Crise de l’artisanat. Une question de gestion de la formation professionnelle

Après l’Indépendance, différents efforts ont été orientés vers la formation professionnelle en tant qu’outil majeur pour atteindre les objectifs de reconversion et de redynamisation de l’artisanat. Diverses réformes ont vu le jour, et ce à travers les différents plans quinquennaux et les politiques publiques. Trois phases principales caractérisent les grandes orientations étatiques. La première phase va de l’Indépendance à l’an 1980. Cette étape était caractérisée par la dominance de l’aspect quantitatif et social des réformes. La deuxième phase a débuté avec les réformes de 1984 et a pris fin en 1999; il s’agit bien d’une réorientation des réformes en direction de l’aspect qualitatif de la formation professionnelle. Désormais, celle-ci est planifiée selon un processus qui fait appel au principe de concertation, et de diversification des qualifications professionnelles. La troisième phase va de l’année d’entrée en vigueur du Livre Blanc (l’an 2000) à la fin de la Vision 2015. Durant cette étape, le volet qualitatif de la formation professionnelle s’est sensiblement amélioré à différents niveaux: ancrage de la formation professionnelle dans le milieu du travail, mise en place de l’Approche par compétence, renfoncement de l’articulation Formation-Éducation, et encouragement du partenariat public- privé. Certes, à la lumière des réformes adoptées, des acquis en matière de formation professionnelle ont été enregistrés. Or, malgré l’importance historique donnée à la formation professionnelle, l’engagement exprimé par le gouvernement et les efforts déployés par les différents intervenants dans la gestion de la formation professionnelle, la situation de cette dernière demeure déficiente. Les éléments suivants résument les principaux handicaps caractérisant la situation actuelle de la formation professionnelle. D’un côté, les facteurs économiques renforcent la vulnérabilité du secteur et entravent l’adhésion et le recrutement des lauréats de la formation professionnelle institutionnelle, jugés trop chers. Il s’agit surtout de la faible productivité, des difficultés de financement de la formation professionnelle, de l’absence d’un marché structuré de l’emploi, de la cherté des matières premières et des difficultés liées à la commercialisation des produits artisanaux.
Des solutions d’urgence s’imposent
En plus du fait que les jeunes considèrent la formation professionnelle institutionnelle comme un refuge, et que l’échec scolaire représente un réservoir de nouveaux candidats, l’inadaptabilité du parcours professionnel des artisans avec les nouveaux concepts de la formation professionnelle institutionnelle continue à hypothéquer l’avenir de cette dernière. Il y a d’autres facteurs de la crise de la formation professionnelle. Il s’agit des facteurs institutionnels et organisationnels, justifiés surtout par l’inadaptation du système de formation aux besoins nationaux et régionaux, de l’inadéquation de la logique de qualification avec le marché de travail artisanal, de la forte dépendance du système de formation professionnelle à la logique de l’offre, de la faible implication des entreprises artisanales dans le processus de formation professionnelle, et enfin de la faible articulation entre le système éducatif et la formation professionnelle ainsi que du déficit enregistré au niveau du système d’orientation et de la carte de la formation professionnelle. Face à cette situation alarmante, des solutions peuvent être envisagées, et pourraient hisser le niveau de l’efficacité et de la qualité de la formation professionnelle tout en limitant les effets négatifs liés aux contraintes de la planification, de la coordination et de la concertation. Il s’agit à notre sens de revoir la politique de l’État en matière de formation, tout en prenant en compte les recommandations suivantes. Primo, unifier la gouvernance du système de la formation professionnelle; dans ce sens, nous pensons que la réorganisation de la formation professionnelle au Maroc doit être écartée du champ d’intervention du Secrétariat d’État chargé de l’Artisanat, et nécessite la mise en place d’un système de formation géré par un organe unique, spécialisé dans le domaine de la formation professionnelle. Cet organe pourrait concentrer son action sur la gestion de la formation professionnelle et tisser des liens de partenariat avec les différents intervenants.
Mise à niveau de la formation
Dans le même ordre d’idées, pour accompagner ces changements, une assise juridique est souhaitable, sinon nécessaire. Secundo, améliorer le niveau de financement de la formation professionnelle, bien que le système de la formation professionnelle soit caractérisé par une diversité des sources de financement (État, entreprises, ménages, bailleurs de fonds et investisseurs privés) dans le cas de l’artisanat. Nous pensons qu’il serait judicieux d’augmenter la part actuelle réservée à la formation professionnelle (0,5% du PIB); revoir la répartition de la taxe sur la formation professionnelle en élargissant la marge des bénéficiaires et en créant un pont entre la formation professionnelle dans le métier et celle structurée; revoir le système actuel des Groupements interprofessionnels d’aide au conseil (GIAC) et des Contrats spéciaux de formation (CSF), de manière à les rendre faciles et accessibles à toutes les petites entreprises artisanales; revoir le double rôle de formation et de gestionnaire des fonds de l’Office de la formation professionnelle et de promotion du travail (OFPPT); diversifier les sources de financement. Tertio, concernant les contraintes liées à l’inadéquation formation/ emploi, il devient indispensable de revoir l’organisation du marché du travail. La prééminence de l’informel sur l’opération de recrutement, les relations et le recrutement clandestin nuisent à l’avenir du métier. Le recours à l’apprentissage en atelier et la méfiance envers les lauréats du système de formation institutionnelle ne laissent plus de chance à ce dernier mode de formation de se développer et de prendre place dans l’atelier des artisans. Nous pensons également que le temps presse pour une remise à niveau du système de l’éducation nationale actuelle et une accélération des mesures et des réformes nécessaires à ce niveau.
Youssef Bodaraia.
Docteur chercheur en économie et gestion, spécialiste de la formation professionnelle