Décarbonation : l’énergie des vagues, nouveau-né du mix énergétique ?

Dans l’ombre des filières établies, l’énergie houlomotrice commence à susciter l’intérêt des décideurs. Portée aujourd’hui par une jeune pousse marocaine, cette technologie pourrait contribuer à la diversification du mix. Ses promoteurs avancent des atouts solides, entre autres, un facteur de charge supérieur au solaire, un déploiement facile et un potentiel d’intégration intéressant dans les infrastructures portuaires de dessalement et à l’hydrogène.
La première incursion du Maroc dans l’univers de l’énergie houlomotrice s’est faite en 2021. À l’époque, la startup israélienne Eco Wave power remporte la première édition du Smart port challenge, organisée par l’Agence nationale des ports. Son concept reposait sur un dispositif flottant, ancré à des infrastructures côtières capables de convertir le mouvement des vagues en électricité. L’entreprise revendiquait un brevet d’exploitation unique au monde et nourrissait des ambitions commerciales dans plusieurs pays aux façades maritimes mouvementés, parmi lesquels le Portugal et le Maroc.
Selon des sources bien informées, le projet ne s’est jamais concrétisé. Pour autant, le projet d’exploitation de l’énergie des vagues pour produire de l’électricité au Maroc ne tombe pas à l’eau. C’est au tour d’une jeune pousse marocaine, plus discrète, fondée en 2019 — Atarec — de relancer le pari, avec un positionnement résolument local et une technologie brevetée à l’international, baptisée Wave beat.
«L’énergie houlomotrice offre au Maroc un facteur de charge supérieur à celui du solaire», met en avant d’emblée Mohamed Taha El Ouaryachi, son cofondateur qui travaille depuis plus de six ans à adapter cette solution aux réalités du littoral marocain.
La startup cible en priorité les infrastructures portuaires. Son projet pilote, actuellement à l’étude, s’adosse à Tanger Med, l’un des ports les plus imposants du pourtour méditerranéen. Près de cinq kilomètres de digues verticales y sont exposées aux déferlantes de l’océan. Atarec propose d’y déployer 149 unités Wave beat, pour une capacité totale de 20 MW.
«Ces infrastructures, souvent passives, peuvent devenir productrices d’énergie verte, sans devoir s’adosser à de nouvelles infrastructure», explique El Ouaryachi.
En pratique, l’équipement s’insère dans les structures existantes, ce qui réduit, de facto, les besoins d’investissement. C’est d’ailleurs ce qui en fait une solution compétitive puisque 70% du coût est déjà pris en charge par le propriétaire de l’infrastructure. La ressource se veut, selon ses fondateurs, stable, exploitable en continu, et adaptée aux besoins d’installations éloignées du réseau électrique.
«C’est une solution trois fois plus régulière que le solaire, et bien plus dense en termes de productivité au mètre carré», souligne
El Ouaryachi.
«Dynamique d’apprentissage»
Il faut dire que la technologie houlomotrices demeure en phase embryonnaire. La complexité de l’environnement marin, la résistance des matériaux, la maintenance et la rentabilité à long terme sont autant de défis techniques à maîtriser. Atarec plaide pour une approche incrémentale, fondée sur des démonstrateurs ciblés et des cas d’usage ancrés dans le réel.
«Ce que nous construisons, c’est une dynamique d’apprentissage, par l’usage, et non une démonstration isolée», insiste le cofondateur d’Atarec, lequel privilégie les petits modules reproductibles aux mégaprojets vitrines.
L’autre engagement pris est d’ordre climatique. Pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, le Maroc devra activer l’ensemble des leviers à sa disposition. L’énergie issue des vagues, en tant que ressource intermittente mais prévisible, pourrait jouer un rôle d’appoint stratégique. Elle permettrait de lisser les pics de demande, de verdir, éventuellement, des usages industriels lourds, ou d’alimenter en continu des infrastructures critiques comme les usines de dessalement.
«Dans certaines zones portuaires ou isolées, notre solution permettrait de réduire fortement la dépendance aux réseaux classiques», précise El Ouaryachi.
Le secteur du dessalement, particulièrement énergivore, figure ainsi parmi les priorités identifiées, aux côtés de l’hydrogène vert. En alimentant les électrolyseurs de manière plus constante, elle permettrait de «rentabiliser davantage les investissements dans cette filière émergente». Le Maroc, avec ses 3.500 kilomètres de côtes, dispose d’un potentiel estimé à 80 GW en énergie houlomotrice, soit un peu moins de huit fois sa capacité électrique installée actuelle.
«À l’échelle de Tanger Med, si nous réussissons à y installer 20 MW d’ici cinq ans, ce serait déjà le plus grand projet d’énergie houlomotrice au monde», avance le fondateur d’Atarec.
Si l’ambition est légitime, elle reste néanmoins entièrement dépendante de la mobilisation de financements à long terme, de la volonté des partenaires et de la montée en maturité de l’écosystème local.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO