Prévention contre la torture. Le mécanisme national est très attendu
L’accélération de la mise en place du mécanisme national de prévention contre la torture s’impose. Le Maroc est appelé à rattraper le retard accusé en la matière. En dépit des progrès réalisés, de grands efforts restent à déployer pour améliorer la situation dans les centres privatifs de liberté.
Le CNDH prépare la mise en place du mécanisme national de prévention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants (MNP), qui a été stipulé par la nouvelle loi relative à la réorganisation du conseil, publiée au bulletin offi ciel il y a une année. À l’instar des autres nouveaux mécanismes en faveur des enfants victimes de violation des droits de l’homme et des personnes en situation de handicap, ce mécanisme ne devra être opérationnel qu’après l’installation des nouveaux membres du CNDH.
Pour jeter la lumière sur ce dossier de la plus haute importance, l’institution présidée par Amina Bouayach tiendra aujourd’hui une rencontre réunissant les parties prenantes concernées au niveau national et international (experts, institutionnels, société civile…) en vue de mettre en exergue les progrès réalisés dans la mise en place du MNP et d’identifier et d’échanger les bonnes pratiques en la matière. Cela fait des années que le Maroc est très attendu sur ce dossier pour compléter sa législation en la matière et concrétiser ses engagements internationaux. Le royaume, rappelons-le, a ratifié la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT) le 21 juin 1993 et son Protocole facultatif (OPCAT) le 24 novembre 2014. Le Maroc est devancé par ses voisins notamment la Tunisie et la Mauritanie ayant déjà pris le taureau par les cornes en 2016. La mise en place de ce mécanisme s’impose d’autant plus qu’au cours des dernières années, les allégations de torture ne manquent pas et que les responsables marocains ne nient pas l’existence encore de mauvais traitements dans les centres de privation de liberté bien qu’ils estiment qu’il ne s’agit pas d’une pratique systématique. De grands efforts restent à déployer pour améliorer la situation dans les centres privatifs de liberté notamment les prisons. Les cris d’alerte de la société civile et les rapports établis par le CNDH démontrent la nécessité d’agir pour rectifier le tir. Le conseil a déjà élaboré des rapports sur les prisons, les centres de sauvegarde de l’enfant et les hôpitaux psychiatriques qui ont démontré que, malgré les progrès réalisés, il reste encore des pratiques à abolir tels que les traitements qui font atteinte à la dignité dans ces lieux.
En vertu des nouvelles dispositions législatives, le conseil sera chargé de jouer le rôle de mécanisme national de prévention de la torture. La nouvelle législation permet au CNDH l’accès aux lieux de privation de libertés et aux renseignements y afférents (le nombre de lieux, leur emplacement, le nombre des personnes privées de liberté se trouvant dans lesdits lieux, les conditions de leur détention). Les membres du nouveau mécanisme ont la liberté de choisir les lieux de privation de liberté à visiter et les personnes à rencontrer. La loi leur confère le droit de s’entretenir en privé avec les personnes privées de liberté à titre individuel, sans témoins et de recourir à un interprète si cela paraît nécessaire ou à toute autre personne dont la présence est jugée utile. Les lanceurs d’alerte doivent être protégés. Les informations révélées au mécanisme national demeurent secrètes. Désormais, les visites du conseil ne pourront pas être refusées. Certes, actuellement le CNDH ne s’est jamais vu refuser une visite à un centre mais l’expérience démontre que la visite pourra être reportée. Le refus de la visite ne peut être justifié que par des motifs graves et imminents ayant trait à la défense nationale ou la sécurité publique ou des cas de catastrophes naturelles ou de troubles graves dans les lieux à visiter. Dans ces cas là, les autorités doivent présenter par écrit au président du conseil les motifs de leur opposition. La mission des futurs membres du mécanisme national de prévention contre la torture ne sera pas de tout repos. Il s’agit en effet d’une tâche fastidieuse qui devra être menée sur plusieurs fronts. Une grande responsabilité incombe également aux magistrats et à l’administration pour transférer les dossiers à la justice, qui est le premier protecteur des droits de l’homme en diligentant des enquêtes dès qu’un citoyen présente des allégations de mauvais traitements et de torture. Les enquêtes doivent être systématiques. L’idée n’est pas uniquement de punir tous ceux qui violent les droits de l’homme mais surtout de réussir le travail de prévention à travers la sensibilisation aux droits fondamentaux. Ce travail a été déjà entamé même avant l’adoption de la nouvelle législation. Ainsi, à titre d’exemple, tous les directeurs de prison ont été formés par le CNDH.
Médecine légale : la réforme s’impose
Pour relever le défi de la lutte et de la prévention contre la torture, les expertises médicales doivent être systématiques. Cet objectif ne peut être concrétisé sans le développement de la médecine légale au Maroc qui est un outil important pour la constatation de cas de violations des droits de l’homme. Or, la situation de cette discipline est alarmante, comme l’a relevé le Conseil national des droits de l’homme. La faiblesse du nombre des médecins spécialisés donne des frissons dans le dos. En effet, le Maroc dispose de moins de 20 médecins légistes spécialisés. Rappelons que selon l’étude faite par le CNDH en 2013, le Maroc ne compte que 13 spécialistes en médecine légale (dont deux professeurs assistants et un professeur agrégé) et un seul service hospitalo-universitaire dans cette discipline. La situation n’aurait pas beaucoup évolué depuis cette date. Il est temps de mettre fi n aux dysfonctionnements comme les rémunérations jugées trop faibles aux actes médico-légaux requis par le parquet. Adopté par le Conseil de gouvernement en septembre dernier, le projet de loi 77.17 réglementant la pratique de la médecine légale au Maroc devra permettre la promotion de cette pratique. Les députés de la Commission de la justice à la Chambre des représentants sont appelés à accélérer la cadence de son adoption. Une seule réunion consacrée à la présentation du texte a été tenue par les députés.