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Ahmed Toumi : «Il faut que la Banque centrale soit plus pro-active»

Ahmed Toumi, membre du istiqlalien de l’unité et de l’égalitarisme au sein de la chambre des représentants.

Créée en 1958, Bank Al-Maghrib n’a connu depuis que deux grandes réformes de ses statuts. La première a été initiée en 2006, douze ans plus tard, une deuxième mouture sera bientôt présentée en plénière.Pour l’Istiqlal «la première mouture livrée par le gouvernement a été décevante  surtout vis-à-vis de la mission fondamentale de la Banque centrale mais aussi au niveau de la gouvernance, la transparence, la supervision du système financier.

Missions
«L’objectif principal de la banque centrale est de maintenir la stabilité des prix», stipule l’article 6 du projet de loi n°40-17. Contrairement à la réforme de 2006 où le ciblage de l’inflation faisait partie d’autres éléments pour assurer et définir la politique monétaire de la Banque centrale, la stabilité des prix devient ainsi la mission principale de la Banque centrale selon la mouture actuelle du projet de loi. Une définition à laquelle le groupe istiqlalien s’oppose puisque la stabilité des prix est une conséquence d’un marché régit par l’offre et la demande. «Ce qu’il faut, c’est non pas d’essayer de gérer les conséquences mais plutôt traiter le mal à la racine. Or, ce sont les niveaux de production et la consommation qui jouent sur la stabilité des prix», commente Ahmed Toumi membre de la Chambre des représentants, secrétaire de la Commission du développement économique et des finances. Pour lui, la politique monétaire de la banque centrale  doit être basée sur trois piliers : l’emploi, l’inflation et les taux d’intérêt à long terme pour agir sur les investissements. Plusieurs études et recherches vont dans ce sens. La courbe de Philips met d’ailleurs en évidence une relation inverse entre l’inflation et le taux de chômage. Aussi, baisser l’inflation a un coût et affecte plusieurs volets notamment les investissements, la production ou autres. Et selon les pays, 1 point d’inflation peut coûter jusqu’à 4 points de PIB. Au Maroc, malheureusement, faute de données, il existe peu ou pas d’études qui mesurent l’ampleur de cette corrélation. Pourtant, les premiers textes des années 60 régissant la Banque centrale semblaient être beaucoup plus clairvoyants et visionnaires. Ceux-ci intégraient déjà la notion de l’emploi qui n’apparaît plus dans le projet de loi actuel, tout comme la Réserve fédérale des États-Unis qui axe sa politique monétaire sur le plein emploi.

Gouvernance
Le projet de loi a pour objectif de renforcer la bonne gouvernance en définissant les critères de nomination du wali de Bank Al-Maghrib, d’élargir les attributions de son conseil notamment au niveau de la politique monétaire et celles du gouverneur de la Banque centrale, notamment en matière de détermination des conditions de délégation de la gestion des réserves de change. Le conseil est ainsi formé du wali, du DG, du directeur du Trésor ainsi que de 6 membres désignés par le chef du gouvernement dont 3 proposés par le wali. «Il est temps de revoir la gouvernance de Bank Al-Maghrib en temps que directoire», acclame Toumi en soulignant le caractère complexe des relations internationales dans le monde de la finance et qui requiert beaucoup plus d’attention et de réactivité de la part des membres du conseil de la Banque centrale. D’ailleurs la disposition de l’article 26 qui stipule que les 6 membres ne doivent avoir aucune responsabilité ni dans le secteur public ni dans le secteur privé arrive à point nommé. «Il faut que ces gens se concentrent sur leur missions», assène le parlementaire. De plus, le parti souhaite intégrer deux vice-gouverneurs dans l’organigramme de la Banque Centrale. Même si la réforme de 2006 (loi n°76-03) prévoyait déjà la mise en place d’une vice-gouvernance sauf que ce poste n’a jamais été pourvu. Par ailleurs, ces deux vice-gouverneurs, hormis le fait de remplacer le wali en cas d’absence, devraient être en charge de présider la commission monétaire ainsi que celle dédiée à la stabilité du marché financier. De plus, le parti exige que des réunions se tiennent tous les mois, sachant qu’actuellement le conseil ne se tient qu’une fois par trimestre. Le parlementaire s’inspire ainsi de la HACA (Haute autorité de la communication audiovisuelle) qui dispose d’un directoire et qui se réunit toutes les semaines, sachant qu’elle ne gère que quelques antennes privées alors que pour le cas de la BAM, chaque jour apporte son lot d’évènements surtout sur la scène internationale qu’il faut analyser.

Contrôle
Ce projet de loi prévoit en outre l’introduction du contrôle parlementaire en permettant l’audition du wali par les commissions chargées des finances. En plus de l’audition, la discussion avec les commissions financières est fortement recommandée. «C’est la première fois que cela se fait…Enfin, la loi de 2006 l’avait prévue, mais le conseil constitutionnel l’avait rejetée (article 58)… Je ne pense pas qu’elle sera rejetée une seconde fois. Si c’est le cas, ça sera vraiment problématique», estime Toumi.

Transparence
Ce nouveau projet vise également à assurer une plus grande transparence dans la relation de Bank Al-Maghrib avec le gouvernement, ce qui ne semble pas assez pour le parti istiqlalien. «Lorsqu’on donne de l’indépendance à une institution, on s’attend en contrepartie à plus de transparence», soumet Toumi. Avant d’ajouter, «il faut toujours rendre des comptes». Pour lui également, la rencontre avec la presse une fois par trimestre n’est pas suffisante. Aussi, rendre publics les PV des différentes réunions tenues avec Bank Al-Maghrib est souhaitable. «Il nous faut constituer des archives des différentes actions de la Banque centrale. Cela pourrait représenter un marqueur à l’avenir pour les futures décisions de Bank Al-Maghrib», estime Toumi.

Système de paiement
La monnaie électronique est aujourd’hui une réalité. Elle figure d’ailleurs dans la dernière loi 103-12 relative aux établissements de crédit et organismes assimilés. Aujourd’hui, les réflexions se portent sur la possibilité que Bank Al-Maghrib édite sa propre monnaie électronique et qu’elle soit une monnaie de référence. Une monnaie qui serait garantie par la Banque centrale avec un référencement local. Soit un dirham électronique qui facilitera les transactions et donnera un éclairage au marché surtout avec le contexte actuel où les banques lancent chacune d’elles des plateformes de paiement en ligne. «Dans ce chantier là, il faut y aller par étapes». Il faut avoir au préalable une monnaie maîtrisée avec suffisamment d’éléments et de serveurs pour gérer ce nouveau type de monnaies. Aujourd’hui, plusieurs pays éditent leurs propres monnaies électroniques. «Même les pays qui ont rejeté au départ les cryptomonnaies se préparent sérieusement à ce volet là, vu que la dématérialisation des échanges se fait de plus en plus», rappelle Toumi.

Inclusion financière
Au Maroc, le taux de bancarisation est entre 60 et 65%. En éliminant les comptes doubles, le taux se réduirait à 40% maximum. «Il y a un marché important et ceci sans parler de l’informel», estime Toumi. Sur ce volet, l’article 14 du projet de loi stipule que la Banque centrale contribue à la mise en place de la stratégie nationale de l’inclusion financière. «Or, c’est à elle de mettre en place cette stratégie». Pour ce faire, il faut au préalable définir ce qu’est l’inclusion financière sauf que de son côté le gouvernement dit qu’il risque de ne pas être exhaustif dans sa définition. Ainsi le parlementaire propose dans ce sens de retenir la définition de la Banque mondiale et la remettre dans le contexte marocain.


Ahmed Toumi, «Il faut prendre un peu plus de risques et augmenter la cadence» 

Les Inspiartions ÉCO : Deux réformes en 60 ans, pourquoi n’y a-t-il pas eu de grands changements depuis la création de Bank Al-Maghrib ?
Ahmed Toumi :  Le gouvernement a souvent des visions court-termistes avec des contraintes contextuelles qui font évoluer leur stratégie alors qu’une politique monétaire se base sur une vision sur le long terme pour donner plus de visibilité aux opérateurs économiques mais au final les banques centrales jouent toujours les rôles de pompiers. Pour preuve, lors de la crise des subprimes, les Banques centrales ont été très sollicitées pour sauver leurs systèmes financiers et ainsi l’économie de leur pays. Ensuite, il y a eu l’arrivée des normes de Bâle 3 pour résister aux crises qui peuvent subvenir. Donc tout cela a joué en faveur de cette initiative pour le changement de statut de Bank Al-Maghrib sans parler également de l’ambition du Maroc de mettre en place la réforme du régime de change.

Et même en initiant cette réforme, on dirait que cela piétine encore ?
En effet, le Conseil des ministres avait validé le projet de loi en juillet 2017. Arrivé au Parlement, les discussions ont démarré au mois de novembre puis il y a eu une multitude d’interruptions à cause de la loi de Finances. Le chemin a été très sinueux pour engager les discussions. Plusieurs événements se sont chevauchés, ce qui a ralenti les négociations. Dès la semaine prochaine, il devrait réintégrer le circuit…

Sur le plan de la gouvernance, vous souhaitez revoir le système des nominations, mais cela ne risque-t-il pas de créer une certaine dissension au sein des parties ?
Cela sera un exercice de démocratie où chacun devrait faire preuve de déférence. Mais nous sommes loin du cas de certains pays d’Europe où le gouverneur doit présenter son programme devant les différentes commissions du Parlement pour se faire valider via un vote. Nous, nous ne sommes pas encore à ce stade, mais il y a un détail auquel il faut faire attention. Si le wali propose les trois membres en plus du représentant de l’administration, il a forcément la majorité. Il y a là déjà un problème d’équilibre auquel il faudra remédier…

Vous souhaitez rendre public les PV des réunions de BAM, n’y aura-t-il pas de réticences à divulguer ce genre d’informations ?
Je doute que les sujets de discussion au sein de la Banque centrale visent la défense nationale ou la sécurité publique. Les réunions portent essentiellement sur l’économie et ne sont pas des données sensibles. À travers cet amendement, je me mets à la place d’un opérateur économique qui veut connaître les différentes opinions des membres du conseil. Peut-être que par la suite, une idée ou une recommandation peut être creusée plus qu’une autre. C’est cet échange qu’on veut promouvoir. À l’étranger, c’est une pratique qui est courante. La Grande-Bretagne, par exemple, continue de publier depuis 1600.

En quoi cela pourrait aider à mettre en place un nouveau modèle économique ?
Si on avait ce genre d’archives depuis 1958, on aurait pu retracer l’historique économique du Maroc, voir où est-ce qu’on a pu rater le coche et rectifier le tir. Parfois avec le programme d’ajustement structurel il y a des éclaircies mais nous n’en profitons pas. Par exemple, en 2008, les indicateurs étaient bons mais nous n’avons pas saisi cette occasion. Il fallait aussi tirer profit de la chute du prix du baril du pétrole à 12 dollars pour passer à la décompensation. Là aussi avec ce problème de boycott, on aimerait bien avoir l’avis des membres du conseil et leurs propositions pour sortir de cette crise.

La garantie de l’État au service de la maîtrise de la stabilité financière semble vous décevoir…
Oui, parce qu’en cas de difficulté d’une institution bancaire, la Banque centrale octroie des liquidités avec la garantie de l’État. Nous estimons qu’il faut puiser au préalable dans toutes les autres garanties. Il existe d’ailleurs le fonds de garantie entre les banques à 0,5%. Il faut également puiser dans les ressources des banques (actifs immobiliers…). La question qu’il faut se poser, c’est comment la banque est arrivée à cette situation avec tous les stress test et les normes de Bâle 3 et autres. Il faut réfléchir à d’autres mécanismes qui ont été utilisés sur la scène internationale après la crise de 2008 avant de réfléchir à la garantie de l’État.

Faut-il que la Banque centrale prenne des participations dans les banques en difficulté ?
Nous avons proposé cet amendement pour susciter un débat. Il n’y a pas de problème à sauver une banque lorsqu’elle a besoin d’un prêt. Mais si on va sauver une banque alors qu’il n’y a plus rien à sauver, c’est problématique. Il faut également impliquer les actionnaires pour qu’ils puisent dans leurs ressources pour sauver la banque.

Est-ce que le gouvernement ne veut pas définir l’inclusion financière parce qu’il n’a pas les moyens de mettre en place la stratégie ?
Il y a plusieurs chantiers de promotion de l’inclusion financière comme la microfinance. Les banques ont d’ailleurs racheté quelques sociétés dans ce sens. Certes, cela n’a pas eu l’effet escompté sauf avec les associations et coopératives, mais on peut toujours apprendre d’un échec pour avancer. Le paiement mobile est également un moyen d’inclusion.  



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