Adil Bennani, Pdt de l’AIVAM : “Il faut des mesures qui permettent de relancer la demande”
À quel niveau estimez-vous les pertes cumulées par les distributeurs automobiles depuis le début du confinement ?
Même si le confinement n’a démarré que le 20 mars, nous avons commencé à ressentir les effets de la pandémie dès la mi-mars, ce qui a affecté la consommation. Du coup, mars s’est soldé par une baisse de 61% des ventes de véhicules neufs, baisse qui s’est ensuite prolongée et accentuée durant le mois d’avril à environ -86%, entraînant un quadrimestre en recul de 36%. Mai sera probablement un mois d’avril bis, et il reste à espérer que le post-confinement sera porteur d’une meilleure conjoncture. S’agissant du deuxième volet de la question, nous estimons que le marché du neuf enregistrera cette année une baisse de 45 à 50%, ce qui correspondra à un volume allant de 90.000 à 100.000 véhicules dans le meilleur des cas. Notre secteur générant près de 33 MMDH de chiffre d’affaires par an, le calcul est donc vite fait en supprimant la moitié. Si l’on raisonne à hauteur de 5% du résultat net sur un CAde 15 MMDH, ce sont environ 750 MDH de bénéfices qui vont disparaître, dont plus de 330 MDH d’impôts qui sautent. Donc, pour les distributeurs comme pour l’État, le manque à gagner direct est considérable et ne sera pas probablement pas récupéré.
Comment voyez-vous la reprise après le confinement ?
Nous ne nous faisons pas d’illusion: après le confinement, la consommation reprendra de façon progressive. Je ne pense pas que le marché du neuf retrouvera son niveau pré-confinement avant l’année prochaine. Comme tous les Marocains, les clients sont dans l’expectative, ils vont attendre et bien étudier leur achat avant de passer à l’acte. D’où l’importance d’avoir un climat de confiance dans le marché. Or, cette confiance des ménages ne sera là que si l’économie reprend des couleurs. C’est pour cela que tout ce qu’est en train de faire le gouvernement à travers le CVE en matière de soutien à l’économie est capital afin de ne pas tomber dans une récession qui pourrait durer. Nous sommes dans une situation sans précédent, mais j’ai la conviction qu’on la dépassera.
Au vu des stocks constitués pour le salon -qui a été annulé- les clients peuvent-ils s’attendre à de grandes braderies cet été?
La plupart des importateurs automobiles ont pris leurs dispositions depuis l’annonce du confinement pour revoir leurs plans de commandes et ajuster leurs arrivages en fonction du nouveau contexte. Je ne pense pas que nous irons dans une braderie qui n’a pas de sens. Ceci dit, il y aura bien des promotions, comme il y en aurait eu pendant la période estivale ou celle de l’Auto Expo et compte tenu de la conjoncture actuelle. Je pense que ces promos prendront peut-être une forme différente dans le sens où on verra probablement davantage de formules de crédit, de différé de paiement et autres solutions de financement, mais tout cela en restant dans des proportions raisonnables.
Quelles mesures de soutien allez-vous proposer aux pouvoirs publics pour sortir de cette crise et relancer le marché ?
Au-delà de son CA, le secteur de la distribution automobile est important dans la mesure où il compte plus de 500 concessionnaires à travers le royaume et plus de 15.000 collaborateurs directs. Or, ce secteur tient essentiellement par les revenus générés par la vente qui, s’ils baissent sous un certain seuil, ce qui est le cas aujourd’hui, mettent en péril la rentabilité et la viabilité économique de ces structures, ce qui pourrait générer des pertes d’emplois et des faillites. D’où l’importance pour nous de bénéficier de mesures de soutien afin de préserver ces emplois. Les mesures que nous proposons ne diffèrent pas de ce qui se fait pour les entreprises normales et qui ont trait notamment au rééchelonnement d’échéances bancaires et au soutien au besoin en fonds de roulement pour éviter tout défaut de paiement, ce qui pourrait impliquer toute une chaîne allant de l’importateur aux employés du concessionnaire en passant par les fournisseurs. À côté de cela, il faut aussi des mesures qui permettent de relancer le marché et faire que les consommateurs reviennent pour se rapprocher du rythme normal de la demande. En la matière, nous proposerons trois mesures. D’abord, une prime à la casse pour les véhicules de plus 30 ans, qui représentent un gisement de plus de 500.000 véhicules. Cela permettrait d’ôter du parc des voitures à la fois très polluants, plus énergivores et présentant un risque d’accidentologie pour les remplacer par des véhicules neufs. Dans ce schéma, l’État trouvera bien son compte car, d’un côté, il accorde une prime pour la vente du neuf, puis de l’autre, il récupère des taxes dessus, tout en préservant l’emploi et en constatant une baisse de la facture énergétique et de la pollution. On pourrait aussi y adjoindre une prime complémentaire écologique pour les modèles hybrides et électriques. La 2ème mesure que nous souhaitons proposer concerne la limitation des importations de véhicules d’occasion. Après le coronavirus, il va y avoir un déstockage massif au niveau européen de la part des constructeurs comme des loueurs afin de générer du cash. Du coup, ces VO risquent de se retrouver chez nous à des prix très bas, ce qui pourrait déstructurer les équilibres de l’offre et mettre en péril les distributeurs et leurs concessionnaires. En même temps, on devrait faciliter les transactions des VO (NDLR: locaux), car cela permettrait aux concessionnaires d’adjoindre cette activité qui, aujourd’hui, est laissée au secteur informel et de profiter de revenus complémentaires fort appréciés en cette période difficile. Cela passe par une simplification du processus en évitant notamment la double mutation, le double contrôle technique et autres démarches qui compliquent ce business pour les importateurs. Toutes ces mesures ont été étudiées au sein de l’AIVAM et seront consolidées au niveau de la Fédération de l’automobile qui les portera au CVE.