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Conseil de la concurrence : Une institution victime de lobbies

Le Conseil de la concurrence est dans une situation de mort clinique depuis juin 2014, date de la sortie de la nouvelle loi régissant cette instance. Ce texte devait permettre à cette instance constitutionnelle d’étudier, de surveiller et sanctionner les pratiques anticoncurrentielles au Maroc.

La mise en place d’un Conseil de la concurrence a été toujours un exercice laborieux au Maroc. La loi n° 06-99 sur la liberté des prix et de la concurrence de juin 2000 prévoyait déjà l’installation de cette instance indispensable pour une économie de marché. Un premier texte réglementaire est voté en 2005. Le conseil voit le jour en 2008, mais avec des pouvoirs limités et des actions timides. Or, il a fallu attendre une décennie et un certain printemps 2011 pour que cet organe se mette réellement au travail. Une nouvelle phase d’hibernation du conseil reprend en août 2014, dès le vote de la loi n° 20-13 relative au Conseil de la concurrence. Pourtant, ce texte promoteur a annoncé l’émergence d’un réel régulateur des marchés.

Prérogatives élargies
L’article 1 de ce texte décrit le nouveau visage du conseil. C’est «une institution indépendante chargée, dans le cadre de l’organisation d’une concurrence libre et loyale, d’assurer la transparence et l’équité dans les relations économiques, notamment à travers l’analyse et la régulation de la concurrence sur les marchés, le contrôle des pratiques anticoncurrentielles, des pratiques commerciales déloyales et des opérations de concentration économique et de monopole». Abdelali Benamour et son équipe ont milité pour accéder au statut d’instance indépendante. «Nous disposons d’un des meilleurs textes dans le monde», rappelle le président actuel du conseil. Deuxième acquis de ce texte, est son pouvoir décisionnel. L’article 2 de cette loi donne les pleins pouvoirs «en matière de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et de contrôle des opérations de concentration économique». L’article 4 de la loi peut susciter des inquiétudes du côté de certains milieux d’affaire. Ce texte donne le pouvoir de «se saisir d’office de toutes les pratiques susceptibles d’affecter le libre jeu de la concurrence…» et «se saisir d’office des manquements aux engagements pris par les parties à une opération de concentration économique lorsque l’administration a évoqué la décision relative à ladite opération». Une prérogative qui pouvait être utilisée lors de la fusion LafargeHolcim… Le conseil est «obligatoirement» consulté par le gouvernement sur les projets de textes législatifs ou réglementaires instituant un régime nouveau ou modifiant un régime en vigueur ayant directement pour effet de soumettre l’exercice d’une profession ou l’accès à un marché à des restrictions quantitatives ; d’établir des monopoles ou d’autres droits exclusifs ou spéciaux sur le territoire du Maroc ou dans une partie substantielle de celui-ci ; d’imposer des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de vente ; d’octroyer des aides de l’État ou des collectivités territoriales conformément à la législation qui y est relative. Une disposition qui pouvait être utilisée lors du vote de la loi 131-13 sur l’exercice de la médecine et permettant l’ouverture des cliniques privées par les non-médecins. Le conseil confirme aussi ses prérogatives d’instances de consultation et de réalisation d’étude sur le climat général de la concurrence. D’ailleurs, «le conseil peut être consulté par les commissions permanentes du Parlement sur les propositions de loi ainsi que sur toute question concernant la concurrence». Cette instance donne aussi son avis sur toute question relative à la concurrence, à la demande du gouvernement, des Collectivités territoriales, des Chambres de commerce, d’industrie et de services, des Chambres d’agriculture, des Chambres d’artisanat, des Chambres des pêches maritimes, des organisations syndicales et professionnelles, des instances de régulation sectorielle ou des associations de consommateurs reconnues d’utilité publique, dans la limite des intérêts dont ils ont la charge. Benamour a aussi préservé le droit d’accès à l’information en rendant publics tous les avis du conseil accessible via le Bulletin officiel.


Le marché des hydrocarbures sur la table de Benamour

Le Conseil de la concurrence continue de recevoir des saisines. «Il y a trois mois, nous avions été saisis au sujet de la situation du marché des hydrocarbures. Un rapporteur a été désigné. Les résultats sont prêts. Sauf que sans les membres du conseil pour amender et valider les contenus de notre travail, rien ne peut être rendu public», déplore le président du Conseil de la concurrence, Abdelali Benamour. D’autres sujets sont sur la table du conseil : «Nous avions des saisines relatives à la concurrence dans des marchés publics ou encore l’e-commerce», ajoute le président. Les rapports sur ces sujets délicats sont stockés dans des tiroirs au siège du conseil, route des Zaer, à Rabat.


Abdelali Benamour : Abdelali Benamour Président du Conseil de la concurrence

«Si le conseil jouait son rôle, on aurait évité cette mauvaise situation»

Les Inspirations ÉCO : Le  boycott et les débats qu’il a engendrés peuvent-ils jouer un rôle dans la relance du Conseil de la concurrence ?  
Abdelali Benamour :  Nous n’allons pas profiter de situations conflictuelles pour   débloquer ce dossier. En revanche, ce qui se passe actuellement reflète une chose: le conseil ne remplit pas ses prérogatives. Si notre instance avait joué son rôle, nous aurions pu éviter cette mauvaise situation. Nous aurions pu lancer une autosaisine au sujet d’un secteur, étudier sa situation et statuer sur d’éventuelles infractions ou amendes, et les choses seraient rentrées dans l’ordre.

Avez-vous relancé le gouvernement pour accélérer la nomination des membres du conseil ?
Bien sûr. J’ai discuté avec l’ancien chef de gouvernement sur le sujet. J’ai fait de même avec El Othmani lui expliquant que le mandat des membres est arrivé à échéance en novembre 2013. Les nouveaux membres n’ont toujours pas été désignés.

Quelle a été la réponse des deux chefs de gouvernement ?
Benkirane comme El Othmani m’ont dit avoir fait leur travail.

C’est à dire…
Ceci veut dire qu’ils ont émis des propositions de nom en vue des nominations. C’est tout ce que j’ai eu comme réponse.

Avez-vous pris contact avec le cabinet royal à ce sujet ?
Nous avons écrit à tout le monde pour demander à ce que cette situation puisse être débloquée.

Vous évoquez des lobbies qui seraient à l’origine de ce blocage. ..
Au départ, on pensait que les retards étaient administratifs, mais quand cela a trop duré, on s’est remémoré les propos de nos homologues du Conseil allemand de la concurrence. Ils nous ont dit qu’il y aura toujours des lobbies qui agiront contre ce processus au moment de l’émergence d’une autorité de la concurrence.  

Avez-vous pensé à démissionner ?
Non, jamais. Je ne fais pas de chantage. Ceci dit, j’ai évoqué mon départ pour des raisons d’âge. J’en ai fait part à Benkirane, de même qu’à l’actuel chef de l’Exécutif. J’ai atteint un âge où je dois partir.


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