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Électricité : la production portée par le vent

Le Maroc a franchi un cap énergétique en 2024. Avec une demande nette d’électricité en hausse de 3,9%, le pays a couvert ses besoins additionnels sans recourir à une hausse de la production fossile. Portée par l’éolien, qui a concentré l’essentiel de la progression, cette évolution s’est accompagnée d’un recul du solaire et d’un recours limité au gaz naturel. À noter en parallèle de la recomposition du mix, la part croissante assurée par les producteurs privés, signe du désengagement de l’ONEE, qui, bien que minoritaire en volume, reste indispensable au maintien de l’équilibre du réseau.

Il n’y a pas de place au hasard dans un système électrique, chaque fluctuation de la demande exigeant une réponse immédiate. En apparence stable, l’année 2024 a pourtant révélé un changement de fond dans le mix énergétique. En effet, la demande nette d’électricité a progressé l’année dernière de près de 4%. Une croissance que rien ne semble devoir enrayer, tant elle repose sur des fondements structurels. «La demande par habitant évolue presque de manière linéaire avec le PIB par habitant», observe le professeur Amin Bennouna, expert en Énergie.

L’éolien s’impose dans le mix
En réponse, la production s’est adaptée sur la même période de manière progressive, portée par l’éolien dont la hausse excède les 40%, un niveau inédit dans l’histoire récente du mix électrique national. Ceci est dû à la mise en service ou la rénovation sans tambour ni trompette de plusieurs parcs, notamment ceux de Koudia Al Baida (entièrement renouvelé), de Jbel Hadid et d’Aftissat (objet d’une extension).

«Le parc d’Aftissat à lui seul injecte plus de 1.000 MW dans le réseau, soit environ 2% à 3% de la production nationale», précise le professeur Amin Bennouna. Le rendement de ces installations dépend fortement de leur localisation.

Dans la région d’Aftissat, le facteur de charge dépasse les 60%, contre 40% dans le nord du pays. «À puissance installée égale, un site comme Aftissat produit quasiment deux fois plus qu’Essaouira», souligne Bennouna.

Ce différentiel, peu pris en compte dans la planification territoriale des capacités éoliennes, se traduit par un décalage croissant entre les sites de production — souvent situés loin des grands pôles de consommation — et l’état des infrastructures de transport. À défaut d’anticipation, cette asymétrie fragilise la cohérence du réseau dans son ensemble et limite, de fait, l’exploitation optimale du potentiel éolien.

Reprise du gaz
Dan le même temps, la production solaire a reculé. La panne prolongée de Noor III, centrale thermodynamique située à Ouarzazate, a affecté les résultats de la filière. L’arrêt, survenu au printemps 2023, a duré près d’un an.

«Noor III est restée en panne bien plus longtemps que prévu», rappelle Bennouna.

L’épisode a révélé la fragilité de certaines technologies complexes, moins robustes que le photovoltaïque classique. L’ensoleillement du pays, pourtant favorable, ne suffit pas à garantir la fiabilité du parc solaire national. L’orientation technologique du programme Noor, initialement centrée sur le CSP, limite aujourd’hui la montée en charge rapide du solaire.

La production issue des sources fossiles reste globalement contenue. Le charbon, en particulier, est désormais exploité à son minimum, tant par les unités de l’ONEE que par les producteurs privés. Le recours au pétrole est marginal. Seul le gaz naturel affiche une reprise, après le creux de 2022 lié à l’interruption des flux via le gazoduc Maghreb‑Europe en provenance d’Algérie.

«À ce propos, l’année 2022 ne peut servir de référence, dans la mesure où les centrales à gaz n’ont été réalimentées qu’en toute fin d’année», observe Bennouna.

Il ajoute que, si la consommation a repris en 2023, elle demeure en deçà des niveaux enregistrés en 2017‑2018. En dépit du rebond observé, les volumes enregistrées en 2024 demeurent bien en retrait par rapport aux niveaux atteints avant 2018, signe que le gaz peine encore à retrouver sa place d’antan dans le mix national.

Montée en puissance du privé
En parallèle à la recomposition du mix, un autre basculement s’opère en amont  de la chaîne. En 2024, plus des deux tiers de la hausse de la production nationale ont été assurés par des producteurs indépendants (IPP) ou des opérateurs sous concession. L’essentiel de l’accélération éolienne observée provient de parcs privés, à l’image d’Aftissat II, dont la montée en charge a fortement pesé dans les équilibres annuels. Pour Bennouna, ce phénomène ne marque pas un tournant, mais plutôt un palier.

«On ne peut pas parler de désengagement de l’ONEE. Ce processus est déjà en grande partie derrière nous», estime-t-il.

L’Office national ne produit plus qu’environ 20% de l’électricité du pays. Aller plus bas mettrait en cause la stabilité du système. Car au-delà de son rôle de producteur, l’ONEE reste le garant de l’équilibre offre-demande sur l’ensemble du réseau. Cette fonction suppose une capacité à injecter rapidement de la puissance en cas de défaillance d’un opérateur privé ou de baisse brutale de production intermittente.

Selon Bennouna, un seuil plancher autour de 15% de la production nationale doit être préservé pour maintenir cette fonction stratégique. En l’état actuel, le système repose en effet sur une architecture mixte, dans laquelle l’ONEE conserve des moyens de production en propre, tout en jouant le rôle d’acheteur unique auprès des producteurs privés. Cette organisation permet à l’État, en cas de nécessité, de subventionner ponctuellement l’électricité sans devoir intervenir dans un marché totalement libéralisé.

La montée en régime des IPP, signe du désengagement de l’ONEE ?

En 2024, plus des deux tiers de l’augmentation de la production électrique ont été assurés par des opérateurs privés, qu’il s’agisse d’IPP sous contrat ou de concessions. Une évolution marquante, mais qui ne traduit pas nécessairement un retrait en cours de l’opérateur public.

«Ce n’est pas le début d’un désengagement, c’est la fin. L’ONEE est déjà au plancher», observe Pr Amin Bennouna.

L’Office ne représente plus qu’une part résiduelle de la production nationale — à peine un cinquième — mais son rôle demeure structurant. Avec moins de 20% de la production nationale à son actif, l’Office a vu son rôle de producteur direct reculer, mais reste central dans l’architecture du système.

Au-delà de ses capacités propres, l’ONEE demeure l’acheteur unique, le garant de l’équilibre instantané entre offre et demande, et le seul réceptacle possible d’une intervention publique en cas de crise tarifaire.

«L’ONEE reste un récipiendaire légitime des aides publiques. Si elle disparaît ou se voit marginalisée, l’État perd son unique levier d’intervention», prévient le professeur Bennouna.

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



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