Éco-Business

Cryptomonnaies : la tentation du marché parallèle face au verrou bancaire

La multiplication des fermetures de comptes bancaires visant les usagers de cryptomonnaies suscite un profond malaise dans la communauté crypto. Face au flou juridique persistant, un marché parallèle se développe, alimenté notamment par une nouvelle génération qui privilégie les monnaies numériques pour contourner les coûts élevés des circuits traditionnels.

Bien calé sur son siège, Mehdi sirote lentement son café, les yeux rivés sur son ordinateur. Au milieu des bougies rouges et vertes qui rythment les fluctuations des marchés, les ordres anonymes qui défilent à droite de son écran, ce DT (Day Trader) scrute de près les interminables tergiversations des quelques cryptomonnaies qu’il détient dans son portefeuille Binance.

«Cela ne réussit pas à tout le monde, mais quand on comprend les règles du jeu, on tire très bien son épingle du jeu», glisse-t-il en affichant un sourire discret.

D’un simple clic, la plus grande plateforme d’échange de cryptomonnaies au monde – en termes de volume – donne aussi accès à son interface P2P où s’échangent des stablecoins comme l’USDT — stablecoin indexé sur le dollar — contre des monnaies locales, du dirham au franc CFA.

«C’est un service qui a rendu un grand service aux utilisateurs africains», précise ce jeune initié.

Une mécanique bien huilée où les vendeurs proposent publiquement leurs services (achat ou vente d’USDT) contre de la monnaie FIAT. Le client effectue un virement, souvent depuis un compte bancaire, et reçoit en retour l’équivalent en cryptomonnaie, crédité sur son portefeuille virtuel. Une transaction d’apparence banale, mais qui n’échappe plus tout à fait aux radars des autorités.

Gel de fonds
Depuis un an, selon plusieurs usagers de cryptomonnaies interrogés, les cas de gel de fonds et de fermeture de comptes bancaires se sont multipliés. Deux types de situations se distinguent. Dans un premier cas, certains utilisateurs voient leur compte bloqué après avoir acheté des stablecoins — principalement des USDT, adossés au dollar — via des plateformes d’échange de type pair-à-pair, à l’image du service P2P proposé par Binance.

Plus grave, les mesures sont prises à l’initiative du parquet, dans le cadre d’enquêtes ouvertes pour escroquerie ou soupçon de blanchiment. Cette pratique, encore peu documentée publiquement, suscite un malaise croissant au sein de la communauté crypto, qui dénonce un manque de clarté sur les critères d’intervention des autorités et les droits des usagers concernés.

«En général, le gel concerne des transactions supérieures à 10.000 dollars», estime un expert.

En pratique, les banques commerciales scrutent minutieusement les transactions en devises qui ne présentent pas de justification économique. Lorsqu’un virement en dollars transite sans motif explicite, les établissements bancaires exigent des justificatifs de revenus ou d’activité. Faute de réponse satisfaisante, le compte peut être clôturé.

Pour approfondir davantage le sujet, nous avons interrogé Bank Al-Maghrib , et nous sommes toujours dans l’attente de sa réponse. Selon le cabinet américain d’analyse de flux financiers Chainalysis, le Maroc a reçu environ 12,7 milliards de dollars en valeur de cryptomonnaies entre juillet 2023 et juin 2024, ce qui le classe par conséquent au 27e rang mondial en termes d’adoption. Bien que ces flux restent modestes comparés à d’autres pays, ils suivent une tendance clairement haussière.

L’adoption croissante de plateformes d’échange et la recherche de solutions alternatives de transfert d’argent alimentent ce mouvement de fond. En effet, une part non négligeable de la diaspora, notamment la jeune génération de Marocains résidant à l’étranger, privilégie les stablecoins pour envoyer de l’argent à moindre coût. Dans un pays où les frais sur les transferts de fonds restent élevés, l’USDT s’impose comme une alternative rapide et peu coûteuse.

«L’appétence pour les stablecoins traduit une tension entre le besoin de fluidité financière et les limites de l’infrastructure existante», analyse un expert en régulation monétaire pour qui le défi consiste à encadrer ces flux sans pour autant brider l’innovation.

«Il existe un marché parallèle où des MRE envoient de l’argent à leurs proches au Maroc, moyennant des frais qui défient toute rationalité économique», explique un spécialiste de la blockchain. Sans encadrement clair, ces circuits risquent de basculer dans l’informalité pure.

Marché parallèle
Cette tendance observée au Maroc reflète une trajectoire mondiale. Une étude publiée en mai 2025 par la Banque des règlements internationaux (BIS) montre une explosion des flux transfrontaliers de cryptoactifs entre 2017 et 2024, culminant à 2.600 milliards de dollars en 2021, soit près de 12% du commerce mondial de biens.

Après une baisse en 2022, ces échanges sont repartis à la hausse. Les stablecoins, tels que l’USDT ou l’USDC, concentrent désormais près de la moitié de ces flux. Utilisés pour les transferts plus que pour la spéculation, ils franchissent les frontières et contournent souvent les cadres réglementaires. La Chine, contrainte par une législation restrictive, cède ainsi progressivement sa place à des pôles émergents tels que l’Inde ou la Turquie.

Malgré les obstacles réglementaires, ces pratiques persistent, se déployant souvent en dehors des circuits bancaires traditionnels. Mais il faut dire qu’en dépit de la mise en garde en 2017 des autorités financières – Bank Al-Maghrib, l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC) et l’Office des changes – contre l’utilisation des cryptos, leur possession n’est pas explicitement criminalisé. En entretenant une certaine ambiguïté réglementaire, les autorités laissent prospérer un marché parallèle où la frontière entre le permis et l’interdit ne tient parfois qu’à un simple clic.

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



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