Agriculture : le potentiel inexploité des biostimulants

Face aux défis climatiques et à la pression croissante sur l’agriculture marocaine, les biostimulants émergent comme une solution prometteuse. Ces substances et micro-organismes naturels, encore sous-utilisés, pourraient révolutionner les pratiques agricoles. Grâce à un biotope riche et un savoir-faire scientifique en essor, le Maroc a l’opportunité de devenir un leader dans ce domaine innovant et durable.
Face aux multiples défis que rencontre l’agriculture marocaine (changement climatique, raréfaction des ressources hydriques, dégradation des sols et nécessité d’augmenter les rendements pour nourrir une population croissante), les solutions conventionnelles montrent de plus en plus leurs limites.
Dans ce contexte, une révolution silencieuse mais prometteuse prend forme, celle des biostimulants agricoles. Ces substances et micro-organismes naturels, encore méconnus de nombreux producteurs marocains, renferment une niche insoupçonnée d’opportunités tant agronomiques qu’économiques.
Fort de son engagement en faveur d’une agriculture plus durable, inscrit dans le Plan Maroc Vert et la stratégie Génération Green, le Royaume dispose d’un atout considérable, mais largement sous-exploité. Il s’agit d’un biotope riche et diversifié, véritable réservoir de souches microbiennes naturelles potentiellement bénéfiques pour l’agriculture.
Cette richesse biologique, combinée au savoir-faire scientifique qui se développe dans les universités et centres de recherche du pays, pourrait propulser le Royaume non seulement en tant qu’utilisateur, mais également comme producteur et exportateur de solutions innovantes en matière de biostimulants.
Alors que d’autres nations ont déjà largement intégré ces alliés naturels dans leurs systèmes de production agricole, le Maroc se trouve à la croisée des chemins. Doit-il continuer sur la voie de l’agriculture conventionnelle fortement dépendante des intrants chimiques ou embrasser le potentiel transformateur des biostimulants pour une agriculture plus productive, plus résiliente et plus respectueuse de l’environnement ?
Une efficacité démontrée sur différentes cultures
Comme le souligne Kamal Aberkani, expert en sciences de l’agriculture à la Faculté pluridisciplinaire de Nador, Université Mohammed 1er, les biostimulants représentent aujourd’hui une innovation majeure dans le domaine agricole.
Ces substances naturelles jouent un rôle fondamental dans l’amélioration des performances des cultures et la réduction de l’impact environnemental de l’agriculture. Selon de nombreuses recherches scientifiques, leur efficacité a été démontrée sur différentes cultures, particulièrement en production végétale.
Les biostimulants se divisent en deux catégories principales, ceux d’origine microbienne et ceux d’origine non microbienne. Les premiers proviennent de bactéries naturelles ou de champignons bénéfiques qui entretiennent des relations symbiotiques avec les plantes. Ces micro-organismes, naturellement présents dans le sol, mais en quantités limitées, ont été isolés, purifiés et multipliés grâce aux procédés biotechnologiques modernes.
Leur action peut être directe, en s’associant au système racinaire des plantes, ou indirecte, en sécrétant des molécules d’intérêt qui renforcent les mécanismes de défense des végétaux face aux stress biotiques (insectes ravageurs, maladies) et abiotiques (sécheresse, salinité, chaleur excessive). Quant aux biostimulants d’origine non microbienne, Aberkani explique qu’ils sont principalement extraits de substances naturelles comme les algues marines, riches en acides aminés.
«Ces extraits contiennent également des acides fulviques et humiques qui contribuent significativement à améliorer la résistance des plantes», précise-t-il.
Il souligne par ailleurs que les 22 acides aminés présents dans ces formulations jouent un rôle de premier plan dans le renforcement des mécanismes de défense des végétaux.
Des micro-usines naturelles au service de l’agriculture
L’un des aspects les plus remarquables des biostimulants microbiens réside dans leur capacité à solubiliser le phosphore présent dans le sol. Kamal Aberkani explique que malgré l’apport d’engrais chimiques par les agriculteurs, une grande partie des éléments nutritifs reste immobilisée dans le sol, inaccessible aux plantes. Les biostimulants agissent comme de véritables «micro-usines» qui travaillent le sol au bénéfice des cultures en libérant ces macros et microéléments.
Cette action permet non seulement d’optimiser l’utilisation des nutriments déjà présents dans le sol, mais aussi de réduire significativement les quantités d’engrais appliquées. Les avantages sont donc multiples : économies pour le producteur, diminution du lessivage des éléments nutritifs vers les nappes phréatiques et réduction de la pollution environnementale.
Certaines souches microbiennes naturelles sélectionnées contribuent également à l’augmentation de la matière organique dans le sol. En dégradant la litière et les résidus végétaux, ces microorganismes favorisent l’humification du sol, améliorant ainsi sa structure et augmentant sa capacité de rétention en eau.
Ce processus est particulièrement important dans un contexte de raréfaction des ressources hydriques, car il permet aux sols de mieux capter et conserver l’eau d’irrigation ou des précipitations.
Renforcement du système immunitaire des plantes
Les biostimulants, qu’ils soient d’origine microbienne ou non, activent les mécanismes de défense naturels des plantes. À l’instar des humains, les végétaux possèdent un système immunitaire qui leur permet de réagir aux agressions externes.
« Lorsqu’un ravageur ou un agent pathogène s’approche, les plantes peuvent produire des composés volatils qui agissent comme signal d’alerte et déclenchent des réactions de défense », précise l’expert.
Les recherches scientifiques ont démontré que l’utilisation de biostimulants permet d’activer ces mécanismes de défense de manière préventive, renforçant ainsi la résistance des cultures face aux stress biotiques et abiotiques. Cette approche préventive s’avère particulièrement pertinente dans une perspective de réduction de l’usage des pesticides chimiques.
Par ailleurs, comme l’explique Aberkani, les études menées sur les plantes médicinales et autres espèces à haute valeur ajoutée ont révélé que l’application de biostimulants augmente significativement la qualité des extraits et des molécules d’intérêt. Cette propriété ouvre des perspectives intéressantes pour les filières de production de plantes aromatiques et médicinales, secteur en plein essor au Maroc.
L’utilisation des biostimulants : perspectives mondiales
À l’échelle internationale, l’utilisation des biostimulants connaît un développement considérable, particulièrement dans les pays où les normes environnementales sont strictes et exigent une réduction drastique des intrants chimiques.
Le Canada, les États-Unis et l’Europe sont à l’avant-garde de cette industrie, développant et commercialisant des solutions durables issues de la nature, sans perturber la biodiversité ni les écosystèmes.
Au Maroc, bien que l’utilisation des biostimulants progresse, elle reste encore limitée comparativement aux pays susmentionnés.
Selon Kamal Aberkani, les agriculteurs marocains continuent majoritairement à privilégier les méthodes conventionnelles basées sur l’apport d’engrais NPK et d’autres produits chimiques. L’adoption croissante des biostimulants est principalement motivée par la recherche d’une augmentation des rendements et d’une réduction des coûts de production, plutôt que par des considérations environnementales.
Le spécialiste souligne qu’une sensibilisation accrue des agriculteurs aux bénéfices environnementaux des biostimulants serait nécessaire pour encourager leur adoption à plus grande échelle.
De plus, des mesures incitatives comme des subventions étatiques pourraient accélérer la transition vers une agriculture de conservation utilisant moins de produits chimiques.
Potentiel économique et perspectives d’avenir
L’industrie des bioprocédés et des biostimulants représente une opportunité économique majeure pour le Maroc. Le développement de ce secteur pourrait favoriser l’émergence de nombreuses startups et entreprises spécialisées, créant ainsi des emplois et contribuant à l’augmentation du PIB national. Un atout considérable réside dans la richesse du biotope marocain, qui abrite une diversité importante de micro-organismes encore insuffisamment exploités.
La recherche scientifique appliquée visant à séquencer et identifier des souches microbiennes naturelles autochtones pourrait conduire à des innovations brevetables et commercialisables. Ces souches, spécifiquement adaptées aux conditions pédoclimatiques locales, seraient particulièrement efficaces pour l’agriculture marocaine.
Dans les 10 à 15 prochaines années, alors que le Maroc fait face à des défis majeurs liés à la sécheresse et aux changements climatiques, l’industrie des biostimulants pourrait jouer un rôle crucial. Non seulement elle offrirait des solutions pour améliorer la résilience des cultures face au stress hydrique, mais elle contribuerait également aux engagements du Royaume en matière de lutte contre le changement climatique, notamment par la séquestration du carbone, la fixation de l’azote et la réduction des émissions de CO2.
Une coopération internationale prometteuse
Un exemple concret de l’intérêt croissant pour les biostimulants est illustré par le projet de recherche mené dans le cadre du programme de coopération Québec-Maroc. Ce projet, dirigé par le professeur Aberkani de la Faculté pluridisciplinaire de Nador, implique l’Université du Québec à Trois-Rivières et la compagnie canadienne Ulysse Biotech, spécialisée dans le développement de souches bactériennes naturelles.
Les tests préliminaires réalisés sur des cultures de laitue et de betterave à sucre au Maroc, avec la participation d’étudiants en master de biologie et biotechnologie végétale, ont montré des effets positifs sur la croissance et le rendement. Bien que ces résultats varient en fonction de nombreux facteurs (nature du sol, variété cultivée, conditions climatiques), ils démontrent le potentiel des biostimulants dans le contexte agricole marocain.
Ce type de collaboration internationale offre l’opportunité de bénéficier de l’expertise étrangère tout en développant des compétences locales. À terme, des partenariats similaires pourraient conduire à la création d’entreprises mixtes et favoriser le transfert de technologies, permettant au Maroc de valoriser son patrimoine microbiologique.
Vers un leadership marocain dans l’industrie des biostimulants ?
La vision à long terme exposée par Kamal Aberkani est ambitieuse mais réaliste. Il s’agir de faire du Maroc non seulement un utilisateur, mais aussi un producteur et exportateur de biostimulants.
En s’appuyant sur la richesse de son biotope et en investissant dans la recherche scientifique, le Royaume pourrait développer des souches microbiennes naturelles brevetées ayant un impact significatif sur la fertilisation, l’irrigation et la protection des plantes.
Le Maroc pourrait devenir un acteur incontournable dans le domaine des biostimulants. Cette évolution nécessiterait un engagement soutenu en faveur de la recherche et développement, ainsi qu’une politique volontariste de valorisation des découvertes scientifiques.
Mehdi Idrissi / Les Inspirations ÉCO