Dorsaf Hamdani ou quand Fayrouz rencontre Barbara

Ce sont deux icônes de la chanson que tout semble séparer mais qui ont de nombreux points communs. L’une a marqué l’Orient, l’autre l’Occident. Fayrouz et Barbara sont reprises par la diva tunisienne Dorsaf Hamdani. Un tourbillon d’émotion qui a envoûté plusieurs villes du Maroc dans le cadre des Nuits du Ramadan de l’Institut français du Maroc. Coulisses.
Elle entre dans la salle et on s’attend déjà à être bousculé mais on ne s’attend pas à un voyage si prenant. En optant pour Fayrouz et Barbara, Dorsaf Hamdani choisit la difficulté, la complexité, la profondeur, la grâce. Les deux chanteuses ont un répertoire riche, une histoire pas facile, des personnalités bien trempées mais en commençant ce projet en 2015, la chanteuse tunisienne ne se doute pas à quel point les deux chanteuses se ressemblent. Dans leur discours, dans leur engagement, dans la façon de s’approprier le texte, dans la façon d’habiter des mots et des «maux» jusqu’à même se ressembler physiquement. Envoûtante, leur présence scénique était suffisante pour embarquer tout le monde dans le voyage qu’elle proposait à chaque fois. Et Dorsaf Hamdani se mesure à ces deux monuments de la musique de façon magistrale. Elle croise les deux parcours, les univers, qui ne se sont jamais rencontrés dans la vraie vie mais qui auraient tellement gagné à le faire. Toujours juste, avec beaucoup d’humilité et d’humanité, la chanteuse et musicologue tunisienne offre un concert épuré, fin et intelligent avec Daniel Mille à la Direction musicale et à l’accordéon, Lucien Zerrad aux arrangements, guitare, oud, Zied Zouari au violon et Yousef Zayed aux percussions et oud. Du spleen lumineux de Barbara à la légèreté engagée de Fayrouz, on passe des sonorités occidentales et orientales, de textes français et arabes de façon tout à fait fluide et on redécouvre «Atini ney wa ghani», «A bent achalabya» ou encore «Jérusalem» qui font échos à «Dis, quand reviendras-tu ?», «Nantes» ou encore «Gare de Lyon». Un moment de musique d’une rare sophistication.
Dorsaf Hamdani
Chanteuse
Les Inspirations ÉCO : Si Fayrouz est un choix logique vu votre parcours, comment s’est imposée à vous Barbara ?
Dorsaf Hamdani : L’idée de départ est née avec l’Institut français de Tunis. L’équipe a assisté a un concert à moi où je chantais la vie en rose d’Edith Piaf. Ils ont trouvé cela génial et m’ont demandé de penser à un concept où on mélangerait chanson française et arabe. De fil en aiguille, c’est devenu un véritable projet. Fayrouz s’est imposée à moi tout de suite, je suis une fan invétérée de Fayrouz. On ne pouvait pas la croiser avec Edith Piaf et c’est là où on a pensé à Barbara. À l’époque, j’ai aimé l’idée, je n’étais pas vraiment fan de Barbara mais je trouvais l’idée intéressante. J’avais besoin de réfléchir et d’écouter pendant des heures et des heures Barbara pour trouver un fil conducteur. Pour raconter des choses. Il y avait de belles choses à raconter parce qu’elles ont beaucoup de points en commun.
À quel point se ressemblent-elles et à quel point sont-elles différentes ?
Ni le monde arabe ni le monde francophone ne sait à quel point elles se ressemblent. Elles se ressemblent même physiquement et c’est flagrant sur le disque ! Il y a deux photos en noir et blanc où les deux chanteuses sont identiques. Elles se ressemblent comme deux sœurs. Vu l’engagement de Fayrouz, tout comme Barbara, le côté fermé, hermétique mais à la fois sensible. La femme forte et fragile à la fois. Elles avaient toutes les deux cela. On le sent dans les chansons, dans la voix. L’engagement de Fayrouz est connu, Barbara aussi a fait beaucoup de choses pour des causes comme le Sida, l’enfance maltraitée. À travers ce projet, elles se rencontrent et elles se parlent. C’est ce qui est beau ! Au départ ce n’était pas facile mais une fois que les deux répertoires ont flirté ensemble, c’est devenu une évidence avec ma voix et le travail magnifique des musiciens.
Comment s’est fait le choix du répertoire ?
Le choix du répertoire n’a pas été évident pour moi parce qu’il y a tellement de richesses ! Des deux côtés d’ailleurs. Je suis partie d’une centaine de chansons pour en présélectionner une vingtaine desquelles j’ai choisi 12 chansons seulement ! Ce n’est pas du tout une mince affaire. On s’est posé la question de choisir ou pas «L’aigle noir», la chanson la plus connue de Barbara. Je ne voulais pas tomber dans le piège d’un choix imprégné, je voulais le côté plus intime de la chanteuse et découvrir ou redécouvrir des chansons comme «La solitude» ou «Gare de Lyon». Découvrir cette autre facette de la dame en noir, très fragile et grande amoureuse. Elle avait une belle folie. Fayrouz a apporté un sang nouveau dans la musique arabe. C’était la première fois que l’on voyait une femme peu voir pas souriante, peu aimable, ce qu’on lui a beaucoup reproché. C’est une image, une carapace. Quand on creuse, il y a beaucoup de sensibilité et de fragilité aussi. L’idée du projet était de les rapprocher, de faire croiser ces aspects qu’elles ont en commun mais aussi de mettre en avant leurs différences. Sur certaines chansons, Barbara est crue et cruelle. Comme dans «la solitude» où elle insulte cette femme que lui inspire le sentiment mais peut redevenir une petite fille en chantant l’amour. Fayrouz, plus dans la poésie, la métaphore, a cette voix de l’ange, elle bouleverse les codes de la chanson arabe, classique, elle chuchote, elle se crée un univers propre à elle.
Vous êtes-vous réconciliée avec Barbara ?
Oui ! (Rires). On a eu du mal au début mais on a fini par se réconcilier. Pendant mes années études, ma sœur m’a fait découvrir Barbara. Début 2000, elle était encore vivante mais je n’ai pas du tout accroché, cela ne m’a pas touché. Ça passe par les émotions chez moi, soit je suis touchée ou pas. Et avec Barbara, ça n’est pas passé. J’avais du mal à entrer dans son univers. J’avais besoin de prendre du recul. J’ai fait de la route en l’écoutant pendant des heures. Elle a une façon de chanter propre à elle, c’est une grande interprète. Il fallait donc trouver le moyen de chanter ses chansons à ma façon. Et c’est de cette façon là que j’ai pu m’approprier son univers. Aujourd’hui j’adore Barbara ! Je suis ravie d’avoir réconcilié certaines personnes avec Barbara. J’avais peur de m’attaquer à ce monument, je pensais être beaucoup critiqué. J’ai eu des retours magnifiques, surtout en France. Et cela me touche beaucoup. C’est une grande fierté.
Est-ce que Fayrouz a eu vent du projet ? Et si oui qu’en pense-t-elle ?
Oui apparemment, elle connaît ! J’ai fait deux concerts à Beyrouth dont un pour une association dont la fille de Fayrouz est partie prenante. On lui a remis le disque, on me l’a promis en tout cas. Je ne sais pas si elle l’a reçu ou si elle a aimé…
Y a-t-il d’autres envies de croiser d’autres musiciens ou musiciennes ?
Pour le moment non, je ne veux pas refaire ce que j’ai fait. Il y a un projet qui me tient à cœur, c’est de reprendre les grands chefs-d’œuvre de la chanson française. Les bousculer. J’essaie d’écrire les paroles en arabe moi-même. C’est un grand challenge mais j’adore les défis donc soit ça passe, soit ça casse…