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Au Maroc, la dangereuse addiction aux antibiotiques

Les antibiotiques représentent une grande avancée pour la médecine. Au Maroc, cette substance est prise en tenaille entre des enjeux commerciaux et de santé publique. Enquête.

La consommation des antibiotiques au Maroc représente un enjeu financier majeur pour l’industrie pharmaceutique. Sur 10 médicaments, les plus vendus dans le pays, en volume, deux sont des antibiotiques. En valeur, quatre antibiotiques «blockbusters» réalisent 3,4% des ventes de l’ensemble du marché pharmaceutique privé. En d’autres termes, 4 médicaments réalisent à eux seuls plus de 300 millions DH de chiffre d’affaires (CA) par an.

Le business de l’antibiotique
En tête des antibiotiques vedettes, l’Augmentin s’offre 1,4% des ventes du marché privé, en valeur au Maroc, soit 126 MDH de CA par an. Globalement, les antibiotiques totalisent 13,8% en valeur des ventes sur le marché privé. Une belle affaire. Dans le marché public, et selon les données obtenues par Les Inspirations ÉCO, le ministère de la Santé a acheté pour 111 MDH d’antibiotiques en 2016. Un chiffre en progression de 27% en une année. En 2017, les achats publics en antibiotique ont connu une baisse importante de 58% pour se situer à 47,8 MDH. Une tendance baissière expliquée par «des contraintes budgétaires », selon une source autorisée au ministère de la Santé.   Les chiffres montrent que la commercialisation des antibiotiques par les firmes pharmaceutiques au Maroc est aujourd’hui un créneau porteur. Le marché privé compte une centaine de noms commerciaux de plusieurs traitements de cette famille de médicaments. «Dans les traitements des pathologies aiguës (antibiotiques), la place des génériques est devenue prépondérante», confirmait le rapport du Conseil de la concurrence dans le secteur pharmaceutique. L’étendue de l’offre a créé une forte concurrence sur les prix, surtout des génériques. Cette baisse des prix contribue-t-elle à l’automédication ? Les enjeux de santé publique sont-ils sacrifiés pour les profits financiers des firmes ? L’évolution de la consommation des antibiotiques nous mène-t-elle vers une impasse thérapeutique ? Ces questions cruciales Les Inspirations ÉCO les a posées à des spécialistes du secteur de la Santé et des acteurs du marché pharmaceutique.

Responsabilité du pharmacienet du médecin
Dr Abderrahim Derraji est pharmacien à Mohammédia. Il a passé un rude hiver: «chaque saison, j’ai beaucoup de difficultés à convaincre les personnes qui nous visitent en pharmacie de ne pas privilégier les antibiotiques comme premier traitement face au rhume et à la grippe». Il fallait user de tous les arguments pour dissuader ses patients. «L’antibiotique est associé au médicament-miracle. Or, souvent l’antibiotique peut être inefficace, s’il est pris sans consultation d’un médecin»,  ajoute-t-il.  À l’opposé, Dr Badreddine Dassouli, urologue à Casablanca, pointe du doigt «le laxisme des pharmaciens». «Les officinaux délivrent des médicaments sans ordonnances. Un pharmacien peut vous donner tout ce que vous voulez comme médicament, certains pharmaciens commencent même à faire des consultations», accuse-t-il. Ce laisser-aller arrange les comptes des mutuelles, selon ce médecin. «Des médicaments sans ordonnance allègent la charge des caisses des mutuelles qui n’auront pas à rembourser ces médicaments. Seul le patient est perdant. Il achète un médicament qui ne lui sera pas d’un grand secours et supportera le coût total de ces traitements», argumente Dr Dassouli. Ce médecin ne dédouane pas totalement ses confrères. «La prescription d’antibiotiques par les médecins n’est pas toujours justifiée. À tort ou par sécurité, il arrive que l’on prescrive des antibiotiques», regrette l’urologue. Les raisons à l’origine de cette explosion de la consommation des antibiotiques au Maroc sont légion : automédication des patients, marketing agressif de certains laboratoires, volonté des pharmaciens d’améliorer leurs ventes sur des produits vedettes ou souvent la pression des patients souhaitant une guérison rapide poussant les médecins à la prescription d’antibiotiques. S’il est difficile de trancher sur les véritables raisons de cette situation de surconsommation au Maroc, il y a une seule certitude et elle donne des sueurs froides : des impasses thérapeutiques commencent à être constatées dans les hôpitaux marocains. Face à certains antibiotiques, des bactéries font de la résistance. Un cauchemar pour les médecins.
Manal Walfi est pharmacienne au CHU Ibn Rochd de Casablanca. Elle a connu l’impasse thérapeutique de très près. Durant les 12 mois de l’année 2014, elle a mené une recherche empirique dans 12 services de l’hôpital universitaire où elle travaille.  «Il s’agit de trouver une corrélation entre la consommation des antibiotiques et la résistance bactérienne dans le milieu hospitalier», explique-t-elle. Le résultat est sans appel.  «Nous  avons étudié cinq couples de bactéries. Dans 4 cas sur 5, la prise d’antibiotiques a engendré une résistance bactérienne», indique Dr Walfi. Pour la chercheuse en pharmacie, il n’y a pas de doute, «nous prescrivons encore beaucoup trop d’antibiotiques au Maroc». Dans le cas précis des hôpitaux, le résultat constaté est troublant : «les germes se trouvant dans les hôpitaux ont développé une forte résistance bactérienne aux antibiotiques». En termes clairs, un patient ou professionnel de santé peut être infecté à l’hôpital par un germe présentant une «immunité» aux antibiotiques.

Appels pour des campagnes de sensibilisation
Dr Derraji se trouve en première ligne face aux citoyens en désarroi thérapeutique. Il regrette «le gâchis induit par le recours inapproprié aux antibiotiques». Dr Derraji déplore que la médecine est en train de perdre à jamais de «petits bijoux» que sont les antibiotiques. «L’émergence et la propagation des bactéries résistantes à ces traitements sont aujourd’hui un enjeu de santé dans le monde et doivent l’être aussi au Maroc», appelle-t-il. Au royaume peut-on renverser la tendance ? «L’utilisation responsable des antibiotiques peut arrêter le développement des bactéries résistantes et préserver l’efficacité des antibiotiques pour les générations futures. Le succès des campagnes de sensibilisation dans certains pays a déjà permis de réduire la consommation d’antibiotiques», préconise Abdelmajid Belaiche, analyste des marchés pharmaceutiques au Maroc. Une première réflexion a démarré au ministère de la Santé en 2016, mais est restée sans suites. Cette piste est confrontée à un autre risque soulevé par l’ensemble des experts que nous avons contactés : «La filière vétérinaire et de l’élevage joue également un grand rôle dans l’augmentation des résistances», préviennent ces spécialistes. Les résistances bactériennes se nourrissent dans nos assiettes, à travers de la volaille ou du bétail enrichis aux antibiotiques. Glaçant ! 


Du bon usage de l’antibiotique

La plupart des rhumes et des grippes sont dus à des virus contre lesquels les antibiotiques n’ont aucun effet.

Un antibiotique est inefficace lors de l’arrêt du traitement trop tôt, lorsque l’on diminue les doses ou lorsque l’on ne respecte pas la posologie.

Il faut toujours suivre les recommandations du médecin concernant l’administration des antibiotiques.

L’OMS recommande la commercialisation des antibiotiques uniquement sur ordonnance.


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