Digitalisation des services de mutation : la panacée ?
Le gap entre les ventes réalisées par les «concessionnaires» et celles qui le sont à travers les autres canaux de vente, est abyssal. Leur arrivée tardive dans le «game» et la phase d’apprentissage par laquelle ils ont dû passer n’expliquent pas tout. Pour nos experts, cependant, les planètes sont en train de s’aligner.
La dématérialisation des services de mutation de véhicules, pilotée par la Narsa en bonne intelligence avec les différents intervenants du secteur automobile, devrait en effet considérablement changer la donne en sécurisant, mais, surtout, en fluidifiant les process dans un secteur d’activité où la rapidité de la transaction fait figure de facteur clé. Dans le VO, Cronos est considéré comme le Dieu de la marge. Un véhicule qui passe trop de temps en stock, c’est la mort du business. La punchline est signée Fabrice Crevola.
«Le facteur clé dans le VO, c’est le temps. On a une chance au Maroc : les valeurs résiduelles sont tellement élevées et bougent tellement peu qu’on peut se permettre de perdre 30 à 40 jours. Un tel délai en Europe, ça tue la marge. C’est impensable. On n’en est pas encore là, mais on peut aussi imaginer que le marché marocain évoluera petit à petit vers des valeurs résiduelles qui, sans atteindre les niveaux européens, baisseront à un moment ou un autre. C’est une variable importante de l’équation. Il va falloir qu’on trouve les solutions pour réduire le temps entre la reprise et la revente. L’idéal étant évidemment le jour même, ou le lendemain matin», a développé le DG de Renault Commerce Maroc.
L’AIVAM a œuvré et continue à œuvrer dans ce sens auprès des pouvoirs publics, mais n’a pas encore obtenu entière satisfaction. «Pour le VO, nous avions demandé aux pouvoirs publics de pouvoir acheter, en tant que marchand, un véhicule à 10 heures et de le revendre un quart d’heure plus tard. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Je vois le véhicule, je vous dis d’attendre, le temps de faire l’expertise. S’il ne faut plus se rendre au centre d’immatriculation pour vérifier s’il n’est pas frappé de gage, cette étape ayant été digitalisée depuis l’arrivée de la Narsa, nous devons néanmoins attendre que la carte grise soit émise avant de pouvoir vendre.
Malgré les efforts qui ont été fournis, cela nécessite encore 20, 30, 40 jours. Pendant ce temps, votre capital dort. À titre d’exemple, un mois et demi de stockage, c’est 3/4 de point, voire un point de marge qui saute. Quand vous faites 3, 4 points de marge sur un véhicule d’occasion, c’est le tiers de votre marge qui dort car le véhicule est en stock. Or, l’occasion, c’est la rapidité ! Grâce à la plateforme que nous aurons bientôt à disposition, nous pourrons réaliser les deux transactions, l’achat et la revente, en l’espace d’un quart d’heure ou 20 minutes», a révélé, pour sa part, Adil Bennani.
Un portail qui va bientôt tout changer !
La plateforme digitale évoquée par Bennani devrait être opérationnelle dès début 2023. Et son lancement devrait faire entrer les services de mutations de véhicules dans une nouvelle ère. Benacer Boulaajoul nous en dit plus : «Le projet de digitalisation de nos services est actuellement en plein déploiement. Nous travaillons avec les professionnels, notamment l’AIVAM, pour la mise en place d’un portail de télé-services, qui va permettre de fluidifier un certain nombre d’opérations. Nous y avons intégré le VN comme le VO.
Ce portail sera un passage obligé pour toutes les opérations de mutation, et il sonnera le glas du fameux carton que l’acquéreur et le vendeur achètent dans les bureaux de tabac. Il leur suffira prochainement d’introduire, au niveau de ladite plateforme digitale, leurs informations personnelles et celles qui concernent le véhicule. L’opération de vérification, notamment pour savoir si le véhicule est frappé d’une opposition, sera effectuée en ligne. Et si l’opération est «clean», l’acte de vente sera édité au niveau du système, légalisé au niveau de la commune et déposé au niveau des agences Al Barid Bank. En temps réel, l’acquéreur pourra éditer le récépissé faisant foi de carte grise provisoire, en attendant l’édition de la carte grise définitive par Dar As-Sikkah.
À noter que nous travaillons aussi sur la mise à niveau de nos systèmes d’information pour passer à la carte grise digitale. C’est un projet qui devrait être adopté prochainement, et être opérationnel vers la mi-2023». Ce nouveau portail permettra d’éviter de nombreuses pratiques nébuleuses, notamment les fréquentes arnaques en matière de vente par procuration. «Le danger de ce type de vente est que vous pouvez vendre un véhicule et continuer à subir quand même toutes les contraintes liées, par exemple, à une opposition, ou à une infraction, parfois à caractère délictueux.
Nous recevons régulièrement des doléances de la part de citoyens et d’entreprises, qui ont vendu des véhicules par procuration, mais qui ont la désagréable surprise de continuer à gérer des problèmes avec les tribunaux. L’idée, c’est que dans le cadre d’une vente par procuration, il faut assumer la responsabilité à partir de la date de la transaction. Et cela ne pourra se faire qu’à travers la plateforme que nous nous apprêtons à lancer», a poursuivi Boulaajoul.
De nombreux chantiers
Le DG de la Narsa a ensuite procédé à un passage en revue des autres chantiers en cours de réalisation en matière de digitalisation, notamment ceux visant la mutualisation de l’information entre services publics et professionnels impliqués dans la «chose» automobile.
«Malheureusement, dans le VO, la falsification de la main levée sur des véhicules financés à crédit est assez courante. C’est la raison pour laquelle nous sommes en train d’interfacer nos systèmes d’information avec ceux de l’Association des professionnels des sociétés de financement (APSF), pour tout ce qui est main levée. Le but est de pouvoir la faire authentifier en temps réel par les sociétés de financement, pour ne plus se fier aux documents fournis. Nous travaillons aussi de concert avec les sociétés d’assurance pour l’interfaçage de nos systèmes d’information.
Aujourd’hui, nous sommes interfacés avec l’administration des douanes, la Direction générale des impôts, la gendarmerie, ou encore la DGSN». Des propos qui ont fait réagir Khalid Dbich. «Ce que font aujourd’hui les pouvoirs publics, en matière de dématérialisation et de traçabilité des transactions, nous permettra de mieux cerner le risque. Cela aura pour effet d’augmenter notre appétence au risque. On sait que l’immatriculation garantit un nantissement. C’est l’élément de risque en amont qu’on utilisera aussi dans le recouvrement, puisqu’on aura un gage au moment de l’exécution de cette garantie. Et si le coût du risque est mieux maîtrisé, les prix des crédits vont baisser», a commenté le DG délégué de Sofac.
Des efforts qui portent leurs fruits
La digitalisation semble être le remède miracle pour débarrasser le VO des maux qui le caractérisent. Et les récentes réalisations de la Narsa dans ce domaine ont déjà porté leurs fruits. Une plateforme digitale dédiée aux oppositions, lancée début 2022, permet par exemple au citoyen de vérifier en ligne, avant d’acheter ou de vendre un véhicule, que ce dernier n’est pas frappé par une opposition. Boulaajoul cite également le portail «Prepac», «dédié au programme de renouvellement du parc et à la prime à la casse, qui consiste à subventionner le retrait de la circulation des véhicules vétustes, notamment dans les entreprises de transport de voyageurs, de marchandises ou de transport mixte.
C’est régi par la loi de Finances 2018 et c’est, aujourd’hui, la Narsa qui a repris la gestion et le financement de ce programme qui mobilise un budget annuel de 250 millions de dirhams. Tout se passe désormais à travers notre portail». Bennani se lance alors dans un long monologue, destiné à montrer le chemin parcouru en matière de digitalisation et celui qu’il reste à arpenter : «Nous avons signé une convention avec le ministère des Transports avant l’arrivée de la Narsa.
Nous y décrivions le processus de dématérialisation que nous souhaitions, à savoir la dématérialisation de l’immatriculation des véhicules neufs, celle de la mutation des véhicules d’occasion et celle du processus d’homologation. Nous avons travaillé et sommes parvenus à dématérialiser partiellement le processus d’immatriculation.
Nous voulions que le scénario suivant puisse se produire : vous arrivez au showroom à dix heures du matin, vous voyez votre véhicule, il vous plaît, vous signez, payez et sortez avec, dans le quart d’heure qui suit, votre plaque d’immatriculation et votre carte grise digitale définitives. Ce qu’on a obtenu aujourd’hui est une évolution notable par rapport à avant, c’est à dire l’époque où on vous demandait 10 documents, dont cinq qu’il fallait refaire sur chaque dossier d’immatriculation. On allait faire la queue au centre d’immatriculations, on déposait le dossier et il fallait attendre.
Aujourd’hui, on ne vous demande qu’un document, votre carte d’identité ou, si vous êtes une entreprise, votre registre de commerce. Les autres pièces sont désormais disponibles dans les autres systèmes d’information auxquels nous sommes reliés grâce à la dématérialisation des services. On demandait, par exemple, un certificat de dédouanement, ou encore une copie du certificat d’homologation.
Aujourd’hui, le système de la douane et la base de données du service des mines sont tous deux connectés à notre système d’information dématérialisé. Cela permet d’aller plus vite et d’économiser du temps… et du papier !».
Un avant et un après Narsa
Le président de l’Aivam estime, néanmoins, que si l’on se trouve aujourd’hui à mi-chemin, la création de la Narsa a quand même permis de donner un grand coup d’accélérateur, de changer les choses structurellement. «Aujourd’hui, nous obtenons un accord dans les 48 heures. Mais nous devons quand même déposer le dossier physique pour pouvoir, ensuite, attendre l’impression de la carte grise au niveau de Dar As-Sikkah. Sur le VO, cela a toujours été compliqué. Mais, ensuite, il y a eu la création de la Narsa et les choses ont changé structurellement, parce qu’on est en présence d’une entité dont on fait partie, qui contrôle l’ensemble des aspects, et dont les ressources humaines ont un esprit tourné vers l’amélioration et la digitalisation des services. C’est ce qui fait qu’on n’en est plus au stade des projets. Les plans sont là, avec des dates précises, des “deliveries” déjà effectués. Le système d’immatriculation digitalisé, qui existe aujourd’hui, va complètement migrer vers la nouvelle plateforme. Et cela va nous faciliter grandement la tâche et nous mener vers les objectifs que nous nous étions fixés en la matière», a-t-il conclu.
Khalid Dbich
DG délégué de Sofac
«Sofac est leader sur le financement automobile. On fait 30% dans le VN. Si on arrive également à faire 30% dans le VO, la dimension de notre business changera de façon radicale».
Adil Bennani
Président de l’AIVAM
«Il y a une douzaine d’années, j’ai été personnellement voir l’Argus en France pour les inviter à venir au Maroc. Ils sont venus, se sont installés et ont lancé la cote. Il faut dire qu’il n’y a pas de cote parfaite dès le premier jour. C’est un apprentissage historique, mais on commençait à avoir quelque chose d’intéressant. Malheureusement, l’Argus a été vendu à Le Bon Coin, qui n’a pas estimé que sa présence au Maroc était stratégique. Ce savoir a donc été perdu. Aujourd’hui, les marques font leur cotation chacune dans son coin. Et ça nous mène à des erreurs qui peuvent coûter cher, parfois. Pourquoi l’Argus est parti ? Parce que des cotations de VO auprès des professionnels, il n’en faisait pas des masses…».
Benacer Boulaajoul
DG de la Narsa
«Nous avons travaillé sur la proximité de nos services en signant une convention de partenariat avec ABB et Al Barid Bank. Ce qui nous a permis de passer de 75 centres sur tout le territoire national, dont seulement 4 points de contact à Casablanca, par exemple, à 800 agences au plan national et à 70 points de contact à Casablanca. Ces agences assurent aujourd’hui le “front office” avec le citoyen. C’est un premier élément de facilitation des mutations».
Fabrice Crevola
DG de Renault Commerce Maroc et directeur de Dacia Maroc
«On est aidé en ce moment dans le VO par la pénurie sur le marché du neuf. Les véhicules d’occasion voient leur cote augmenter. Un phénomène que l’on constate aussi en Europe. Il y a même une rareté du VO. Et tout ce qui est rare est cher».
Mehdi Labboudi / Les Inspirations ÉCO