Agriculture vs urbanisation. Les terres agricoles en danger

Le Maroc est en train de perdre ses terres les plus fertiles destinées à l’agriculture. Le département de tutelle lance l’alerte et appelle à l’action.
Le chiffre est inquiétant: le Maroc a perdu 28.000 hectares de terres. «Ces surfaces agricoles sont de grande qualité», précise le ministère de l’Agriculture lors de la présentation du bilan des dix ans de mise en œuvre du Plan Maroc vert (PMV), le 18 décembre dernier. Dans le tableau positif dressé par le ministère au sujet des aspects transversaux du PMV, cette question de perte des terres arables a constitué un des points à surveiller lors de l’implémentation de la future stratégie agricole.
Le Loukkos transformé en immeubles
En trente ans, le Maroc a perdu l’équivalent du périmètre érigé du Loukkos. On enregistre ainsi une perte de 1.400 hectares par an, selon l’étude réalisée par le département de Aziz Akhannouch en 2014. Le ministère prévient : «En cas d’absence de mesures urgentes, nous allons perdre plus de 79.000 hectares de terres agricoles d’ici 2030». Lors de la présentation du ministère, deux images satellitaires de la ville de Meknès en 1999 et 2018 étaient édifiantes. Elles montraient la transformation des meilleures terres agricoles de la plaine de la région en zones urbaines. Le ministère a aussi illustré son propos avec la région de Kénitra et les terres agricoles du Gharb. Les terres agricoles transformées en zones urbaines sont passées de 3.000 hectares en 1990 à 12.000 hectares en 2011. «18.000 hectares sont menacés par l’urbanisation en 2030», alerte le ministère. Face à cette situation, le département de l’Agriculture tente de mobiliser le reste du gouvernement depuis 2013. Le ministre de l’Agriculture avait adressé une lettre au chef de gouvernement à ce sujet en 2013. «Cette lettre invitait les ministères à préserver les terres agricoles face à l’urbanisation», explique le ministère. En avril 2014, le ministre publie une circulaire sur le sujet et lance des Comités de vigilance dédiés dans toutes les régions. Pour l’instant, ces actions demeurent limitées, surtout face à l’ampleur de l’urbanisation dans les zones agricoles à forte valeur ajoutée (Loukkos, Gharb, Saiss et Chaouia). Le ministère propose trois mesures. En premier lieu, le département suggère de favoriser les constructions verticales et de les inclure dans les différents documents d’urbanisme (schéma d’aménagement urbain, plans des pôles urbains, etc.). Le département d’Akhannouch appelle à «la réalisation de cartes régionales pour limiter les terres agricoles qui ne peuvent changer d’usage. Ces cartes peuvent être utilisées comme un outil de gestion de l’extension urbaine». Enfin, le ministère propose la création d’une commission nationale pour la préservation des terres agricoles et la promulgation d’un cadre juridique pour la protection des terres.
L’alerte de la FAO
Le rapport onusien sur l’État des ressources en sols du monde du Groupe technique intergouvernemental sur les sols de la FAO publié en 2015 avait déjà sonné l’alerte. «L’urbanisation nuit aux sols», avaient conclu ces chercheurs. Et d’ajouter : «La croissance effrénée des villes et des industries a dégradé des superficies de plus en plus vastes, notamment en contaminant les sols de sels, d’acidité et de métaux lourds, en les tassant avec des engins agricoles et en leur faisant perdre définitivement leur perméabilité sous le bitume et le béton». Le directeur général de la FAO, José Graziano da Silva, rappelle les conséquences de cette situation: «D’autres pertes de sols productifs compromettraient gravement la production vivrière et la sécurité alimentaire, amplifieraient la volatilité des prix alimentaires, et pourraient plonger des millions de personnes dans la faim et la pauvreté. Mais le rapport illustre également comment cette perte de ressources et de fonctions des sols peut être évitée». Selon ce rapport, les sols dans la région MENA sont particulièrement touchés et se trouvent dans une situation déplorable. En matière d’érosion comme d’emprise sur les sols, de contamination, la tendance observée est «très mauvaise». La région MENA présente la situation la plus inquiétante parmi les toutes les régions du monde.