Balance commerciale : à 59,9%, le taux de couverture touche son plus bas historique

Le déficit commercial, qui s’est creusé à -133 milliards de DH, n’est plus un accident conjoncturel mais le symptôme d’au moins trois ruptures systémiques inquiétantes, lesquelles risquent de compromettre la résilience économique du Maroc. Analyse.
Les chiffres des échanges extérieurs du Maroc à fin mai 2025, publiés par l’Office des changes, confirment une aggravation inquiétante du déficit commercial. Celui-ci atteint -133,066 milliards de DH (MMDH), soit +15,1% sur un an, creusé par des importations en hausse de +7,4% (331,690 MMDH) et des exportations quasistagnantes à +2,8% (198,625 MMDH). Le taux de couverture chute ainsi à 59,9%, son plus bas niveau historique. Une tendance qui, loin d’être conjoncturelle, révèle des déséquilibres profonds susceptibles de menacer la résilience économique nationale.
Une détérioration structurelle du commerce extérieur
Au vu des chiffres de l’Office des changes, la structure des échanges extérieurs révèle des déséquilibres profonds et systémiques. Du côté des importations, la croissance soutenue (+7,4%) masque une prédominance de la consommation sur l’investissement productif.
En tête, les produits finis d’équipement (+12,4%, à 78,535 MMDH) témoignent d’une dépendance industrielle persistante : la hausse des achats de pièces aéronautiques (+1,441 MMDH) et de véhicules utilitaires (+1,218 MMDH) illustre l’incapacité des stratégies sectorielles (comme l’écosystème automobile) à réduire les importations d’intrants critiques. Plus préoccupant encore, le bond des produits finis de consommation (+9,6%, à 77,921 MMDH), porté par les voitures de tourisme (+21,4%) et les médicaments pharmaceutiques (+19,3%), reflète une demande intérieure dopée par le crédit mais non compensée par une offre locale compétitive.
En parallèle, les demi-produits (+5,7%, à 70,599 MMDH), avec des achats accrus d’aluminium brut (+635 millions de DH) et de fils de cuivre (+589 millions), signalent des goulots d’étranglement dans les chaînes de valeur industrielles locales.
Côté exportations, la croissance atone (+2,8%) apparaît structurellement déconnectée du rythme des importations. Les secteurs clés (textile, automobile, agroalimentaire) pâtissent d’une concurrence internationale accrue et d’une diversification géographique insuffisante, limitant leur résilience face aux chocs externes.
La double vulnérabilité énergétique et alimentaire aggrave ce tableau. Si la facture énergétique recule (-6,5%, à 45,607 MMDH), cette baisse est entièrement attribuable à la chute des cours du pétrole (-19,3%), occultant une hausse inquiétante des volumes importés (+5,9%) qui perpétue la dépendance aux hydrocarbures.
De manière symétrique, les importations alimentaires (+7,7% , à 41,141 MMDH) explosent, tirées par les achats d’animaux vivants (+930 MDH) et de maïs (+755 MDH), révélant l’échec des politiques agricoles (Plan Maroc Vert) à garantir l’autosuffisance stratégique. Une combinaison de dépendances – industrielle, énergétique et alimentaire – qui constitue le socle structurel du déficit commercial national.
Une dégradation historique : 2021–2025, l’engrenage du déficit
L’évolution du déficit commercial, entre fin mai 2021 et fin mai 2025, dessine une trajectoire alarmante de dépendance économique accrue. En quatre ans, le déséquilibre s’est creusé de 56,9%, passant de -84,835 MMDH à fin mai 2021 à -133,066 milliards à fin mai 2025. Une dégradation qui masque une contradiction structurelle : si les exportations ont progressé honorablement (+58% depuis 2021, atteignant 198,625 milliards), les importations ont bondi plus vigoureusement encore (+57,5%, à 331,690 milliards). La chronologie révèle une accélération inquiétante.
Après un bond initial à -114,668 MMDH à fin mai 2022 sous l’effet de la reprise post-pandémie, le déficit s’est stabilisé autour de -118 milliards à fin mai 2023-2024 avant de s’emballer en 2025 (+15,1% sur un an). Une dynamique qui traduit un modèle économique «extractif» où la croissance des importations (notamment de biens intermédiaires et de consommation) nécessite davantage de devises que les exportations n’en génèrent, fragilisant la balance des paiements malgré des performances exportatrices absolues en hausse.
Le cri d’alarme des acteurs : l’appel au «Made in Morocco»
Anass El Ansari, président de l’Association marocaine des industries de textile et de l’habillement AMITH, résume l’urgence. «Le déficit commercial (…) atteint 133,06 MMDH à fin mai 2025, soit une hausse préoccupante de 15,1% (…). Concrètement : nos importations continuent d’augmenter (+7,4%), alors que nos exportations progressent beaucoup plus lentement (+2,8%). (…) Un tel déséquilibre signifie que nous consommons beaucoup plus que nous ne produisons (…), ce qui fragilise notre économie, creuse la dépendance aux marchés extérieurs et pèse sur nos réserves en devises». Son plaidoyer pour une consommation citoyenne responsable («privilégier le Made in Morocco») souligne l’échec des politiques publiques à rééquilibrer la balance.
Les causes structurelles
Pour résumer en trois points les avis des experts et analystes contactés, disons qu’au moins trois défaillances systémiques expliquent la persistance du déficit commercial au Maroc.
Premièrement, «les politiques industrielles inachevées présentent des lacunes sectorielles critiques». Dans l’automobile, premier secteur exportateur, 70% de la valeur reste captée par des composants importés ; le textile souffre d’une intégration locale insuffisante limitant sa compétitivité internationale ; l’agroalimentaire échoue à transformer localement les matières premières (céréales, produits agricoles…), alourdissant mécaniquement la facture d’importation.
Deuxièmement, «la fiscalité douanière désincitative pénalise la production nationale». Les droits élevés sur les biens intermédiaires (demi-produits) renchérissent artificiellement les coûts de fabrication, tandis que les incitations à l’export ne compensent pas la faible valorisation des produits locaux sur les marchés étrangers.
Troisièmement, les comportements de consommation révèlent des biais défavorables au «Made in Morocco». En effet, une préférence pour les biens importés (voitures, médicaments) alimentée par un effet de statut attribué aux marques étrangères, une méfiance culturelle envers la qualité locale, et un déficit d’information sur l’offre nationale sont pointés du doigt. Trois facteurs conjugués qui créent un cercle vicieux où la demande interne stimule les importations sans soutenir la base productive domestique.
Nécessité d’opérer des choix radicaux
L’aggravation continue du déficit commercial n’est pas une fatalité, mais le résultat de choix économiques inadaptés exigeant une correction urgente et sur plusieurs dimensions. Un pacte citoyen, pour lequel plaide avec force Anass El Ansari, de l’AMITH, devient impératif.
Comme il l’affirme, «chaque produit local acheté est un soutien direct à notre économie (…) et à ce stade, ce n’est plus un choix mais une obligation». Sans cette mobilisation, le Maroc s’expose à une crise de balance des paiements qui hypothéquerait sa stabilité macroéconomique. Le temps des diagnostics est révolu !
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO