à l’audit interne et externe, au contrôle interne et à la maîtrise des risques.