Conjoncture: comment se préparer au pire des scénarios
L’Initiative Tariq Ibnou Ziyad (TIZI), communauté d’idées basée à Paris, a braqué les projecteurs sur le Maroc dans une approche prospective peu optimiste si l’on en croit ses outputs. À court terme, si le Covid-19 n’est pas éradiqué, Tizi entrevoit des impacts socio-économiques forts, avec 3 à 4 millions d’emplois perdus, soit 30% à 40% de l’emploi total. L’analyse de TIZI fait ressortir des répercussions différenciées selon les secteurs.
Ainsi, pour les commerces, fermés en majorité, la menace est encore plus présente avec des pertes d’emploi pouvant atteindre 1,5 million de salariés.
Dans les BTP, où plus de 1,1 million de postes sont menacés, les experts de TIZI proposent une «ouverture» sous conditions. Le tourisme est peut-être le secteur où l’activité est complètement paralysée avec une perte de 530.000 emplois. Un fort impact est aussi attendu pour les transports et logistique (-500.000 emplois), le textile et cuir (-300.000 emplois), l’automobile et aéronautique (-170.000 emplois) et l’offshoring (-60.000 emplois). TIZI a recensé plusieurs risques majeurs pour les mois à venir : faillite des entreprises, hausse de la précarité et fortes tensions sociales à l’orée d’une année électorale 2021. Sur ce dernier point, le think tank évoque l’idée de geler les processus électoraux.
En clair, en cas d’année électorale blanche, les technocrates entreront en jeu pour prendre les choses en main. Ce n’est pas une surprise en soi puisque le Maroc a eu à maintes reprises recours aux technocrates pour gérer certains secteurs sensibles. Sur ce dernier registre, ce que TIZI a omis de mettre en avant, c’est la nature même de l’institution qui, grâce à la stabilité qu’elle incarne, met le pays à l’abri des effets disruptifs de ce genre de crises. Quant au risque de cessation de paiement pour l’État si la pandémie se venait à se prolonger dans le temps, Bank Al-Maghrib a déjà pris les mesures pour avoir suffisamment de munitions et continuer à s’approvisionner en produits et matériaux nécessaires. TIZI propose un certain nombre de mesures dont plusieurs ont déjà été mises en œuvre par le Comité de veille économique et son instrument financier, le Fonds de solidarité Covid-19. Il s’agit de mettre en place un bouclier social pour les indépendants formels (1 million au total), informels (2 millions dont 1,4 million hors agriculture), les salariés perdant leur emploi (à estimer, 2.000 DH par perte d’emploi). Une proposition déjà instaurée par le gouvernement et ses partenaires, la CNSS et la CGEM. TIZI met aussi en avant une idée intéressante, à savoir la mise en place d’une plateforme Internet dédiée au fonds de solidarité pour plus de transparence en matière d’utilisation de l’argent de la solidarité.
Le think tank pense, par ailleurs, qu’il serait opportun de mobiliser la Zakat dans le cadre du fonds pour en faire profiter les personnes les plus fragiles. Autre opportunité d’injecter plus de budget dans le fonds de solidarité, la possibilité d’encadrer ou augmenter les taxations d’importations de pétrole sans impact sur le prix final consommateur. En effet, est-il indiqué, depuis la baisse de 60$ à 30$ du Brent, les gains se situeraient entre 7,5 MMDH et 12 MMDH. Plus encore, TIZI exhorte les pouvoirs publics à s’appuyer sur le Registre social unifié, en préparation, pour mieux cibler les ménages et les personnes en situation de précarité. En attendant, la CIN peut aussi être un outil d’identification et de suivi des aides.
À ce propos, il est recommandé de lancer une opération d’inscription à une plateforme digitale ouverte, avec indication de la CIN et du compte bancaire (pour les 30% de personnes bancarisées). Pour ce qui est de l’eau et de l’électricité, il est proposé d’interdire sur l’ensemble du territoire de couper ces services en cas de non-paiement. Plus encore, il est recommandé de coordonner avec les régies (via la direction des régies et services concédés) une réduction forfaitaire en milieu urbain et une annulation pour le milieu rural. Mais pour mieux se prémunir contre les effets néfastes d’un prolongement de la pandémie, TIZI estime qu’il serait judicieux de mobiliser dès maintenant une équipe du ministère des Finances pour évaluer les impacts du pire scénario possible, et proposer des mesures préventives à mettre en œuvre.
Covid-19: une aubaine pour le made in Morocco ?
Pour assurer la continuité des secteurs essentiels (agriculture, santé…) et minimiser l’impact sur les autres, TIZI dévoile certaines pistes. Ainsi, le think tank propose de réévaluer l’ouverture (par dérogation, si respect des conditions sanitaires il y a) du secteur BTP (+1,1 million d’emplois) actuellement à l’arrêt. En effet, ce secteur continue de fonctionner en Californie (USA). Idem pour l’offshoring (+60.000 emplois directs), dont l’arrêt peut durablement malmener l’industrie. Il s’agit aussi de mettre en place une gouvernance par secteur clé (alimentaire et agroalimentaire, pharmacies), sous l’égide du ministère de l’Industrie, incluant les décideurs de chaque secteur pour identifier le risque sur chaque chaîne de distribution, et régulièrement donner de la visibilité sur l’état des stocks. Autre idée importante, les pouvoirs publics peuvent promouvoir la consommation locale pour contribuer à redémarrer l’économie (notamment le secteur touristique) et soutenir la production locale.