5G : le saut technologique à deux vitesses

Porté par des investissements massifs dans le très haut débit mobile, le secteur des télécoms peine à combler une fracture numérique toujours de mise. La transition vers la 5G reste freinée par le renouvellement lent des terminaux et de fortes disparités territoriales.
Depuis l’introduction de la 4G il y a une décennie, l’accès à Internet mobile à haut débit s’est largement démocratisé. Au-delà du saut technologique, cette évolution a permis à une large frange de la population de se connecter rapidement, notamment grâce aux recharges prépayées, adaptées à une clientèle guidée par une logique d’arbitrage entre prix et volume.
En atteste l’attrait pour des formats de recharge prépayées, notamment le «*6», qui, selon l’ANRT, s’est imposé comme la formule la plus répandue, qui draine un volume d’affaires considérable pour les opérateurs. En favorisant l’accès à la data, l’essor du haut débit a contribué à une évolution sensible des usages.
D’après les derniers chiffres de l’ANRT, l’utilisateur marocain consomme désormais en moyenne 13 gigaoctets de données par jour, contre 227 Mo en 2020 – selon l’Union internationale des télécommunications (UIT).
Fracture numérique
Si la rentabilité unitaire du gigaoctet tend à s’éroder, l’accès au réseau reste inégalement réparti sur l’ensemble du territoire national. Officiellement, la couverture 4G dépasse 95% de la population, portée par les trois principaux opérateurs. Mais derrière ce taux flatteur se cache une réalité plus contrastée .
En effet, à en croire les données communiquées par le régulateur, près de «20 % de la population demeurent encore privés de la 4G» et se contentent du coup d’une couverture 3G. Une fracture numérique qui touche principalement les zones rurales enclavées. En parallèle, le cycle de renouvellement des terminaux mobiles reste particulièrement lent. D’après le régulateur, un utilisateur marocain renouvelle son téléphone en moyenne tous les quatre ans, contre 16 mois en Europe et 13 mois aux États-Unis.
«Un rythme qui tranche nettement avec les pays où la rotation des téléphones est plus soutenue, qui alimente, in fine, la diffusion rapide des nouvelles normes technologiques», commente un technicien spécialisé.
En effet, la faible rotation freine mécaniquement l’adoption des standards les plus récents, notamment ceux compatibles avec la 5G. C’est dans ce contexte que vient se greffer la prochaine génération. Pour les opérateurs, la 5G s’annonce moins comme une avancée purement technologique qu’une rupture de modèle économique.
Dans le sillage de la mise en place du cadre de déploiement, les trois opérateurs historiques – Maroc Telecom, Orange et Wana – se sont vu attribuer chacun une licence nationale pour une durée de vingt ans, renouvelable.
Le montant global des investissements attendus s’élève à 80 milliards de dirhams à l’horizon 2035. Maroc Telecom a déboursé 900 millions de dirhams pour 120 MHz de spectre, tandis qu’Orange et Wana Corporate ont obtenu chacun 70 MHz pour 600 millions. Le calendrier prévoit une couverture initiale de huit grandes villes d’ici fin 2025, étendue à 70% de la population d’ici 2030. Le réseau démarrera en mode non autonome (NSA), avant un basculement progressif vers la 5G.
Disparité territoriale
Le déploiement du réseau 5G révèle toutefois une dichotomie persistante dans l’architecture des réseaux. En effet, les opérateurs ont massivement investi dans la densification urbaine, répondant à une demande soutenue en data et à une pression concurrentielle accrue. Mais certaines zones à faible densité peinent à attirer les investissements nécessaires, en raison d’un retour sur capital jugé incertain.
C’est d’ailleurs tout l’enjeu du Fonds du service universel des télécommunications (FSUT), mécanisme public – financé à hauteur de 2% du chiffre d’affaires hors taxes des opérateurs – destiné à garantir un accès équitable aux populations des zones enclavées, de facto peu rentables pour les opérateurs, afin qu’elles puissent bénéficier d’une qualité de service similaire à un coût abordable.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO