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Contentieux fiscaux : la DGI réactive, les contribuables pressés !

Le rapport 2024 de la DGI révèle une amélioration des délais de traitement et une digitalisation accrue. Pourtant, l’explosion du contentieux administratif (+14%) et du stock en attente (+38%) menace la confiance des contribuables. Détails.

En 2024, la DGI a liquidé 76% des dossiers de réclamations administratives en moins de 30 jours. Cependant, le stock des réclamations a bondi à 12.617 dossiers (+38%), avec une concentration alarmante sur la Taxe professionnelle et l’IR. Le rapport 2024 que vient de publier la Direction générale des impôts (DGI) met en lumière à la fois des avancées significatives et des défis persistants dans la gestion du contentieux administratif, révélateur des dynamiques complexes entre l’administration, les contribuables et la pression fiscale.

Le directeur général, Younes Idrissi Kaitouni, met en avant une amélioration tangible de la rapidité de traitement des dossiers. «La célérité dans le traitement des demandes des contribuables s’illustre particulièrement à travers la performance en matière de traitement du contentieux administratif. En effet, 62.568 dossiers ont été liquidés dans un délai de 30 jours suivant la date de leur dépôt, ce qui représente 76% de l’ensemble des dossiers liquidés en 2024, en amélioration de 7 points par rapport à 2023».

Ce chiffre, associé à une augmentation de 15% du nombre de dossiers liquidés sous 30 jours (+8.204), démontre un effort structurel pour réduire les délais, pilier de la confiance des contribuables et de l’efficacité administrative. Parallèlement, la transformation digitale s’accélère.

La DGI a intensifié sa mutation numérique en 2024, avec des avancées opérationnelles significatives. La plateforme SIMPL-Réclamation consolide son déploiement. Sa part dans les saisines est passée de 11% à 14%, s’enrichissant de nouvelles fonctionnalités (dépôt en ligne des demandes de remise gracieuse, échanges électroniques pour compléments) et élargissant sa couverture à des impôts critiques (CPU, droits de timbres, IR/PA).

En parallèle, le système intégré de taxation (SIT) optimise ses outils internes : renforcement des modules de suivi, de pilotage et d’alerte, amélioration des tableaux de bord et intégration de cas complexes (demandes d’accord post-émission, gestion des non-valeurs).

La fonctionnalité «Rapport d’instruction» est enrichie pour consolider l’analyse décisionnelle. Des innovations qui soutiennent une efficience accrue, illustrée par le bond du traitement intra-année : 78.632 dossiers constitués et liquidés en 2024 (soit 95% du total liquidé, +6 pts par rapport à 2023), traduisant une agilité administrative renforcée et une résorption plus rapide des litiges courants. Une synergie entre dématérialisation élargie et optimisation des processus qui incarne l’ancrage de la DGI dans l’ère du numérique.

Pression croissante et stock explosif : les signaux d’alerte
Cependant, les données de 2024 révèlent des tensions structurelles préoccupantes malgré les progrès affichés. Le volume des réclamations connaît une hausse massive de 14% (90.030 dossiers constitués contre 78.916 en 2023), dépassant largement la croissance des liquidations (+4%, atteignant 82.464 dossiers). Un écart qui crée un déséquilibre opérationnel critique, où l’afflux de contentieux dépasse la capacité de résorption.

La conséquence directe en est l’explosion du stock de dossiers en attente, bondissant de 38% pour atteindre 12.617 réclamations fin 2024 (contre 9.132 en 2023), signalant une accumulation préoccupante et une pression durable sur le système.

Cette dynamique est aggravée par une concentration des tensions sur des impôts clés. Pour les nouveaux dossiers, la Taxe professionnelle (TP) et l’Impôt sur le revenu (IR) représentent à eux seuls 43% des réclamations (TP à 19,3%, IR à 16%), avec des hausses annuelles alarmantes : +27% pour la TP et +12% pour l’IR.

À l’inverse, la Taxe d’habitation et la Taxe de services communaux (TH/TSC) s’effondrent de 77%, reflétant probablement des réformes ciblées. Dans le stock accumulé, cette concentration persiste : 57% des dossiers en attente concernent la TP (31%), l’IS (9%) et l’IR (18%), ces trois segments enregistrant des hausses vertigineuses de 49%, 42% et 43%, respectivement.

Ainsi, les recours gracieux, souvent synonymes de litiges complexes, pèsent pour 26% du stock, soulignant des contentieux sensibles non résolus. Une triple pression – volume croissant, stock explosif et concentration sectorielle – qui expose la fiscalité des entreprises à un risque systémique.

La prédominance des contentieux sur la TP et l’IS (impôts structurants du secteur productif) alourdit la trésorerie des acteurs économiques, tandis que l’accumulation de dossiers complexes (recours gracieux) mine la sécurité juridique. Des indicateurs qui révèlent que les gains d’efficience, bien réels, restent insuffisants face à une crise de confiance générant un contentieux toujours plus dense et ciblé.

Performances réelles vs. pression structurelle
Au vu des chiffres, il apparait que les gains d’efficience de la DGI sont tangibles : réduction des délais de traitement (76% des dossiers liquidés dans un délai inférieur ou égal à 30 jours, +7 pts par rapport à 2023), rationalisation du traitement intra-année (95% des dossiers liquidés constitués en N, +6 pts), et modernisation des outils digitaux.

Toutefois, ces progrès sont éclipsés par une pression contentieuse exponentielle. L’afflux de nouvelles réclamations (+14% en 2024) et l’explosion du stock (+38%, atteignant 12.617 dossiers) révèlent un déficit d’efficacité globale : traiter plus vite ne suffit pas lorsque la demande croît plus rapidement que la capacité d’absorption.

La digitalisation, bien que prometteuse (élargissement de SIMPL-Réclamation à 14% des saisines), peine à impacter la courbe structurelle, faute d’adoption massive par les professionnels – pourtant principaux contributeurs aux contentieux TP/IR/IS (43% des nouveaux dossiers).

Cette dynamique menace la confiance des contribuables et la sécurité juridique : le stock croissant de litiges sur des impôts clés (TP : 31%, IS : 9%, IR : 18% du stock total) génère une incertitude fiscale pour les entreprises, alourdissant leur trésorerie et compromettant leur compétitivité. La concentration des tensions sur la fiscalité productive (TP : +27%, IR : +12% en nouveaux dossiers) signale un risque systémique pour l’environnement économique, où la célérité affichée masque mal une incapacité à résorber les contentieux à la source.

Un équilibre fragile
Le rapport 2024 de la DGI sur le contentieux administratif peint un tableau contrasté. D’un côté, une administration qui progresse significativement en matière de célérité et d’outillage digital, traitant plus rapidement une grande majorité des nouveaux dossiers et résolvant davantage de litiges dans l’année ; de l’autre, une pression contentieuse qui s’accélère (+14% de nouvelles réclamations), conduisant à une accumulation préoccupante de dossiers non résolus (+38% de stock), notamment sur des impôts structurants pour l’économie (TP, IR, IS).

La performance opérationnelle indéniable, en termes de délais et de digitalisation, est donc contrebalancée par une pression fiscale ou des complexités administratives générant un volume croissant de contestations.

Au-delà de la célérité, l’urgence de désamorcer la bombe du stock contentieux

En définitive, on peut dire que la véritable performance future résidera dans la capacité de la DGI à inverser durablement la tendance à l’accumulation du stock, tout en maintenant et en amplifiant les gains d’efficience, et surtout, à agir en amont pour réduire les sources mêmes des litiges qui pèsent sur les contribuables, particulièrement les entreprises.

La poursuite de la digitalisation (SIMPL-Réclamation) et l’analyse fine des causes qui sont à la source des réclamations sur la TP et l’IR/IS seront déterminantes. Comme le souligne implicitement l’explosion du stock, la célérité affichée ne doit pas masquer la nécessité d’une résolution durable et globale des tensions entre l’administration et les contribuables.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO



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