Pesticides agricoles. À quand l’interdiction du chlorpyrifos ?

Si l’Exécutif européen se dirige vers l’interdiction du chlorpyrifos, cet insecticide continue d’être commercialisé au Maroc à travers 53 produits homologués, selon l’index phytosanitaire de l’ONSSA, afin de lutter contre des ravageurs touchant de nombreuses cultures.
Au moment où la Commission européenne s’apprête à proposer le retrait du chlorpyrifos, un insecticide approuvé depuis 2006 dans l’Union européenne (UE), l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA) se dirigerait-il également vers l’interdiction de la commercialisation des intrants chimiques de chlorpyrifos au Maroc? Quoi qu’il en soit, cette interdiction au Maroc est avant tout liée à la situation internationale. «On suit de près l’évolution de la situation internationale des substances actives et les évaluations scientifiques faites par les différentes instances spécialisées dans le domaine, parmi lesquelles figure le chlorpyriphos. À la lumière de ces évolutions, l’ONSSA prendra les dispositions nécessaires pour protéger le consommateur et gérer les risques liés aux conditions d’utilisation des produits à base de chlorpyrifos dans notre pays», indique l’office. En attendant le verdict final des autorités européennes par rapport au statut du chlorpyrifos, du côté marocain, l’article 5 de la loi n°42-95 relative au contrôle et à l’organisation du commerce des produits pesticides à usage agricole stipule que «lorsqu’à la suite d’un fait nouveau ou en raison de son utilisation ou, éventuellement, après un nouvel examen, un produit ne satisfait plus aux conditions d’efficacité et d’innocuité à l’égard de l’homme, des animaux ou de leur environnement, l’homologation ou l’autorisation de vente est retirée ». C’est également sur la base de cet article que l’ONSSA établit chaque année la liste des substances actives qui feront l’objet d’une réévaluation.
L’ONSSA dans l’attente de la décision de l’UE
Du côté de l’Union européenne (UE) où huit pays ont déjà interdit l’insecticide en question (l’Allemagne, le Danemark, la Finlande, l’Irlande, la Lettonie, la Lituanie, la Slovénie et la Suède), l’Exécutif européen va vraisemblablement demander, selon l’AFP, le non-renouvellement de la licence de cet insecticide à cause d’inquiétudes évidentes, notamment au sujet de possibles effets négatifs sur la santé des enfants exposés au chlorpyrifos (voir encadré). Faisant actuellement l’objet d’une évaluation scientifique menée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (en anglais EFSA) dans le cadre de sa demande de réautorisation, la licence de ce produit au niveau de l’UE expire fin janvier 2020 alors qu’il reste actuellement autorisé au niveau européen par 20 États membres de l’UE et à l’échelle internationale notamment en Australie, au Japon et aux États-Unis (l’État de Hawaï a été le premier à interdire l’utilisation du chlorpyriphos, outrepassant ainsi la décision fédérale). «Au terme de chaque réexamen, la Commission européenne peut décider de retirer, de maintenir ou de réglementer sévèrement la substance active réévaluée. À l’heure actuelle, les autorités européennes n’ont pas encore pris de décision définitive concernant le chlorpyrifos», ajoute l’ONSSA.
Plusieurs usages dans l’agriculture
Aujourd’hui, le chlorpyrifos est une substance à usages multiples au Maroc avec des limites maximales de résidus. Il est utilisé dans le domaine agricole pour les cultures de fruits et légumes, notamment pour les agrumes, la tomate, la betterave à sucre, le fi- guier de barbarie, le maïs, le pommier, le poirier, la vigne pour lutter contre les ravageurs. Pour les agrumes, il s’agit de lutter contre le pou de Californie et le puceron, les noctuelles défoliatrices et la mouche blanche pour la tomate, la casside et le cléone mendiant pour la betterave à sucre, la sésamie pour le maïs, la cochenille à carmin pour le figuier de barbarie et le carpocapse pour le pommier. Au niveau de l’UE, le règlement de la commission modifiant les annexes II et III du règlement (CE) no 396/2005 du Parlement européen et du conseil a déjà révisé les limites maximales applicables aux résidus de chlorpyrifos, de chlorpyrifos-méthyl et de triclopyr présents dans ou sur certains produits.
53 produits à base de chlorpyrifos homologués
Au total, les produits homologués et commercialisés sur le marché marocain sous forme d’intrants chimiques contenant des matières actives de chlorpyriphos sont au nombre de 53. Cette liste inclut aussi les produits génériques développés dernièrement selon l’index phytosanitaire en ligne de l’ONSSA. Cette plateforme, qui contient aussi les données sur les produits pesticides à usage agricole homologués au Maroc, indique que la majorité de ces produits disposent encore d’une homologation à long terme valable jusqu’à 2021, voire même 2027 pour les sociétés phytosanitaires commercialisant leurs produits au Maroc. S’agissant du Délai avant récolte (DAR), il varie en fonction de chaque culture.
Chlorpyriphos : aucune donnée sur le stock existant
Sur le plan technique, la demande d’homologation d’un produit pesticide à usage agricole doit être accompagnée, selon l’ONSSA, d’un dossier technique regroupant toutes les études exigées au niveau du référentiel publié sur son site web, parmi lesquelles figurent les études de toxicité de la substance active et du produit commercial contenant cette substance. «Ces études sont évaluées par nos services compétents et soumises à l’avis de la commission des pesticides à usage agricole. Toutefois, des études supplémentaires relatives aux produits visés sont demandées à chaque fois que c’est nécessaire», souligne l’ONSSA. Du côté de certains professionnels, «cet insecticide devrait être retiré du marché, mais pour le moment, on ignore les stocks existants, au Maroc», explique un opérateur agricole. De l’avis de l’ONSSA, «les stocks sont essentiellement gérés par les détenteurs des produits en l’occurrence les importateurs, les distributeurs, les vendeurs et les agriculteurs, qui respectent les conditions réglementaires de détention et de stockage».
La toxicité de la substance déjà prouvée
Par ailleurs, plusieurs médias européens ont souligné que le chlorpyrifos reste très présent au sein de l’UE malgré des indications sur sa toxicité, notamment sur le système nerveux central. Selon l’AFP, sa précédente mise sur le marché de l’UE avait fait l’objet d’une procédure différente, par un comité d’experts dépendant du Conseil, car l’EFSA n’en était alors qu’à ses débuts. Toutefois, l’agence européenne a depuis effectué plusieurs mises au point sur cette substance en mettant en lumière en 2014 des risques pour les consommateurs et les travailleurs et en abaissant en 2015 et 2016 les niveaux résiduels autorisés. L’EFSA explique, selon l’AFP, que pour l’évaluation scientifique en cours, l’un des «points clés» pour les experts en santé humaine portera sur la neurotoxicité de la substance, en incluant au débat une étude récente réalisée aux États-Unis. Selon le journal français Le Monde, cette étude «montre une augmentation de la fréquence de l’autisme et de lésions cérébrales précoces chez des enfants exposés au chlorpyrifos avant et après la naissance». Parallèlement, une source citée par l’AFP indique que «des inquiétudes autour de la toxicité de ce pesticide neurotoxique ont été identifiées» pendant l’évaluation effectuée par l’EFSA, toujours en cours, et dont la date de publication n’est pas encore connue.
Qu’est-ce que les chlorpyrifos ?
Le chlorpyriphos est un insecticide organophosphoré à large spectre qui tue les insectes. Les effets sanitaires à court et à long termes de l’exposition à des pesticides sont particulièrement préoccupants pour les agriculteurs qui les utilisent, pour leur famille, de même que pour les riverains. Néanmoins, ce sont les enfants qui sont particulièrement vulnérables face aux effets de cette substance, étant donné que leur cerveau est encore en cours de développement. Parmi les impacts sanitaires du chlorpyriphos figurent la diminution du quotient intellectuel, la perte des capacités de mémorisation, des problèmes de concentration, l’autisme, le dérèglement de l’hormone thyroïdienne ou encore des lésions nerveuses.