Déclaration des clients débiteurs : les pièges à éviter

Alors que le Maroc adapte sa fiscalité à ses ambitions énergétiques et sociales, les entreprises doivent impérativement respecter les nouvelles échéances déclaratives. Entre hausses sectorielles de TVA et obligations de transparence, une erreur de procédure pourrait coûter cher. Détails.
Et si votre procrastination fiscale devenait votre pire créancier en 2025 ?
Entre redressements, tensions de trésorerie et taux de TVA redéfinis jusqu’en 2026, chaque entreprise doit anticiper ses déclarations. Alors que les réformes fiscales issues des Lois de finances (LF) 2024 et 2025 redessinent progressivement le paysage de la TVA au Maroc, une question urgente se pose aux entreprises : avez-vous préparé la liste nominative de vos clients débiteurs au 31 décembre 2024, à déclarer avant le 1er mars 2025 ? Cette obligation, souvent sous-estimée, représente pourtant un pivot critique dans la gestion des transitions fiscales.
Rappelons que chaque entreprise doit intégrer les deadlines dans son calendrier fiscal. C’est une question de compliance, mais aussi de performance financière, dans la mesure ou une TVA mal calculée grève la trésorerie et la relation client. Explications.
Des taux de TVA en mutation jusqu’en 2026
La Loi de finances 2024 a établi un calendrier pluriannuel de révision des taux de TVA, impactant significativement la trésorerie et la conformité fiscale des entreprises. Pour le secteur de l’énergie électrique non renouvelable, le taux passe progressivement de 16% en 2024 à 18% cette année, puis à 20% en 2026, marquant une hausse cumulative de 4 points destinée à refléter les coûts environnementaux.
À l’inverse, l’énergie renouvelable bénéficie d’une baisse du taux de TVA, passant de 12% en 2024 à 10% en 2025, afin d’encourager la transition verte.
Dans les transports, le taux applicable au transport urbain et opérations de transport routier de voyageurs et de marchandises diminue graduellement de 13% en 2024 à 12% cette année, puis à 10% en 2026, soutenant la mobilité durable, tandis que les autres opérations de transport de voyageurs et de marchandises voient leur taux augmenter de 16 % en 2024 à 18% cette année, puis à 20% en 2026, alignant leur fiscalité sur les standards internationaux.
Enfin, le sucre raffiné, stratégique pour la santé publique, subit une augmentation annuelle contrôlée, passant de 8% en 2024 à 9% cette année, puis à 10% en 2026, une mesure visant à équilibrer les recettes fiscales et les enjeux de consommation. Des ajustements qui reflètent une politique fiscale structurée, oscillant entre incitations sectorielles et renforcement des recettes, mais qui imposent aux entreprises une vigilance accrue dans leur gestion des délais et des flux financiers.
Disons que ces ajustements reflètent une politique fiscale incitative pour les énergies vertes et punitive pour les secteurs carbonés. Mais leur application progressive exige une vigilance accrue sur les dates d’exécution des opérations.
L’article 125 du CGI : un dispositif clé pour les encaissements post-2024
Beaucoup d’entreprises négligent que la TVA se calcule au taux applicable à la date d’exécution, pas à celle de paiement. Une erreur ici peut générer des écarts de trésorerie imprévus. L’article 125 du Code Général des Impôts (CGI) encadre rigoureusement la transition fiscale pour les opérations à cheval sur 2024 et 2025, en exigeant des entreprises qu’elles déclarent avant le 1er mars 2025 une liste nominative des clients débiteurs au 31 décembre 2024.
Cette obligation vise spécifiquement les créances liées à des services entièrement exécutés et facturés avant 2025, mais payables après cette date, imposant un calcul de la TVA au taux applicable fin 2024, indépendamment de la date d’encaissement.
Dans les faits, cette règle soulève trois enjeux opérationnels majeurs.
Premièrement, l’identification précise des créances éligibles exige une analyse rétrospective des contrats et factures pour isoler les montants dus au 31 décembre 2024, excluant les services partiellement réalisés ou facturés en 2025.
Deuxièmement, le risque de double taxation devient un piège redoutable en cas d’omission. En effet, un défaut de déclaration entraînerait un redressement basé sur le taux 2025, plus élevé pour certains secteurs, avec majoration à la charge de l’entreprise.
Enfin, les secteurs du transport, de l’énergie et de l’agroalimentaire (notamment le sucre raffiné) sont particulièrement concernés en raison de leurs cycles d’encaissement longs et de leurs taux de TVA modifiés dès 2025, amplifiant l’impact financier d’une erreur de déclaration. Une méconnaissance de ces mécanismes pourrait ainsi générer des tensions de trésorerie imprévues et altérer la relation avec l’administration fiscale.
Les cas spécifiques des levures sèches et viande fraîche, deux nouveautés de la LF 2025
Pour les producteurs de levures, l’enjeu est double : déclarer leurs stocks et optimiser la déduction de la TVA antérieure. Quant à la viande, l’exonération crée un avantage concurrentiel, mais nécessite une comptabilité rigoureuse pour éviter les contrefaçons fiscales. La Loi de finances 2025 marque un tournant fiscal avec deux mesures structurantes, reflétant une logique à la fois incitative et régulatrice.
Premièrement, l’assujettissement des levures sèches à un taux de TVA de 20% à compter de janvier 2025 impose aux vendeurs de déclarer un inventaire détaillé de leurs stocks existants au 31 décembre 2024, et ce avant le 1er mars 2025. Un inventaire qui permet de déduire la TVA ayant grevé ces stocks sur les ventes réalisées à partir de 2025, un mécanisme conçu pour éviter une double imposition lors du passage au nouveau régime. Toutefois, la TVA liée aux biens d’investissement acquis avant 2025 reste exclue de la déductibilité, une restriction visant à limiter les reports de crédits antérieurs et à encadrer la transition fiscale.
Deuxièmement, l’exonération de la TVA sur la viande fraîche ou congelée vendue hors consommation sur place, sans droit à déduction, répond à des objectifs sociaux en allégeant le coût pour le consommateur final, tout en complexifiant la gestion des acteurs de la chaîne agroalimentaire.
Ces derniers devront en effet isoler strictement les ventes exonérées des autres opérations taxables pour éviter des erreurs de déclaration, sous peine de redressements. Ensemble, ces mesures illustrent une volonté de rééquilibrer la fiscalité entre soutien à la consommation courante (viande) et rationalisation des niches sectorielles (levures), tout en renforçant les obligations déclaratives pour les entreprises concernées.
Le manque d’anticipation
«Le principal écueil est le manque d’anticipation», alerte un analyste. Beaucoup réalisent en février 2025 qu’ils n’ont pas les systèmes pour tracer les créances anciennes. Or, l’administration n’acceptera pas les retards. En effet, la mise en œuvre des obligations liées à l’article 125 du CGI exige une rigueur procédurale et une vigilance accrue face à des pièges souvent sous-évalués.
La première étape implique une collecte minutieuse des données, nécessitant de centraliser toutes les factures impayées au 31 décembre 2024 et de vérifier leur conformité aux critères d’éligibilité au taux de TVA 2024, notamment en confirmant que les services associés ont été intégralement exécutés et facturés avant le 1er janvier 2025.
Cette phase critique, souvent entravée par des archives désorganisées ou des systèmes informatiques fragmentés, doit absolument éviter les approximations, sous peine de déclarer des créances irrecevables. Vient ensuite le format de déclaration, exigeant une liste nominative client par client, avec des montants exacts et non arrondis, transmise au service des impôts territorialement compétent – un formalisme strict où les erreurs de désignation ou les totaux incohérents entraînent des rejets immédiats. Enfin, le suivi des encaissements post-déclaration constitue un défi opérationnel persistant.
La TVA étant exigible au fil des paiements clients, les entreprises doivent mettre en place un processus mensuel de rapprochement entre les encaissements reçus, les déclarations initiales et les taux historiques applicables. Un écueil fréquent réside dans l’absence d’outils de traçabilité temporelle, conduisant à des omissions de déclaration partielle ou à des conflits de taux lors de paiements échelonnés.
Pour éviter ces risques, une automatisation des flux de trésorerie et une collaboration étroite entre services comptables et commerciaux s’imposent, transformant cette contrainte légale en opportunité d’optimisation des processus internes.
Une réforme qui teste l’agilité fiscale des entreprises
Alors que le Maroc accélère sa transition énergétique et sociale via sa fiscalité, la déclaration des clients débiteurs symbolise un défi plus large : s’adapter à des règles mouvantes sans compromettre la rentabilité. Les entreprises qui maîtriseront cet équilibre tireront parti des exonérations (viande, énergies renouvelables) et éviteront les pièges des hausses de taux (transport et sucre).
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO