Hydrogène vert : filière à l’état embryonnaire

Le Royaume mise sur l’hydrogène vert pour se positionner en tant que hub compétitif mondial. Au-delà de l’ambition portée par l’Offre Maroc, la filière demeure confrontée à une structure de coûts élevés et, surtout, tributaire d’un soutien que l’État refuse pour l’heure de lui accorder.
Le lancement officiel de «l’Offre Maroc» pour le développement de la filière de l’hydrogène vert remonte au 11 mars 2024, date à laquelle le pays a jeté les bases d’une future filière à hydrogène. Grâce à son potentiel éolien et solaire, le Royaume entend tirer les coûts de production de l’hydrogène vers le bas pour se positionner en tant que hub compétitif mondial.
Loin d’être – pour l’heure – un vecteur en compétition direct avec l’électricité, l’hydrogène apparait comme une option envisageable, à terme, au lieu d’un recours accru aux énergies fossiles. Le Royaume y voit un levier stratégique pour sécuriser ses approvisionnements énergétiques, dans un contexte marqué par l’instabilité des prix des énergies fossiles, sur fond de tensions géopolitiques.
Au titre de l’exercice 2024, les projets réalisés dans le cadre de la stratégie énergétique nationale ont permis de porter la capacité installée des énergies renouvelables (EnR) à 5.466 MW en 2024 (réparties entre Éolien: 2.395 MW, Solaire : 951 MW (dont 411 MW photovoltaïque et 540 MW solaire thermique à concentration) et Hydroélectrique : 2.120 MW), soit près de 44% du mix énergétique national. «le Maroc bénéficie d’avantages compétitifs indéniables pour produire de l’hydrogène vert à moindre coût, grâce à ses ressources renouvelables abondantes», fait valoir Ryad Mezzour, ministre de l’Industrie et du Commerce.
Méga-projets prévus
Afin de réussir cette transition, le Maroc continue de renforcer ses alliances internationales. L’objectif est déjà concrétisé par la signature d’accords stratégiques notamment avec l’Allemagne, sous forme d’une alliance climat-énergie visant à soutenir la production d’hydrogène renouvelable et ses exportations.
Par ailleurs, Berlin a investi 32 millions de dollars dans l’usine d’hydrogène vert du groupe OCP, à Jorf. S’y ajoute le consortium formé par Copenhagen Infrastructure Partners, A.P. Møller Capital et TE H2 qui prépare le projet d’ammoniac vert à 1 GW dans la région de Guelmim-Oued Noun, par le biais du parc Chbika.
De plus, en mars 2025, le Maroc a approuvé une série de méga-projets d’hydrogène vert, pour environ 32,5 milliards de dollars, avec des acteurs comme Ortus (États-Unis), Acciona (Espagne), Nordex (Allemagne), Taqa (Émirats Arabes Unis) ou encore China Three Gorges pour des productions d’ammoniac, d’acier et de carburants industriels.
Ces rapprochements devraient, selon leurs initiateurs, garantir in fine un partage équitable des retombées économiques et technologiques. Dans une perspective plus large, ils visent à transformer le pays en hub régional et africain de production d’hydrogène vert, renforçant ainsi sa position sur la scène énergétique mondiale.
«Champagne de la transition énergétique»
Mais le défi demeure de taille, compte tenu des coûts de production relativement élevés. Selon l’Agence internationale de l’énergie, l’hydrogène produit par électrolyse affiche aujourd’hui un coût compris entre 3 et 7 dollars le kilogramme, selon les régions, contre 0,7 à 3,7 dollars pour l’hydrogène issu du gaz naturel sans captage de carbone.
D’ici 2030, la fourchette basse du renouvelable pourrait toutefois descendre sous les 2 dollars par kilogramme en Chine, et se situer entre 3 et 4 dollars dans des zones disposant d’un fort potentiel solaire et éolien, comme l’Australie, le Brésil ou le Moyen-Orient. Réduire ces coûts exige donc des investissements conséquents pour en faire une alternative compétitive.
Certains spécialistes le qualifient d’ailleurs de «champagne de la transition énergétique» en raison des coûts prohibitifs, notamment en amont de la chaîne. En cela, l’offre marocaine tend à s’imposer à l’international en tablant sur ses principaux atouts, le soleil et le vent, pour tirer vers le bas le coût de production de l’hydrogène. L’électrolyse de l’eau, méthode la plus répandue, permet de casser la liaison de la molécule d’eau en appliquant un courant électrique. Seul petit hic, ces procédés sont très énergivores.
En termes de bilan carbone, une voiture fonctionnant à l’hydrogène reste légèrement moins polluante que celle à essence, mais peut devenir jusqu’à deux fois plus polluante si l’hydrogène provient de l’électrolyse avec des sources d’approvisionnement comme le charbon.
Effets d’annonce
Les réserves validées de concert par les experts en énergie sont entérinés par le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Malgré une multiplication des projets, lancés ou prévus, l’hydrogène bas-carbone peine encore à décoller. En 2024, la demande mondiale a certes atteint près de 100 millions de tonnes, mais moins de 1% provient de sources à faibles émissions.
Côté offre, la dépendance aux énergies fossiles demeure écrasante, avec l’équivalent de 290 milliards de m³ de gaz naturel et 90 millions de tonnes de charbon mobilisés en 2024 pour produire l’essentiel de l’hydrogène. Autre facteur révélateur de l’essoufflement de la tendance, la capacité potentielle de production prévue aux alentour de 37 Mt/an en 2030 contre 49 Mt/an annoncés, une année auparavant. Ce gap s’explique, selon l’AIE, par une série de reports ou d’abandons de projets d’électrolyse, notamment en Afrique, en Europe et en Australie. Ceci dit, le ralentissement des projets n’est pas synonyme de l’échec de la filière.
Selon l’AIE, la capacité issue des projets déjà opérationnels ou ayant obtenu un feu vert d’investissement atteindrait 4,2 millions de tonnes par an à l’horizon 2030. Un chiffre jugé modeste au regard des ambitions initiales, qui rappellerait les premières années du solaire photovoltaïque.
Si l’équation des coûts s’annonce déterminante dans la détermination du coût de l’hydrogène, un autre facteur complique la donne, à savoir l’absence de soutien public qui freine la filière. Les perspectives de développement restent, pour une large part, tributaires de l’appui de l’État. Lors de son intervention à la Chambre des représentants, le 22 janvier dernier, Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, a réaffirmé l’ambition du Maroc en matière d’hydrogène vert, tout en insistant sur la compétitivité comme condition sine qua non.
«Si l’offre marocaine en hydrogène vert ne répond pas aux standards de compétitivité d’ici 2030, nous cesserons sa production. Nous ne produirons pas pour le simple fait de produire, ni pour rester à la traîne par rapport à nos concurrents», a-t-elle averti.
Pour autant, les perspectives de développement demeurent prometteuses. L’AIE souligne qu’en Chine, la combinaison de coûts technologiques et financiers faibles pourrait rendre l’hydrogène renouvelable enfin compétitif. Un partenaire de choix dont le Maroc aurait tout intérêt à se rapprocher…
Pékin impose son tempo sur les électrolyseurs
La Chine concentre près des deux tiers de la capacité mondiale installée d’électrolyse et environ 60% de la production industrielle, portant la capacité mondiale à plus de 2 gigawatts. Cette suprématie repose sur un appareil industriel capable de produire jusqu’à 20 GW par an, soit dix fois la demande actuelle. Une avance qui fragilise les fabricants des pays concurrents, confrontés à l’érosion de leurs revenus, voire à des faillites, prélude à une vague de consolidations.
Pékin n’est pas totalement épargné puisque l’excès de capacité menace aussi certains acteurs domestiques. Côté coûts, l’avantage chinois reste marqué sur son marché intérieur, où l’installation d’un électrolyseur revient entre 600 et 1.200 dollars le kilowatt, contre 2.000 à 2.600 ailleurs. Mais hors des frontières chinoises, les divers frais liés à la chaîne de valeur (transport, entretien, construction…) portent le coût des équipements entre 1.500 et 2.400 dollars le kilowatt, réduisant ainsi l’écart avec la concurrence.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO