Banque mondiale : Institution de tutelle ou bailleur de fonds ?
Le Centre d’études et de recherches Aziz Belal (CERAB) livre son diagnostic de l’intervention de la Banque mondiale, en tant que bailleur de fonds et institution d’assistance technique du Maroc depuis un demi-siècle. Analyse.
Dans l’éducation, la santé, l’INDH, l’agriculture, la gestion urbaine ou les énergies renouvelables, le Groupe Banque mondiale avec ses différents démembrements (Banque internationale pour la reconstruction et le développement [BIRD] et l’Association internationale de développement) est partie prenante dans, quasiment, l’ensemble des stratégies économiques et sociales au Maroc. La présence de la Banque mondiale (BM) se fait sous forme de prêts ou de dons mais aussi dans le cadre de l’assistance technique à travers la réalisation d’études et de diagnostics sectoriels. L’action de la BM dans les pays du sud est souvent l’objet de critiques. Le Centre d’études et de recherches Aziz Belal (CERAB) vient de publier un ouvrage collectif intitulé «La Banque mondiale et le syndrome de la tutelle : cas du Maroc». Ce recueil des contributions de la journée d’étude organisée à la Chambre des représentants en juillet 2017 adresse une virulente critique à l’institution de Bretton Woods, ainsi que sa jumelle le Fonds monétaire international (FMI).
Premier créancier extérieur du royaume
Avant d’aller plus loin, rappelons le poids financier de la BM au Maroc. L’institution basée à Washington intervient au royaume depuis 1964, date de la réalisation de son premier diagnostic de l’économie. Cette présence historique fait de la Banque mondiale le premier créancier extérieur du royaume avec 15% de l’encours de la dette extérieure du royaume (voir graphique). «La BIRD est le premier créancier multilatéral avec un encours de 43 MDH, soit 33% du total de la dette multilatérale», rappelle le ministère des Finances. Le poids des financements et le positionnement en tant que «expert du développement» rend cette institution incontournable dans le paysage économique marocain. Les débats et les réactions gouvernementales et universitaires qui ont suivis la publication de son mémorandum décennal «Le Maroc à l’horizon 2040» en 2017, témoigne de la place de cet acteur international. L’ouvrage du CERAB intervient d’ailleurs comme une réponse au mémorandum de la BM. «Le syndrome de la tutelle, nous semble, approprié pour caractériser les relations qu’entretiennent les pays qui sont subi les affres du Programme d’ajustement structurel (PAS) et qui ont été, et sont toujours, otages du «Consensus de Washington» en continuant, à l’instar du Maroc à solliciter l’assistance financière et technico-idéologique de la BM et du FMI», explique Mohammed Chiguer, président du CERAB. Pourtant depuis le PAS, la BM a annoncé une remise en cause de sa doctrine du développement. Pour les économistes ayant pris participé à cet ouvrage, «ce changement de ton est de nature tactique», estime Ahmed Azirar, professeur à l’ISCAE. Et d’ajouter : «la BM s’adapte à la période d’après le Printemps arabe et matérialise le Consensus de Washington. Il cherche à dédouaner ces institutions de toute responsabilité, accusant entièrement l’exécution locale plutôt que le fonds des programmes et financements fournis». Pour Azirar ce changement de ton, se traduit par «la popularisation de notion comme l’émergence, l’immatériel, la richesse sociale, est dans la lignée créative de concepts par ces institutions». L’analyse du CERAB ne dédouane pas, pour autant, la responsabilité du Maroc. «Certes, le Maroc est responsable de l’incapacité de son économie à prendre son élan et à entamer son décollage. Il a renoncé à une partie de sa souveraineté pour sous-traiter son imaginaire et subir en fin de compte, le syndrome de la tutelle», insiste le président du CERAB. Cet ouvrage décline la critique adressée à la BM en six textes. En plus des interventions des Pr. Chiguer et Azirar, on retrouve des interventions d’Arbi Mrabet sur le rôle de la BM dans la promotion de l’économie libérale. Abdelkader Berrada présente une lecture critique de l’endettement extérieur du Maroc envers la BM, Abdelouahed El Jai revient sur la décision de la flexibilisation du dirham. Enfin, Abdelahfid Oualalou décrypte des réformes sociales proposées par la BM.
Mohammed Chiguer
Président du CERA
L’intérêt indéniable de cette publication est qu’elle vient au moment où il est question de renouveler le modèle économique en vigueur. Il s’agit d’interpeller les décideurs marocains de la nécessité de libérer l’imaginaire collectif, qui au demeurant, est une condition sine qua non pour se débarrasser du syndrome de la tutelle qui risque de jouer de nouveau un mauvais tour au Maroc».
La critique de Lahlimi au «Consensus de Washington»
Le «Consensus de Washington» est le programme de réformes d’inspiration néolibérale à l’œuvre dès la fin des années 70. Le tandem BM/FMI avait pour mission de le mettre œuvre. Aujourd’hui, cette recette est remise en cause. Ahmed Lahlimi, patron du HCP, apporte sa voix critique à l’égard de ces réformes : «Le contexte international connait une dynamique d’ébrèchement de tout le savoir conventionnel apporté par une mondialisation triomphante des années 80 et des orthodoxies de gestion économique, financière et sociale qui sont devenues la bible des conseils, voire des injonctions auxquelles sont soumis depuis 50 ans les pays en développement», a-t-il lancé, lors de la présentation du budget exploratoire de 2019, le 10 juillet dernier. À méditer !