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Mohamed Boussaïd : «L’économie nationale se porte bien, hormis quelques difficultés»

Invité de l’émission Fi’Samim, le ministre de l’Économie et des finances, Mohamed Boussaïd, s’est exprimé sur plusieurs sujets d’actualité, dont la conjoncture économique marquée par un semestre de blocage et le basculement du Maroc vers un régime de change flexible très redouté. Tout en reconnaissant les difficultés, le responsable gouvernemental se veut rassurant quant à la situation économique actuelle et les perspectives d’avenir.

Les Inspirations ÉCO : Après six mois de blocage dans la formation du gouvernement et le mouvement social en cours au Rif, quel regard portez-vous sur la situation économique du pays ?
Mohamed Boussaïd : L’évaluation de la situation économique devra se faire à travers les indicateurs financiers et économiques ainsi que les évaluations des institutions internationales financières dont les agences de notation. C’est la loi de Finances, rappelons-le, qui cadre l’année financière et économique. Ce texte devait être adopté en décembre 2016. L’ancien gouvernement avait préparé ce projet et l’avait déposé au Parlement, conformément à la Constitution. Un débat devra être engagé sur le temps électoral en relation avec le temps économique et financier. Après les élections, la formation du gouvernement a pris du temps. Mais au lendemain de la formation du gouvernement et du vote de confiance, j’ai présenté le projet de loi de finances qui a été adopté dans un délai très court : 1 mois et 10 jours. Je salue, d’ailleurs, tous les parlementaires pour leur mobilisation et leur enrichissement de ce texte. Pendant les six mois de ce que l’on appelle le blocage, il n’y avait aucun vide. La loi organique de la loi de finances et la Constitution ont prévu la gestion de ce cas. Depuis le 1er janvier, deux décrets ont permis l’ouverture des crédits pour la gestion des services publics et la perception de certaines recettes. Grâce à ces deux décrets, aucun impact ne s’est fait sentir par les citoyens et les entreprises sur la gestion budgétaire au cours de ces six mois. Certes, l’attentisme des opérateurs économiques a marqué cette période. Mais après la publication de la loi de Finances, la vision est devenue claire pour tous les acteurs.

L’attentisme a impacté particulièrement l’investissement privé. Il est normal qu’un investisseur privé attende les mesures du gouvernement et ses orientations dans le cadre de la loi de Finances avant de lancer son projet. Comment évaluez-vous la situation actuelle de l’économie nationale ?
Hormis quelques difficultés, l’économie nationale se porte bien au vu des différents indicateurs notamment ceux des secteurs productifs. L’année agricole est excellente. Ce qui est de bon augure, car l’agriculture a un rôle important dans la dynamisation du cycle économique. La valeur agricole sera de plus de 13%. Les indicateurs sont aussi bons pour la pêche maritime (+18,7% pour la valeur des débarquements), l’exportation de l’agroalimentaire (+1,6%), l’aéronautique (+9%), l’électronique (+ 4,9%). Une évolution importante est enregistrée pour les exportations des phosphates et dérivés. Tous les secteurs exportateurs sont en évolution depuis le début de l’année. Les exportations ont, en effet, évolué de 5,3%. En parallèle, les importations ont augmenté de 8,9%. Et c’est l’une des problématiques qui se posent encore.

Justement, comment peut-on créer l’équilibre ?
Pour exporter, il est indispensable d’importer. Il faut, en effet, veiller à l’équilibre de la balance commerciale. C’est la facture énergétique en hausse qui a compliqué cet équilibre à cause de l’augmentation des prix du pétrole. Depuis le début de l’année, une baisse est constatée en la matière. Pour améliorer la balance commerciale, il faut renforcer nos capacités en exportation.

Bien que les indicateurs soient au vert, les entreprises privées ont souffert de la quasi-paralysie des marchés publics et du retard des paiements. Ne pensez-vous pas qu’il faille reconnaître l’impact négatif du blocage sur l’économie ?
Les chiffres et les indicateurs sont clairs et ne peuvent pas avoir d’autres interprétations. Certes, l’attentisme et la diminution des investissements privés ont marqué cette période. Mais, les problématiques que connaissant les entreprises ne sont pas liées à cette période. Cela fait des années que les difficultés des PME sont soulevées dont leur financement par les banques, leur trésorerie et le délai des paiements.

Ce sont des problématiques structurelles, quid de celles ayant trait à la conjoncture ?
Sur le plan budgétaire, depuis le début de l’année, le budget a été ouvert comme si la loi de Finances était adoptée. Plus de 34% du budget d’investissement ont été déboursés. Le problème de l’entreprise a trait à certaines problématiques structurelles ainsi qu’à la conjoncture nationale et internationale. Nous allons réaliser cette année un taux de croissance de plus de 4,5%. Ce sera l’une des meilleures années. Nous allons poursuivre la maîtrise du déficit budgétaire dans la limite de 3% ainsi que de l’inflation (-1%) et l’appui de l’entreprise à travers des mesures incitatives contenues dans la loi de Finances. Des réponses structurelles doivent être apportées aux problématiques structurelles de l’investissement privé. Globalement, cette année est marquée par une hausse de la croissance et la poursuite des efforts pour la maîtrise des indicateurs macroéconomiques en vue de bâtir une économie forte et durable. Le gouvernement a la forte volonté d’encourager les investissements privés ainsi que les secteurs sociaux notamment la santé et l’enseignement. Il faut éviter d’accorder du crédit aux rumeurs et à tout ce qui s’écrit sur Facebook. L’économie est basée non seulement sur les règles fondamentales et les bonnes orientations, mais aussi la confiance et la volonté. Il faut s’intéresser au comportement de certains investisseurs étrangers qui nous regardent autrement. Depuis le début de l’année, les investissements étrangers ont augmenté de 24%. Je ne nie pas l’existence de problématiques au niveau de l’administration, du financement… Mais, il faut de la volonté pour régler toutes les problématiques. À ce titre, le gouvernement est déterminé à faciliter les initiatives privées.

Comment peut-on transformer le modèle économique marocain pour limiter la place de l’agriculture et augmenter celle de l’industrie ?
Nous sommes en train de nous pencher sur cette question depuis des années. Notre pays a des points forts. Le Maroc se caractérise par sa stabilité politique et économique et une situation géographique importante en Afrique et à côté du grand marché européen. Notre pays a pu réaliser une grande avancée grâce aux bonnes orientations. Certes, le Maroc est un pays agricole. Mais, aujourd’hui grâce au Plan Maroc Vert, l’agriculture devra être modernisée et sa valeur ajoutée renforcée. Il existe actuellement une volonté pour encourager la valorisation et l’agrobusiness ainsi que l’agriculture solidaire. La pluie reste un élément fondamental en raison de la place des céréales qui constituent 20% de la part globale de l’agriculture dans le PIB national qui est de 15%. Quand l’année est bonne, l’impact se fait sentir en milieu rural au niveau de la consommation. Nous œuvrons à limiter l’impact des changements climatiques à travers le développement d’une politique agricole intégrée moins impactée par les pluies. En parallèle, il faut développer la valeur ajoutée des secteurs non-agricoles. Le PIB non-agricole est en hausse constante : 2,2% en 2015, 2,6% en 2016 et 3,2% en 2017 selon les prévisions. Le secteur non-agricole est composé de l’industrie et des services. L’industrie accapare notre attention. L’objectif est d’augmenter sa part dans le PIB de 14% à 21% en 2021. C’est l’industrie qui crée la valeur ajoutée et contribue à la promotion de la croissance et de l’emploi. Quelque 500.000 postes emplois seront créés grâce à la stratégie mise en place et la diversification des partenariats. Beaucoup d’opportunités sont à saisir par le secteur privé national et international. En somme, le modèle économique repose sur la diversification économique qui permet une résilience face aux chocs externes. Notre économie est résiliente car elle est diversifiée.

Le Maroc tend à devenir une économie émergente. Que comptez-vous faire pour atteindre cet objectif ambitieux qui est tributaire de l’augmentation du taux de croissance pendant au moins cinq ans ?
Le potentiel existe pour réaliser un taux de croissance entre 5,5% et 6,5%. Il serait difficile de réaliser un taux qui dépasse cette fourchette, mais ce n’est pas impossible à condition de mettre en place des mesures d’accompagnement. Si on arrive à réaliser un taux de 5,5% à 6,5% dans une conjoncture marquée par la stabilité, cela va permettre de baisser le taux du chômage et de promouvoir le revenu individuel. Depuis 2000, le PIB national a doublé atteignant plus de 1.000 MMDH. Il faut veiller à non seulement l’augmentation du taux de la croissance, mais aussi sa stabilisation. C’est possible, car la conjoncture internationale commence à s’améliorer. À cela s’ajoutent les stratégies sectorielles qui commencent à donner leurs fruits ainsi que les opportunités créées grâce aux relations diversifiées que le Maroc noue avec plusieurs pays. Il est possible d’augmenter le taux de croissance d’un point si on arrive à régler certaines problématiques relatives à la corruption, la formation des ressources humaines, l’amélioration du rendement de l’administration…

Il est possible de dépasser un taux de croissance de 6% grâce à la lutte contre l’évasion fiscale, la corruption et le secteur informel. Que compte faire le gouvernement dans le domaine de la moralisation pour gagner des points de croissance ?
L’intérêt accordé à la lutte contre la corruption ne doit pas se limiter aux discours. Des tentatives ont été déjà faites. Mais, la corruption n’est pas liée uniquement à l’administration, mais à la société de manière générale. La corruption n’est pas une fatalité. On peut la combattre. L’administration fiscale est parmi les administrations ayant créé une révolution en matière de modernisation, d’amélioration des services et de la transparence grâce à la digitalisation. L’administration électronique permet de promouvoir l’efficacité et de diminuer la corruption. C’est ce genre de pratiques qu’il faut généraliser autant que possible. Si on arrive à réaliser des performances au niveau de la lutte contre la corruption et dans la formation des ressources humaines et l’encouragement des investissements, le taux de croissance va augmenter. Mieux encore, il s’avère indispensable d’investir davantage dans l’innovation, l’économie de savoir et la recherche scientifique. Il faut créer le lien entre la recherche scientifique et l’économie. On ne peut pas atteindre un taux élevé sans des centres de recherche. Un fonds «Innov-Invest» sera dédié aux jeunes pour la création des startups.

En ce qui concerne le flottement du dirham, comment pourriez-vous rassurer les citoyens qui redoutent le scénario égyptien ?
Bientôt, une conférence de presse sera organisée avec le gouverneur de Bank Al Maghrib sur cette réforme nécessaire et compliquée. Je veux rassurer les citoyens. Le gouvernement ne va pas prendre une décision qui va toucher le pouvoir d’achat et la cohésion de notre pays. Si on ne prend pas cette mesure actuellement, le Maroc subira le sort de certains pays comme l’Égypte que vous citez. Il ne s’agit pas de flottement. L’idée est de passer d’un régime de change fixe à un autre flexible. Actuellement, le dirham est lié à deux monnaies : le dollar (40%) et l’Euro (60%). Quand ces deux monnaies augmentent, le change connaît un changement. En tout cas, Bank Al Maghrib fournit au marché tout ce dont il a besoin en devises dans le cadre du régime de change fixe. La loi de change de notre pays est prudentielle. La libéralisation concerne uniquement le compte capital pour les investisseurs étrangers non-résidant et les opérations commerciales (importation et exportation). Si cette situation est maintenue, nous serons théoriquement dans une impasse. En effet, il n’est pas possible d’opter, en même temps, pour une économie ouverte, une politique monétaire indépendante et un régime de change fixe. Il faut agir sur ce triangle infernal. Vu que le Maroc ne peut pas avoir une économie fermée et mettre fin à sa politique monétaire indépendante, la révision du régime de change s’impose. On va passer à la flexibilité. Le prix de change référentiel est lié au dollar et à l’euro. Il contient une marge qu’on va un peu élargir. Il ne s’agit pas de dévaluation. Quand on augmente la marge, le prix de change référentiel fluctue selon l’offre et la demande. C’est le système de change flexible progressif. Après la première étape, on peut passer à une autre. Toutes les études montrent que notre dirham n’est pas désaligné. Si on ne prend pas cette mesure actuellement, elle sera imposée. Depuis 2010, on est en train de préparer cette mesure. Pour réussir cette transition, il faut des pré-requis : un cadre macro-économique équilibré, un bon stock en devise ainsi que des outils pour cibler l’inflation et un système bancaire fort et capable de gérer cette période. Tout cela a été fait. Toutes les précautions ont été prises. Il n’y aura aucun grand impact négatif sur le citoyen et l’entreprise. On va voir comment éviter à la petite entreprise d’être impactée par ce nouveau régime. Aucune nouvelle étape ne sera franchie sans évaluation de la première. Nous allons prendre le temps nécessaire pour la mise en œuvre. Certaines analyses seraient justes dans d’autres scénarios, comme la libération totale et immédiate alors que nous optons pour la progressivité.

Pourquoi certaines institutions financières ont-elles fait des spéculations ayant suscité la colère du gouverneur de Bank Al-Maghrib ?
Je partage entièrement le point de vue du gouverneur de Bank Al-Maghrib.

Que pensez-vous du classement du Maroc au 123e rang au niveau de l’indice de développement humain des Nations Unies ?
Le développement humain est basé sur trois indicateurs : la longévité, le revenu individuel et l’enseignement. C’est le secteur de l’enseignement qui constitue un grand point de faiblesse. La moyenne de scolarité au Maroc est de 5 à 6 ans uniquement alors qu’elle devra être d’au moins 12 ans.

Quel regard portez-vous sur le classement du Maroc à la 90e place au niveau de la perception de la corruption ?
Je me demande comment on peut mesurer la corruption qui se déroule dans l’obscurité. L’indicateur est basé sur la perception des citoyens. Cet indice donne une idée, mais il n’est pas précis. La lutte contre la corruption passe une justice sévère, équitable et transparente. Il faut l’esprit de citoyenneté et la mise en place l’administration électronique.

Que diriez-vous sur l’endettement quiatteint 80% du PIB ?
C’est le taux de la dette publique qui comprend notamment ceux du trésor et des établissements publics. Je tiens à préciser que l’endettement n’a pas atteint un degré dangereux. Certes, l’endettement du trésor de 64,7% du PIB a augmenté considérablement au cours des cinq dernières années pour financer le déficit budgétaire. Mais, l’effort déployé depuis trois ans pour rétablir les équilibres macro-économiques a permis la stabilisation de l’endettement du trésor en 2016. En 2017, la volonté est de diminuer le taux d’endettement. L’objectif étant d’arriver à moins de 60% du PIB comme engagement dans le cadre de la déclaration gouvernementale. L’endettement est destiné à l’investissement. Il est cadré par la loi organique de la loi de Finances. Si on baisse l’endettement, on sera contraint de baisser l’investissement productif.

L’AFD vient d’octroyer au Maroc un prêt de 80 millions d’euros pour appuyer la réforme de l’enseignement. N’est-il pas temps d’éviter que des milliards de dirhams soient mobilisés pour ce secteur sans résultats ?
Un budget de 45 milliards de DH par an est consacré au secteur de l’enseignement. Le financement n’est plus un problème pour les projets d’enseignement. L’effort de la généralisation a été réussi. Il faut passer à la gouvernance et la qualité au sein du secteur. Selon le ministre de l’Éducation nationale, tout le monde est mobilisé pour réussir ce chantier. Les parents d’élèves doivent aussi être mobilisés.


62.500 emplois créés dans le public en 2017

L’année 2017 sera marquée par un chiffre record en matière d’emploi dans le secteur public. On s’attend à la création de quelque 62.500 emplois dont 24.000 prévus par la loi de Finances de 2017. C’est un exploit, selon le ministre de l’Économie et des finances. Le secteur de l’enseignement s’accapare la part du lion grâce au nouveau système des contrats. Après les 11.000 contractuels des académies régionales de l’éducation et de la formation, quelque 24.000 enseignants sont en cours de recrutement par le département de Hassad pour la prochaine rentrée. À cela s’ajoute 3.500 postes budgétaires pour les établissements publics.


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