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Karim Tazi, membre du PSU : «J’ai été très déçu par Abdelilah Benkirane»

Homme d’affaires, acteur associatif et désormais membre du Parti socialiste unifié, Karim Tazi s’est toujours distingué par ses positions «décalées». Depuis son soutien au Mouvement du 20 février, son vote pour le PJD en 2011 et le regard critique qu’il porte aujourd’hui sur l’expérience gouvernementale et les négociations marathoniennes pour la constitution du gouvernement, il explique le fond de sa pensée. Sans langue de bois, Karim Tazi dépeint ici un contexte politique en déclin qui ne prête plus attention aux vibrations de la rue. Facteur de déception pour lui, Benkirane s’accroche à une majorité gouvernementale qui lui sera imposée. L’usure du pouvoir aura donc fait son effet, et c’est le peu de confiance du citoyen en la politique qui risque de s’étioler.

Les Inspirations ÉCO: On vous  connaît  comme homme d’affaires, mais vous avez aujourd’hui fait le choix d’entrer directement dans le champs politique à travers le Parti socialiste unifié. Pourquoi ce choix ?
Karim Tazi : Je suis actif dans la politique depuis des années, et j’ai pris la décision d’intégrer le Parti socialiste unifié après la sortie des résultats des dernières élections législatives. Certains savent que j’ai pris part à la campagne de la secrétaire générale Nabila Mounib. À travers l’intéraction que j’ai eu durant la campagne avec les jeunes du parti, mais aussi les sympathisants, j’ai constaté que les valeurs de la gauche existent toujours au Maroc, et ce, malgré ce que l’on entend dire ici et là, notamment que la mouvance islamiste et conservatrice couvre tout le pays et que la gauche est morte. Il y a encore de l’espoir à travers ces valeurs de gauche. Déjà, en 2011, j’ai participé à tous les travaux du parti. Il m’est donc apparu que le temps était venu de passer des affinités avec le parti à l’inscription et au travail au sein du parti. Ceci, sans prétendre à aucune responsabilité ni au sein du bureau politique, ni au sein du conseil national.  

En 2011, vous avez aussi soutenu le Mouvement du 20 février. Pourquoi ?
Je pense que les revendications du mouvement étaient faciles à comprendre puisqu’elles étaient contre l’hégémonisme et la corruption. Tout citoyen, homme d’affaires ou non, ne pouvait qu’y adhérer. Personnellement, j’ai toujours participé aux initiatives de la jeunesse marocaine.  Bien avant le 20 février, j’avais participé à l’initiative des associations de quartiers. J’ai également soutenu l’association L’Boulevard concernant la promotion de la musique.  
Mais quand un homme d’affaires s’érige en «rebelle», cela suscite plusieurs interrogations…
Justement je me pose la question suivante: pourquoi le capital au Maroc est-il lâche ? Dans d’autres pays, les hommes d’affaires prennent part à l’action politique. Le meilleur exemple est celui de cet homme d’affaires qui a gagné les élections américaines. Au Maroc, je pense que le problème n’est pas tant la lâcheté que l’égoïsme. La bourgeoisie au Maroc veut continuer à profiter de sa situation sans participer à la construction institutionnelle du pays.

On a entendu dire que vous avez été confronté à des pressions d’un point de vue économique…
Vous savez, il n’y a pas un homme d’affaires qui ne subit pas de pression, même s’il n’est pas dans la politique. Il y a quelques administrations qui ont voulu me nuire, mais ceci étant, je n’en ai jamais souffert du point de vue de mes opinions, de ma santé ou autre. Ceci dit, je suis resté actif malgré tout et j’ai participé au documentaire de France 3 en juin dernier par exemple. J’ai ensuite reconnu que j’avais commis une erreur en y participant et nous avons publié un communiqué qui explique notre position vis-à-vis du réalisateur de ce documentaire qui, apparemment, avait d’autres objectifs non annoncés. Ceci n’a pas empêché certains de m’accuser de haute trahison.

Revenons aux élections de 2011, lorsque vous aviez annoncé que vous alliez voter pour le PJD… Pourquoi cette décision ?
Il faut revenir au contexte de 2011, lorsqu’un changement de la Constitution et des élections législatives a eu lieu. Nous avions, à l’époque, le choix entre le G8 que je considérais comme un monstre politique qui n’a ni queue, ni tête et qui représentait un recul, et le PJD qui se distinguait par sa démocratie interne. Nous avions donc fait confiance au PJD dans un contexte marqué par l’importance d’une bonne mise en application de la nouvelle Constitution. Il s’est avéré ensuite que nous avions commis une erreur. J’ai alors perdu confiance dans le PJD vers fin 2012, lorsque le chef du gouvernement a été empêché par son propre ministre de l’Intérieur d’assister aux festivités de la jeunesse du parti à Tanger. C’était la première couleuvre avalée par le chef de gouvernement. Ensuite, toujours à Tanger, il y a eu des élections partielles et l’AFP avait publié une dépêche qui n’a pas été bien accueillie puisque l’autorisation du correspondant à été retirée. J’ai ensuite appelé Mustapha El Khalfi qui, à mon grand étonnement, soutenait cette suspension. Ce fut alors pour moi une grande déception.

Aujourd’hui, pensez-vous que le PSU est capable d’apporter le changement ?
Le PSU est un petit parti qui ne peut avoir de responsabilités gouvernementales dans le court terme. Ce qui importe, c’est d’être dans un parti avec lequel on partage certains principes. Et ce qui ne peut être réalisé aujourd’hui peut l’être demain, mais il faut faire le premier pas. J’ai confiance dans le retour des valeurs de la gauche pour deux raisons. D’abord, l’opinion publique marocaine va comprendre que l’expérience du PJD a ses limites. Certes, Abdelilah Benkirane dispose d’une rare capacité de communication, mais le parti n’a pas les compétences pour gérer la chose publique.

Mais n’avez-vous pas été dérangé par les résultats du PSU dans les dernières élections ?
En vérité, j’ai été choqué de voir une si belle campagne déboucher sur de tels résultats. En fait, les Marocains qui ont sympathisé avec le parti n’avaient pas été inscrits sur les listes électorales, ce qui est dommage. Je me suis personnellement occupé de la campagne digitale sur Facebook qui était très réussie. La prochaine fois, nous tâcherons de commencer la campagne assez tôt pour parer aux erreurs tactiques de la campagne précédente.

Ne pensez-vous pas que le fait de s’engager dans les élections dans le cadre d’une fédération de trois petits partis était justement une erreur tactique ?
Non, je ne pense pas. L’erreur que nous avons commise est de ne pas avoir commencé la préparation des élections bien à l’avance. S’ajoute à cela le fait que le parti avait délaissé à un certain moment la communication avec l’opinion publique. Il n’a pas essayé de changer une image de parti de la gauche radicale, alors que le PSU que je connais est un parti modéré qui accepte de participer à l’intérieur des institutions, qui revendique une monarchie parlementaire, une justice sociale et une vraie démocratie.

Mais votre discours n’est absolument pas adapté à la majorité des Marocains. Il reste très élitiste et focalisé sur la revendication de monarchie parlementaire…
En effet, il y aura une évaluation des résultats électoraux lors du prochain congrès du parti, mais aussi -je suis d’accord avec vous- une vraie discussion sur le discours du parti. J’ai parlé avec les dirigeants au sein du parti à ce sujet en leur expliquant qu’il faut plus parler des services publiques qui intéressent la majorité des Marocains et ne pas trop mettre l’accent sur la monarchie parlementaire. Je pense que rien ne changera au Maroc si l’on n’applique pas le principe de reddition des comptes. Benkirane lui-même incrimine les «crocodiles et démons» qui empêcheraient les membres du parti de mener à bien leurs projets. Quant à la croissance et au décollage économique, ils ne peuvent se réaliser en dehors d’un État de droit. Pour toutes ces raisons, le parti a insisté sur la monarchie parlementaire, mais on n’a pas su expliquer à l’opinion publique comment cela va mener aux droits à la santé, à l’éducation, au transport et à l’emploi.

Quelle lecture faites-vous du champ politique actuel ?
C’est une mascarade. Il paraît que le PJD Et Abdelilah Benkirane veulent rester au gouvernement à n’importe quel prix. Je ne comprends pas comment un parti -en l’occurrence le RNI- qui a eu 37 sièges aux dernières élections impose ses choix à un parti qui en a eu 125. C’est néanmoins Abdelilah Benkirane qui est à blâmer et non le RNI. Rappelez-vous la campagne électorale de 2011, lorsque Benkirane brandissait ses clés en menaçant de les rendre si on ne le laissait pas travailler. Nous y avons cru, mais nous sommes aujourd’hui déçus. La confiance du citoyen dans la politique, dans les institutions et dans le Parlement se trouve très érodée après ces micmacs qui ont caractérisé les négociations gouvernementales. C’est une vraie catastrophe. Et malheureusement, lorsque les voies institutionnelles n’aboutissent pas, le risque d’assister à des moyens d’expression radicaux tels que les manifestations dans la rue devient très probable. Car nous savons que la situation économique et sociale du citoyen marocain dans le contexte actuel est très mauvaise. Dans un contexte de prévalence du chômage et d’un sentiment ambiant de non-respect du citoyen, si les politiques n’apportent pas les solutions idoines, c’est la rue qui sera le dernier recours. Dans cette situation, aucun parti n’est gagnant et c’est le Maroc qui perd. 


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