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Hydrogène vert : le pari industriel pour une place au soleil

À Rabat, la troisième édition du Green Hydrogen Industry Forum confirme à nouveau la volonté du Royaume de s’imposer durablement comme un acteur régional de référence dans la filière de l’hydrogène vert. En misant sur ses ressources naturelles et sa posture diplomatique, le Maroc entend structurer une filière intégrée, malgré les défis technologiques, budgétaires et géopolitiques que pose cette molécule encore coûteuse.

De tout temps, les grandes mutations industrielles ont exigé des ressources abondantes, bon marché, transportables et, surtout, prévisibles. Or, à mesure que s’épuise la rente pétrolière (cf. rapport du GIEC 2018) et sous la contrainte climatique – bien que remise en cause par la première puissance mondiale -, le constat demeure le même : l’économie mondiale vit sous perfusion de ressources fossiles.

Cette dépendance structurelle pousse désormais les nations à explorer de nouveaux paradigmes. Et, en cela, le Maroc n’échappe pas à la règle. Fort d’un ensoleillement généreux et de vents réguliers, il tente d’ériger l’hydrogène vert en pivot de sa stratégie industrielle et diplomatique. C’est dans cet esprit que s’est tenue à Rabat la troisième édition du Green Hydrogen Industry Forum.

Organisée par «Économie Entreprises Live», la rencontre a fait le pari de délaisser les incantations stériles pour pousser la réflexion un cran vers le champ de l’action. «Le temps de l’action !», pouvait-on lire dans la thématique de la rencontre – une manière de conjurer les inerties.

Au programme : développement des infrastructures, accès au financement ou encore mutualisation des ressources, mais aussi cette interrogation persistante sur le modèle économique d’un secteur encore au stade embryonnaire, que d’aucuns qualifient volontiers de «molécule de croissance».

«La molécule de l’hydrogène vert est une véritable option de décarbonation pour le Maroc. Ceci étant, il faut noter que cette ambition de se positionner comme un acteur régional pose des défis, notamment la question des infrastructures hydrogène, qui sont budgétivores», souligne David Tinel, représentant régional de l’IFC au Maghreb.

Ainsi, l’enjeu est de favoriser l’émergence d’une filière cohérente, sans alourdir le fardeau budgétaire d’un pays engagé dans une transition énergétique, mais aussi sociale.

Approche holistique
Dans une prise de parole très attendue, Leila Benali, ministre de la Transition énergétique, a rappelé les fondements de cette ambition.

«L’hydrogène vert et ses dérivés comme l’ammoniaque, les e-carburants et les gaz synthétiques offrent de nouvelles perspectives de décarbonation et de développement économique et social», a-t-elle souligné dans son intervention, devant un parterre d’experts et de décideurs. Insistant sur «l’approche holistique, pragmatique et transparente» portée par l’«offre Maroc», la ministre a détaillé les ressorts d’un dispositif pensé pour attirer les capitaux privés tout en encadrant les risques.

«Le processus de sélection marocain repose sur des critères rigoureux, une gouvernance solide et une vision stratégique innovante», a-t-elle poursuivi, citant la mutualisation des infrastructures — ports, dessalement, réseaux — comme levier de réduction des coûts.

Au-delà des annonces, cette volonté politique s’inscrit dans une trajectoire de long terme. Le Royaume, qui revendique plus de 30 ans d’ouverture au capital privé dans le secteur de l’énergie, a déjà atteint un mix électrique composé à 45% d’énergies renouvelables (capacité totale installée en 2024).

À l’horizon 2030, plus de 15 GW supplémentaires devraient être déployés, représentant 120 milliards de dirhams d’investissements, dont 80% issus de sources vertes. C’est sur cette base que s’adosse désormais la filière hydrogène, à travers des projets intégrés couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur, de la production à la conversion en dérivés industriels.

«Champagne de la transition énergétique»
Mais la filière reste confrontée à un paradoxe fondamental. L’hydrogène, souvent vanté comme le carburant propre par excellence, ne se trouve pas à l’état libre dans la nature. Il faut le produire, souvent à grands renforts d’électricité. Et si cette électricité n’est pas renouvelable, le remède devient pire que le mal.

L’électrolyse de l’eau, méthode la plus courante pour produire de l’hydrogène vert, reste énergivore. D’autres procédés comme la thermolyse du méthane aggravent le bilan carbone. D’où le sobriquet de «champagne de la transition énergétique» que lui attribuent certains spécialistes, faisant ainsi de l’hydrogène une promesse élégante, mais encore réservée aux budgets solides.

C’est ici que l’offre marocaine entend faire la différence, en misant sur ses ressources solaires et éoliennes pour tirer les coûts vers le bas. Le pari est d’autant plus audacieux qu’il suppose une transformation profonde des usages, mais aussi des infrastructures. L’intégration des pipelines existants, la mise en place de corridors d’exportation, la logistique autour de l’ammoniac ou du LOHC (liquide organique porteur d’hydrogène), autant de chantiers qui structurent les discussions.

Transition «non inflationniste»
Tout l’enjeu consiste ainsi à poser les jalons d’un écosystème local, capable de valoriser cette molécule au-delà du seul prisme exportateur. Le projet d’investissement vert du groupe OCP, qui vise à produire un million de tonnes d’ammoniaque dès 2027, illustre cette logique d’ancrage territorial.

De même, les six régions engagées dans l’offre Maroc, dont trois situées dans les provinces du Sud, portent les espoirs d’un développement décentralisé.

Sur la scène internationale, le Royaume n’avance pas seul. Des partenariats stratégiques ont été noués avec l’Allemagne, les Pays-Bas, ou encore la Belgique, avec pour objectif de mutualiser les efforts d’innovation et d’infrastructure. La géopolitique de l’hydrogène s’esquisse ainsi, faite d’alliances techniques, de sécurisation des débouchés, et de diplomatie énergétique.

Dans un monde qui semble s’orienter davantage vers une mondialisation en bloc, cette démarche industrielle, prend tout son sens.

«Notre objectif est très clair, réussir une transition juste, durable, non inflationniste pour un développement durable du pays et du bassin du pourtour méditerranéen», résume Leila Benali.

Encore faut-il transformer cette ambition en réalité. Car si l’hydrogène est l’un des vecteurs essentiels de l’après-pétrole, il exige, en plus d’investissements massifs, une rigueur industrielle. Comme souvent en matière d’énergie, les transitions n’arrivent jamais à l’heure prévue; elles se construisent bloc par bloc, sous l’effet conjoint des contraintes techniques et, surtout, des volontés politiques.

Leila Benali
Ministre de la Transition énergétique

«L’hydrogène vert et ses dérivés, comme l’ammoniaque ou les e-carburants, offrent au Maroc de nouvelles perspectives de décarbonation et de développement économique et social. En tant que vecteur propre et polyvalent, il est particulièrement prometteur pour les secteurs difficiles à décarboner.»

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



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