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Finance publique : vers une refonte du système de gouvernance ?

Point de ralliement  des acteurs de la finance publique, la 16e édition du Colloque international, tenue à Rabat par la Trésorerie générale du Royaume, les 1er et 2 novembre, a engagé une réflexion collective sur la cohérence des politiques de gouvernance. Dans une conjoncture marquée par de fortes pressions économiques, l’événement interroge les fondements théoriques de la stabilité budgétaire.

Ébranlé par des crises successives — pandémie, répercussion du conflit en Ukraine, séisme d’Al Haouz —, le Maroc a dû réajuster sans cesse ses choix budgétaires pour répondre aux urgences conjoncturelles sans pour autant perdre de vue ses objectifs de long terme.

Ces épreuves, qui ont fait office de crash tests pour l’économie, ont également révélé les fragilités d’un système financier public en quête perpétuelle de stabilité. C’est pour faire face à ces défis que s’est tenu, les 1er et 2 novembre, le 16e Colloque international des finances publiques, organisé comme à l’accoutumée par la Trésorerie générale du Royaume du Maroc en partenariat avec le think tank des finances publiques, FONDAFIP.

Cet événement, devenu un point de ralliement pour les acteurs des finances publiques, se veut une invitation à une réflexion collective sur la cohérence des politiques de gouvernance. En atteste le thème retenu cette année : «Vers une meilleure restructuration du modèle de la gouvernance financière publique», qui interroge experts et décideurs sur les fondements même de la gouvernance, et l’efficacité des politiques de gouvernance.

Contrat social
«Concilier les impératifs de soutenabilité budgétaire avec la nécessité de répondre aux attentes sociales», tel est l’équilibre difficile que doit atteindre la gouvernance financière, selon Nadia Fettah, ministre de l’Économie et des Finances.

En effet, les récentes crises ont exigé une mobilisation sans précédent des ressources de l’État, avec des interventions d’urgence pour stabiliser l’économie et protéger les populations les plus vulnérables. Toutefois, ces ajustements ne peuvent constituer une réponse durable.

Le Maroc doit, selon la ministre, envisager un modèle de gestion plus robuste, où les réponses aux crises s’intègrent dans une vision budgétaire à long terme. La loi organique des finances de 2015, en introduisant plus de transparence et de contrôle, a posé les jalons de cette transformation, mais le chemin reste long pour harmoniser efficacement impératifs économiques et objectifs sociaux. Au-delà des enjeux techniques, la gouvernance des finances publiques revêt une dimension profondément politique.

«Toutes les décisions en finances publiques, quand bien même elles pourraient paraître techniques, seraient éminemment politiques», souligne Noureddine Bensouda, trésorier général du Royaume.

Les choix budgétaires, loin d’être de simples opérations comptables, traduisent une forme d’engagement de l’État envers ses citoyens. Ce contrat social tacite, où la répartition des ressources doit répondre aux attentes de la population en matière de services publics et de justice sociale, constitue un socle de stabilité pour l’État. Mais ce modèle se heurte à des obstacles structurels, notamment la fragmentation du contrôle financier, le manque de supervision parlementaire sur les finances des collectivités locales et des établissements publics, ce qui complique l’évaluation de l’efficacité des dépenses et compromet la transparence. En cela, renforcer le contrôle, notamment par des réformes garantissant une gestion rigoureuse des fonds publics, s’avère indispensable pour préserver la confiance des citoyens.

Incohérences dans l’action publique
Une autre dimension de la réflexion touche à l’organisation des structures publiques. Le système actuel, où s’entrecroisent agences autonomes et opérateurs publics, est souvent perçu comme «un ensemble complexe et instable».

Ce constat, formulé par Michel Bouvier, président de la FONDAFIP, pointe les risques d’une fragmentation accrue, chaque niveau de décision fonctionnant parfois avec des logiques propres et introduisant des incohérences dans l’action publique.

Héritage de réformes partielles, cette «cohérence approximative» complique l’établissement d’une stratégie budgétaire unifiée: chaque institution suit des priorités peu coordonnées, allongeant les circuits de décision et freinant la réactivité de l’État, au moment où l’agilité est devenue cruciale face aux crises multiples et récurrentes.

Pour pallier ces défaillances, une solution s’impose :  la création d’une «institution de régulation des finances publiques» pour centraliser l’information et harmoniser les décisions budgétaires à travers les différents échelons de l’État.

Cette structure, telle que proposée par Michel Bouvier, pourrait jouer un rôle pivot en assurant une cohérence globale des politiques publiques. En offrant une vue d’ensemble sur les priorités, elle permettrait une allocation plus rationnelle des ressources et une transparence envers les citoyens.

Nadia Fettah
Ministre de l’Économie et des Finances

«Confrontés à un environnement volatil et incertain, nous risquons de perdre de vue la cohérence d’ensemble dans l’action et l’approche stratégique de la gouvernance des finances publiques».

Michel Bouvier
Président de la FONDAFIP

«L’incapacité à réguler prédomine, et les hésitations idéologiques entravent la construction d’un nouveau modèle de gouvernance financière publique».

L’investissement public multiplié par cinq  en 20 ans

Au cours des deux dernières décennies, les dépenses publiques au Maroc ont connu une hausse significative, marquée par un accroissement des investissements et de la masse salariale. Cette dynamique, soutenue par la réforme de la Loi organique des finances de 2015, vise à garantir aux citoyens un accès équitable aux services publics sur l’ensemble du territoire.

Les dépenses d’investissement de l’État, multipliées par 5,2 entre 2001 et 2023, ont atteint 110,8 milliards de dirhams, avec des hausses notables dans des secteurs clés tel que l’agriculture (+12,4 MMDH), l’éducation (+5 MMDH) et la santé (+4,5 MMDH). La masse salariale, pour sa part, s’est bonifiée de 188%, passant de 52,74 milliards à 152 milliards de dirhams sur la même période, représentant en moyenne 50% des dépenses de fonctionnement.

«Les pouvoirs publics devraient continuer à veiller sur la trajectoire tracée pour la soutenabilité des finances publiques, à travers l’ajustement des dépenses aux recettes et l’amélioration de leur efficacité», souligne Noureddine Bensouda, trésorier général du Royaume, rappelant l’équilibre fragile des finances publiques.

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



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