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Comptes courants d’associés : la hausse du taux déductible, aubaine ou épée à double tranchant ?

Suite à la publication au Bulletin officiel de l’arrêté du ministère de l’Économie et des Finances, l’on sait que le taux déductible des intérêts sur les comptes courants d’associés passe de 1,89% pour l’année 2023 à 3,19% pour 2024. Face à la hausse du taux d’intérêt fiscal déductible sur les comptes courants d’associés, comprendre les enjeux fiscaux et financiers des comptes courants d’associés est crucial pour une gestion optimale de l’entreprise. Zoom sur les implications.

Pour l’année 2024, le taux maximal des intérêts déductibles sur les comptes courants créditeurs d’associés a été fixé à 3,19%, soit une nette hausse par rapport aux années précédentes (1,89% en 2023, 1,42% en 2022). Cette décision réglementaire du ministère de l’Économie et des Finances soulève de nombreuses interrogations quant à son impact concret sur la gestion financière des entreprises marocaines, en particulier celles ayant recours à ce mode de financement interne.

Entre autres : dans quelle mesure cette hausse du taux représente-t-elle réellement un avantage fiscal substantiel pour les PME ? Cette hausse n’est-elle pas susceptible d’encourager une certaine sous-capitalisation des entreprises, allant à l’encontre des principes de bonne gouvernance ? Cette mesure sera-t-elle pérenne ou seulement conjoncturelle, au vu du contexte économique actuel ? Les avantages escomptés en termes de financement des entreprises sont-ils réellement à la hauteur des enjeux de compétitivité du tissu économique national ?

Une hausse qui ne devrait pas impacter les choix de financement des entreprises
Selon Kamal Semlali Bader, expert-comptable et fondateur du cabinet Audicompliance Consulting, «cette hausse ne devrait pas impacter les choix de financement de l’entreprise au sens du terme, dans la mesure où le coût financier de 3,19% demeure compétitif par rapport au financement externe».

En effet, ce taux reste compétitif par rapport aux options de financement externe proposées par les banques commerciales et autres institutions financières. Cependant, elle implique «une réactualisation du calcul des intérêts comptabilisés et des intérêts déductibles», avec un effet indirect sur la baisse de l’impôt sur les sociétés à payer.

Prenons l’exemple d’une entreprise ayant un emprunt de 1 million de dirhams associé à un taux d’intérêt variable basé sur le taux débiteur de Bank Al-Maghrib. Avant la hausse, si le taux débiteur était de 2,19%, les intérêts annuels à payer seraient de 21.900 dirhams (1.000.000 x 2,19%). Après la hausse à 3,19%, les intérêts annuels passeraient à 31.900 dirhams (1.000.000 x 3,19%).

Cette augmentation aura deux conséquences pour l’entreprise. La première, une hausse des charges financières comptabilisées. Les intérêts supplémentaires de 10.000 dirhams (31.900 – 21.900) devront être comptabilisés comme charges financières, ce qui réduira le bénéfice comptable de l’entreprise. La seconde est une diminution de l’impôt sur les sociétés à payer.

Ces intérêts supplémentaires seront déductibles fiscalement, ce qui aura pour effet de réduire l’assiette imposable de l’entreprise et, par conséquent, l’impôt sur les sociétés à payer. Ainsi, bien que la hausse du taux débiteur n’impacte pas directement les choix de financement, elle implique une réactualisation des calculs des intérêts comptabilisés et des intérêts déductibles, avec un effet indirect sur la baisse de l’impôt sur les sociétés à payer pour les entreprises endettées.

Que dit la convention de compte courant d’associés ?
Mohamed Belkhayat, expert-comptable et commissaire aux comptes, souligne que «ce taux n’est pas forcément celui qui est prévu par la convention de compte courant». Les entreprises peuvent prévoir un taux d’intérêt supérieur dans leurs conventions de compte courant, mais elles devront alors réintégrer la différence dans leur résultat fiscal.

Prenons l’exemple d’une SARL avec un capital social de 500.000 dirhams et un compte courant d’associé de 1.000.000 dirhams. La convention de compte courant prévoit un taux d’intérêt de 4,5%. Le calcul des intérêts déductibles sera le suivant : intérêts théoriques au taux de 3,19% : 1.000.000 x 3,19% = 31.900 dirhams ; intérêts prévus dans la convention à 4,5% : 1.000.000 x 4,5% = 45.000 dirhams. La différence (13.100 dirhams) devra être réintégrée dans le résultat fiscal de l’entreprise.

Cependant, comme le rappelle Belkhayat, il existe une limite fiscale sur les intérêts déductibles lorsque le montant du compte courant dépasse le capital social. Dans notre exemple, seuls les intérêts correspondant au capital social de 500.000 dirhams seront entièrement déductibles. Le calcul des intérêts déductibles plafonnés sera le suivant : intérêts au taux de 4,5% sur le capital social (500.000 x 4,5%) = 22.500 dirhams ; intérêts au taux de 3,19% sur l’excédent (500.000 x 3,19%) = 15.950 dirhams.

Ainsi, sur les 45.000 dirhams d’intérêts prévus dans la convention, seuls 38.450 dirhams (22.500 + 15.950) seront déductibles fiscalement. Le solde de 6.550 dirhams devra être réintégré dans le résultat fiscal. Comme on le constate, les entreprises peuvent prévoir des taux d’intérêt supérieurs au taux de Bank Al-Maghrib sur leurs comptes courants d’associés, mais elles devront réintégrer la différence dans leur résultat fiscal. De plus, lorsque le compte courant dépasse le capital social, une partie des intérêts sera plafonnée et réintégrée.

Incitations limitées pour de nouveaux apports
S’il existe théoriquement une élasticité positive entre la hausse du taux et les financements via le compte courant, les experts s’accordent à dire que l’impact réel sur les nouveaux apports sera limité.

«En réalité, la décision de financement est liée aux besoins de l’entreprise et non au taux d’intérêt», nuance Semlali Bader.

Mohamed Belkhayat abonde : «C’est un outil précieux qui permet aux dirigeants de moduler leur type de financement, et pour les associés c’est une rémunération proche de celle habituellement octroyée». Mais il prévient que ce mode de financement ne doit rester qu’une solution ponctuelle de trésorerie, l’entreprise devant choisir dès le départ «un montant de capital correspondant à son activité».

Gestion prudente recommandée
Face à la volatilité récente des taux déductibles (de 2,23% en 2020 à 1,42% en 2022 par exemple), Semlali Bader déconseille aux entreprises d’opter pour un lissage par provisionnement. «Fiscalement, il n’y a pas de mécanisme légal autorisant l’étalement de ces intérêts qui doivent être rattachés à leur exercice comptable». Il recommande plutôt d’adopter une gestion prudente, en «injectant le montant optimal répondant aux besoins de l’exploitation» et en tenant «un suivi des flux sous forme d’une échelle d’intérêts».

La société doit aussi «démontrer ses capacités à rembourser ces fonds» pour éviter une provision non déductible. Sur le plan juridique, il est essentiel d’«élaborer une convention de compte courant associé autorisée par les statuts», de «la soumettre pour autorisation» et de procéder à son «enregistrement dans les délais réglementaires», rappellent les experts.

Impacts fiscaux contrastés
En termes d’imposition, l’impact de la hausse du taux déductible varie selon la qualité du contribuable. Pour la société, au-delà de l’économie d’impôt sur les sociétés (IS) induite par la déductibilité accrue, «ces intérêts sont soumis à la TVA», précise Bader.

Pour l’associé, ses intérêts subissent une «retenue à la source de 20% (ou 30% en cas d’anonymat de l’associé)», indique Belkhayat.

Ils constituent aussi «un revenu imposable» que l’associé doit déclarer pour imputation de la retenue. Les apports sont par ailleurs soumis à un droit d’enregistrement de 1,5%. Si le compte courant peut être un instrument complémentaire pour rentabiliser les investissements, Semlali Bader nuance : «Pour être déductibles, les charges doivent se rattacher à la gestion, pas au seul but de rémunérer les associés».

Mohamed Belkhayat
Expert-comptable et commissaire aux comptes

«Le compte courant d’associé est un outil précieux permettant de moduler le financement de l’entreprise. Les dirigeants y recourent pour combler temporairement les besoins de trésorerie, au-delà des lignes bancaires. La convention prévoit un taux de rémunération, souvent proche du taux déductible fiscalement, plafonné pour éviter la sous-capitalisation. En 2024, le taux déductible de 3,19% est intéressant car calculé sur la moyenne des taux de Bank Al-Maghrib. Toutefois, avec leur récente baisse, un repli est anticipé en 2025. Le compte courant permet aussi de financer des investissements, via un compte bloqué, fonctionnant comme un crédit bancaire avec remboursements échelonnés. Pour l’associé, ces intérêts font l’objet d’une retenue à la source de 20% ou 30%, imputables sur l’IR. Un outil à manier avec précaution, dans le respect des règles fiscales et juridiques.»

B.C. / Les Inspirations ÉCO



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