Assurances : dix ans après, le Maroc s’arrime à Solvency II

Les bilans d’ouverture 2026 des entreprises d’assurances et de réassurance doivent être conformes aux nouvelles règles prudentielles du secteur, le dispositif de solvabilité basée sur les risques (Solvency II), effectif dès le 1er janvier prochain. Il s’agit d’un changement culturel profond qui touche la valorisation des fonds propres, l’évaluation des risques et la gouvernance des compagnies.
Ce sont les assureurs qui l’annoncent : les règles prudentielles d’évaluation de la solvabilité basée sur les risques (SBR) seront publiées d’ici la fin de l’année pour une application effective en 2026. La profession indique que la transposition de ces règles prudentielles «aligne notre industrie (ndlr : de l’assurance) sur les standards internationaux les plus exigeants, renforçant ainsi sa solidité financière».
La dernière étape à franchir est l’avis du Secrétariat général du gouvernement (SGG) sur la circulaire régissant cette réglementation. Il devrait intervenir rapidement, confie une source auprès de l’Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS). C’est donc un chantier fastidieux qui arrive à terme, non sans difficulté. Il a fallu rassurer les assureurs qui redoutaient une transposition «copier-coller» de la directive européenne, notamment sur les provisions techniques et les fonds propres, deux aspects sensibles.
Avec de la diplomatie et du dialogue – car il y avait aussi de la résistance dans le secteur -, l’autorité de régulation a «tropicalisé» certaines dispositions de Solvency II, mais sans céder sur la colonne vertébrale de ce référentiel. Elle a revu la Circulaire de 2019 et procédé à une étude d’impact approfondie ainsi qu’à des stress-tests afin de rassurer les opérateurs. Trois tests ont ainsi été menés sur le volet quantitatif.
Résultat, le ratio de solvabilité, actuellement fixé à 3,5, est redescendu à 2,25 selon le référentiel de solvabilité basée sur les risques. Les règles prudentielles de Solvency II, qui vont s’appliquer aux compagnies d’assurances et de réassurance à partir du 1er janvier 2026, (ce qui veut dire que les bilans de 2025 doivent être mis en conformité), se déclinent en trois piliers : le pilier I regroupe les exigences quantitatives, c’est-à-dire les règles de valorisation des actifs et des passifs, ainsi que les exigences de capital et leur mode de calcul.
Les exigences de capital minimum peuvent être calculées au moyen de la «formule Standard», ou d’un modèle développé en interne par la compagnie sous réserve de validation par l’Autorité de régulation. Ce pilier I définit les exigences de fonds propres pour faire face à différents types de risques : marché, investissement, opérationnels, etc.
Le rôle du conseil d’administration devient crucial
Le pilier II de ce dispositif prudentiel traite des exigences qualitatives, notamment les règles de gouvernance et de gestion des risques, ainsi que de l’évaluation propre des risques de la solvabilité. «Solvabilité II» impose aux compagnies la mise en place d’un système de gouvernance efficace dont le but est de garantir une gestion saine et prudente de l’activité.
La structure organisationnelle doit être transparente, avec une répartition claire et une séparation appropriée des responsabilités. Ce schéma de gouvernance repose également sur l’élaboration de politiques écrites, validées par le conseil d’administration ou le conseil de surveillance. Il doit être également proportionné à la nature et à la complexité de chaque entreprise d’assurance. Les exigences de gouvernance sont adaptables selon la complexité et la taille de la compagnie.
Dans les grandes structures, une attention particulière est accordée aux standards de marché les plus exigeants. Les conseils d’administration ou de surveillance conservent leur mission de définition des orientations stratégiques, mais ils se voient confier de nouvelles prérogatives en matière de gestion des risques.
Faut-il détacher la DG de la présidence ?
La question de la séparation des fonctions de direction constitue un point crucial pour améliorer l’efficacité de la gouvernance. Cette dissociation n’est pas obligatoire dans la circulaire du régulateur, même si elle figure dans la version originelle des règles de Bâle II appliquées au secteur bancaire en Europe. Au Maroc, il n’est pas prévu de principe de séparation généralisé.
Par ailleurs, la compétence et l’expérience des dirigeants, administrateurs et responsables de fonctions clés retiennent une attention soutenue. Le superviseur veille à ce que la nomination d’une personne dont les qualifications semblent insuffisantes puisse être refusée ou que ladite personne soit soumise à une formation complémentaire.
Toutefois, il ne fixe pas de normes rigides sur le degré de compétence collective de l’organe de surveillance : les organismes sont encouragés à définir leurs propres objectifs tout en organisant la sélection et la formation de leurs administrateurs de manière claire et transparente. L’important est de veiller à ce que le conseil d’administration ou de surveillance soit légitime et outillé pour analyser en profondeur les décisions stratégiques, valider les politiques de risques, approuver l’ORSA (Own risk and solvency assessment) ou encore examiner les rapports des responsables de fonctions clés.
Les nouvelles règles de gouvernance requièrent aussi que le respect des procédures ne soit pas perçu comme une formalité. Les décisions relatives à l’appétence aux risques, par exemple, doivent faire l’objet de débats approfondis au conseil d’administration. L’organe de surveillance doit être en mesure de confronter différents points de vue, de challenger les hypothèses et de trancher en tenant compte de l’intérêt global de la compagnie.
Ainsi, la gouvernance n’est pas seulement la mise en conformité avec des textes : elle constitue un réel dispositif de pilotage et de contrôle, qui doit servir les objectifs de stabilité et de croissance. Le pilier III enfin porte sur les exigences de transparence du secteur en encadrant la communication des entreprises d’assurances envers le public et l’Autorité de régulation.
Les informations devront être transmises à l’ACAPS dans des délais beaucoup plus courts qu’actuellement et, pour certaines, quasiment en temps réel. Qu’ils concernent la production, les engagements, l’allocation d’actifs, le régulateur doit recevoir tous ces éléments pratiquement au jour le jour. C’est donc une autre «petite» révolution culturelle qui va s’opérer dans le secteur.
Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO