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Covid-19 en Afrique: l’analyse de la Commission économique pour l’Afrique

La crise déclenchée par le Covid-19 menace la croissance dans le continent africain. La Commission économique pour l’Afrique (CEA) évalue les pertes à des milliards de dollars. Le point avec Khaled Hussein, directeur par intérim du Bureau de la CEA en Afrique du Nord sur la situation actuelle et les solutions pour s’en sortir.

La CEA a mis en garde contre le ralentissement de la croissance en Afrique à cause de la crise déclenchée par le Covid-19. Quelles sont vos prévisions en matière de pertes économiques en Afrique ?
La Commission économique pour l’Afrique a mené une étude pour définir les conséquences de la propagation du Coronavirus en Afrique. Cette étude a porté sur plusieurs secteurs dont le commerce, le tourisme, le transport, l’aviation et le pétrole. Il en ressort plusieurs conclusions importantes dont la principale est la baisse du taux de croissance économique en Afrique en 2020 de 3,2% à 1,8% dans le meilleur scénario. Cette situation aura des répercussions négatives sur les pays africains en matière de création de nouveaux postes d’emploi surtout au niveau du secteur de l’informel. Selon les résultats préliminaires de l’étude, les impacts négatifs toucheront aussi les avancées enregistrées en matière d’objectifs du développement durable. Le besoin de soutien de la communauté internationale à l’Afrique à hauteur de 100 milliards de dollars pour pouvoir combler le déficit en financement se fait jour.

Quels sont les secteurs les plus impactés par la crise actuelle en Afrique ?
Le commerce est en tête des secteurs les plus touchés par la crise actuelle. À ce titre, il est à souligner que 51% des exportations africaines sont destinés aux pays qui sont très touchés par la crise déclenchée par le Covid-19 : l’Union européenne, la Chine, les États-Unis et le Royaume-uni. Ce sont les quatre grands importateurs des exportations africaines. En parallèle, 53% des importations africaines proviennent des pays qui ont été les plus touchés par la crise du Coronavirus. Il est fort probable que la baisse des prix des matières premières se poursuivra. L’Afrique est considérée comme l’un des grands exportateurs de pétrole brut dont les prix d’exportations connaissent de grandes fluctuations. On évalue les pertes financières des pays exportateurs du pétrole à environ 65 milliards de dollars américains dont 19 milliards seront supportés par le Nigeria. En même temps, les pays importateurs du pétrole dont le Maroc vont pouvoir économiser environ 20 milliards de dollars. En prenant en considération ces deux données, la perte globale serait de 45 milliards de dollars dans le secteur du pétrole.

Quel regard portez-vous sur les autres secteurs ?
Uniquement 15 pays africains exportent des produits alimentaires de base. Le royaume du Maroc en fait partie. Aujourd’hui, le commerce ayant trait à ce secteur est à l’arrêt. Si la crise dure, l’Afrique va faire face au problème d’importation des produits dont elle a besoin. En tête des produits importants figurent les médicaments. Il faut dire que l’Afrique importe 94% de ses besoins en médicaments (16 milliards de dollars) dont 75% proviennent de l’Europe, de l’Inde et de la Chine. Le secteur du tourisme et des voyages est également l’un des secteurs les plus touchés. Les freins imposés à la circulation au niveau mondial auront des répercussions négatives inédites dont la baisse des ressources financières des compagnies aériennes. À titre d’exemple, la compagnie aérienne éthiopienne a perdu jusque-là 190 millions de dollars.

Quid des pays les plus touchés sur le continent africain ?
Les pays les plus touchés en Afrique et dans le monde sont ceux qui ont trainé dans la mise en œuvre des mesures de prévention contre la propagation du Covid-19. Certains pays ont mis l’économie avant l’être humain et n’ont pas pris les mesures nécessaires à temps comme l’interdiction des rassemblements. Ils ont ainsi permis à l’épidémie de se propager parmi la population notamment au niveau des régions qui sont marquées par une grande densité d’habitants. La Chine a été un foyer de propagation de l’épidémie jusqu’au mois dernier. Par la suite, l’Italie, l’Espagne et aujourd’hui les États-Unis sont devenus, à leur tour, des foyers du virus. En Afrique, les pays les plus touchés sont l’Afrique du Sud puis l’Égypte, l’Algérie et le Maroc en termes de personnes touchées par le virus.

Mais qu’en est-il sur le plan économique ?
Sur le plan économique, on ne peut rien affirmer de manière catégorique car les choses changent au quotidien. Il s’avère très difficile de définir précisément les répercussions et de classer les pays. Le plus important, c’est l’être humain qui doit passer avant l’économie.

Le rétablissement de la Chine, premier partenaire économique du continent, va-t-il limiter les répercussions de la crise sur les pays africains ?
Il est certain que le rétablissement de la Chine va permettre la reprise du travail au niveau des usines chinoises ainsi que celle des flux des produits chinois au niveau des marchés africains. Ce qui va permettre d’assurer la stabilité des prix des produits importés et de répondre à une grande partie de la demande interne. Parmi les produits les plus importants, à l’heure actuelle, figurent les produits pharmaceutiques et les médicaments. Le rétablissement de la Chine va aussi permettre l’augmentation de la demande des exportations africaines vers la Chine qui ont connu une baisse au cours des deux derniers mois de l’ordre de 4 milliards de dollars. Il est à souligner que le rétablissement de la Chine et de tout autre pays aura des conséquences positives sur l’Afrique.

Est-il possible que cette crise soit aussi une opportunité qui s’offre à l’Afrique de renforcer la coopération au sein de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) ?
C’est une question qui a été traitée par l’étude. La Commission économique pour l’Afrique incite les pays du continent à tirer parti de cette pandémie en accélérant la mise en œuvre de la convention de libre échange continentale qui va permettre de booster les exportations africaines de 36 milliards à 43 milliards de dollars. On s’attend à ce que les équipements du transport, de l’énergie et des mines, les machines, les produits chimiques, les produits alimentaires et le textile connaissent la plus grande hausse en matière d’exportation. C’est un appel à l’ouverture en Afrique. Il est temps de diversifier le commerce et de mettre en œuvre efficacement la convention de libre-échange intercontinentale pour aider l’Afrique à réaliser une croissance durable.

Outre le renforcement de la coopération intercontinentale, que propose la CEA pour dépasser la crise ?
Dès le premier jour, la CEA a pris l’initiative d’étudier les répercussions négatives sur les économies africaines et a appelé la communauté internationale à apporter un soutien immédiat à l’Afrique de l’ordre de 100 milliards de dollars dont 44 milliards au titre de l’allégement du fardeau des dettes pour l’ensemble des pays africains en 2020. Si la crise dure, le besoin est évalué à 50 milliards de dollars supplémentaires pour l’opération de restructuration et de réforme économique. Il est indispensable d’arrêter les intérêts des dettes pendant deux ans. Cet appel a été lancé en coordination avec les ministres des Finances africains qui ont appelé lors de leur réunion le 31 mars à la solidarité pour faire face à cette pandémie et ont souligné le besoin d’incitations financières pour contenir la crise. Cette initiative est lancée en coordination avec l’Union africaine et les organisations financières internationales (le FMI, la Banque mondiale).


Bonne réactivité du Maroc

«Dès les premiers jours de la propagation du virus Covid-19, le gouvernement du Maroc a pris nombre de mesures rapides et sérieuses comme la fermeture des écoles, des cafés et des restaurants et le confinement…Ce qui a permis de maîtriser la propagation du virus ; c’est en effet la plus importante initiative des autorités publiques marocaines», souligne Khaled Hussein, directeur par intérim du Bureau de la CEA. Autres points positifs, le gouvernement a soutenu les secteurs de la santé, de l’enseignement, de l’entraide nationale et a assuré l’approvisionnement du marché en produits stratégiques. À cela s’ajoutent l’allégement des répercussions sociales de la crise et la solidarité avec les couches à revenus limités…Par ailleurs, au niveau économique, la Banque centrale a diminué le taux d’intérêt. Un Fonds spécial a été créé pour soutenir l’économie nationale ainsi qu’un comité de veille stratégique. «Toutes ces mesures ont permis de limiter les répercussions de la crise du Covid-19 sur les différents secteurs. Si le gouvernement marocain avait trainé, les répercussions seraient plus grandes que la situation actuelle. En résumé, la situation actuelle est rassurante au Maroc en dépit des cas de contaminations enregistrées quotidiennement», ajoute Khaled Hussein. Les moyens mis en place dépassent la propagation du virus. Pour s’en sortir avec le minimum de dégâts, les citoyens doivent respecter le confinement sanitaire en cours. Comparant le Maroc avec d’autres pays, Hussein estime que «la différence réside dans les mesures rapides prises et la fermeté au niveau de leur mise en œuvre».


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