Abdelilah Hifdi : «Les produits agricoles exportés par voie routière vers l’UE, représentent 80% du TIR»
Quel regard portez-vous sur la compétitivité des produits agricoles marocains en relation avec la chaîne logistique installée ?
La compétitivité du tissu productif national est relativement faible par rapport à l’UE, premier client et fournisseur du Maroc. C’est pourquoi, le déficit de la balance commerciale est structurel depuis longtemps. Dans ce contexte, les produits agricoles exportés par voie routière vers l’UE, représentent 80% des origines et des destinations du transport international routier (TIR), qui assure 16% du commerce global du Maroc, tous modes confondus, avec l’Europe. Les fruits et légumes (non transformés industriellement) représentent 75% de ces exportations. En revanche, les importations marocaines par voie routière sont dominées par des produits élaborés et sophistiqués industriels à hauteur de 61%, tandis que les produits de consommation en représentent 9%.
Comment le Maroc peut-il dépasser ses points faibles en termes de TIR ?
Conformément aux propositions de la FTL-CGEM faites au ministère en charge du Transport, le Maroc devrait minimiser puis supprimer les points faibles qui caractérisent le TIR, à savoir, la petite taille des entreprises, le coût des engins du TIR qui se traduit par des charges d’amortissement supérieures à celles de la concurrence de 17% et donc revoir à la baisse le coût d’achat et les taux de dédouanement du matériel et faciliter l’accès des opérateurs au financement bancaire. Il faut aussi redéfinir les conditions d’accès au TIR pour diminuer l’atomisation des entreprises et développer la formation spécifique. Au Maroc, il est nécessaire d’instaurer, à l’instar des pays de l’UE, la notion de gasoil professionnel dont les opérateurs récupèrent la totalité de la taxe intérieure de consommation. L’adoption de l’indice spécifique du gasoil permet la répercussion légale et mécanique de toute variation qui intervient dans le prix du gasoil, sur le prix de transport défini contractuellement entre le transporteur et le donneur d’ordre. Il est aussi proposé le relèvement de la TVA sur le gasoil de 10 à 20% comme dans les pays de l’Europe et sa récupération par les opérateurs du transport routier pour compte d’autrui. En revanche, la redéfinition des conditions d’accès au marché européen est également exigée par la révision des accords bilatéraux de TIR passés avec chacun des pays de l’UE et explorer toutes les possibilités pour les remplacer par un accord unique Maroc-UE. Pour permettre le respect du temps de conduite et les périodes de repos prescrit par le Code de la route, il faut multiplier les aires de repos et les zones logistiques dédiées. Cela permettra d’encourager les entreprises du TIR à migrer au statut de logisticiens pour concurrencer les entreprises européennes dans ce domaine.
Le quota d’autorisations bilatérales de TIR est épuisé. comment ce problème peut-il être résolu ?
Il s’agit des autorisations notamment espagnoles (E) qui s’épuisent rapidement. Il faut rappeler que l’accord bilatéral de TIR entre le Maroc et l’Espagne, à l’instar des autres accords passés avec d’autres pays européens, est basé sur l’égalité des autorisations Marocaines (M) et Espagnoles (E) échangées. Jusqu’il y a quatre ans, cet échange satisfaisait les opérateurs des deux parties à l’Accord jusqu’à la modification de l’article 13 du Protocole d’accord en vertu de laquelle la semi-remorque espagnole est considérée comme marchandise. La FTL-CGEM a demandé, en conséquence, aux pouvoirs publics marocains de dénoncer et remplacer cet accord pour garantir l’équilibre des poids de marchandises échangées et de leurs valeurs respectives. Et qu’en attendant l’adoption de ce nouvel accord équitable, les deux parties suivront l’échange des marchandises périodiquement pour ralentir ou accélérer les flux des parties de manière à préserver cet équilibre. La solution adéquate de ce problème consiste à mettre en œuvre la proposition de la FTL-CGEM.
Le Maroc a reculé à la 86e place, selon l’indice mondial de Performance logistique de 2016. Comment peut-on améliorer ce classement ?
Il faut prendre des mesures immédiates et des actions à moyen et long termes. Dans l’immédiat, il s’agit d’éliminer tous les obstacles qui handicapent le secteur par la refonte des législations et réglementations relatives au transport maritime devenues très obsolètes. Je rappelle à ce propos que le Code de commerce maritime, qui remonte à 1919, continue de constituer le texte fondamental de ce secteur. Malgré ses nombreuses modifications, il reste anachronique et lacunaire. PV d’infraction au Secrétaire général du Protectorat. Aussi, il faut introduire de la flexibilité au niveau des opérateurs pour favoriser notamment le recrutement des gens de la mer.
Et à moyen et long termes ?
Il faudrait mobiliser tous les moyens et potentialités pour le développement du transport maritime par l’amélioration des situations des opérateurs afin d’appuyer l’augmentation des flux d’une part, et d’autre part, la mise en place d’un système performant de gestion des quantités massives par exemple à l’exportation du phosphate et à l’importation des céréales et des hydrocarbures. De surcroît, il faut procéder à la réalisation d’une cale sèche conforme aux normes internationales pour mettre en place une véritable industrie navale avec un système fiscal incitatif et une meilleure visibilité grâce notamment à l’ouverture d’un registre international des opérateurs maritimes. À long terme, à l’horizon 2030, il faudrait promouvoir et consolider les métiers maritimes par le renforcement du réseau des zones franches existantes et la création de nouveaux espaces dédiés, en plus de la construction d’infrastructure de «soutage» (bunkering) et le renforcement de la connectivité à travers des lignes de courte distance. À cet égard, il est important de souligner que sur la base des données comparatives au plan mondial par référence à l’IPL, la connectivité et la facilitation des affaires et au débit portuaire, le contrat-programme entre le gouvernement et le secteur privé signé devant le roi Mohammed VI en avril 2010, constitue une bonne feuille de route pour relever ces défis.
Les contraintes logistiques pénalisent l’accès aux débouchés commerciaux en raison du coût. Quelle est la meilleure formule pour pallier à cette problématique ?
Il faut distinguer deux situations qui se présentent pour l’opérateur du TIR. Lorsqu’il y a un accord de TIR de personnes et de marchandises, on peut prévoir que les opérateurs d’une partie soient exonérés de paiement de taxe d’accès au pays de l’autre partie. Cet accord définit notamment les quotas d’autorisations de deux parties pour préserver l’égalité et l’équilibre des échanges précités. Au cas où il n’existe pas d’accord de TIR entre les deux pays concernés, il est fait application du droit commun qui concerne le traitement de la marchandise et de l’engin de transport qui peuvent être autorisés à entrer au pays de destination de la marchandise moyennant le paiement de taxes (comme au Maroc la taxe à la tonne de PTCA et par jour, la taxe d’importation temporaire, etc.). En général, lorsque les pays concernés échangent régulièrement des marchandises par voie routière, ils ont intérêt à passer un tel accord TIR.
Les produits acheminés par fret aérien ne dépassent pas 5% du volume des exportations. Que faut-il pour augmenter cette part ?
Si le poids du fret aérien représente moins de 5% (en fait 2 à 3% du total du poids des marchandises exportées par le Maroc), sa valeur représente 35% de la valeur totale du commerce extérieur de notre pays, étant donné la valeur élevée des marchandises transportées par voie aérienne. Les composantes électroniques industrielles, du textile de lux et des produits de consommation de grande valeur des produits chers périssables viennent en tête des produits transférés par voie aérienne. Il est en progression annuelle de 6,5% depuis plusieurs années. En effet, après une forte croissance jusqu’en 2007 de 9% par an, le fret aérien a subi une diminution de 5% en 2008 et de 8% en 2009, due à la crise financière mondiale devenue économique en 2008-2009. Étant donné l’importance de la contribution du fret aérien dans les exportations, en termes de valeur, les pouvoirs publics et le management de Royal Air Maroc ont conçu une stratégie et un plan de développement de la logistique aérienne visant l’optimisation des coûts logistiques du fret aérien, notamment en ce qui concerne la ponctualité, la traçabilité et la sécurité qui conditionnent la capacité de desservir les principales régions origines et destinations des flux.
Comment se porte le secteur maritime après sa libéralisation ?
Pour comprendre la mauvaise situation dans laquelle se trouve le secteur maritime au Maroc, il convient de rappeler que ses difficultés ont commencé au milieu des années 2000. En effet, la convention entre le Maroc et l’UE, signée le 23 octobre 2003, prévoyait la réforme du transport maritime accompagnée d’un programme d’appui avec une assistance financière. Cette convention fixait trois objectifs pour le secteur. Outre la redéfinition des conditions d’exercice des activités maritimes et des auxiliaires, elle prévoyait la mise en œuvre d’un contrat-programme entre le gouvernement et l’ex-COMANAV et l’introduction de la concurrence dans les activités de manutention au port de Casablanca qui faisait l’objet d’un monopole dévolu à l’ex-Office d’exploitation des ports (ODEP). Un rapport d’évaluation de cette réforme en 2010 a attesté que la manutention a été libéralisée et l’ODEP, scindé en deux organismes MARSA-MAROC pour la manutention unifiée à bord et au quai et la création de l’Agence nationale des ports (ANP) en tant qu’autorité portuaire. Le contrat-programme précité entre le gouvernement et COMANAV, qui visait notamment le développement du transport par conteneur, a, en fait, porté sur le transport de voyageurs. S’ensuivait le désengagement du gouvernement et la cession de COMANAV à CMA-CGM. À cet égard, une simple circulaire du ministère de tutelle, au lieu d’une loi, a redéfini l’activité maritime. Ainsi, à partir du 1er juillet 2006, tous les navires de commerce sous pavillons étrangers peuvent opérer librement et sans restriction aucune, en provenance et/ou à destination des ports marocains. La flotte marocaine a tenu plus ou moins bon jusqu’à la flambée des prix du pétrole. Or, l’essentiel de la structure des charges était constitué par le coût du fuel. En conséquence, les signaux de détresse commençaient à se faire persistants et les compagnies nationales étaient dans l’incapacité de faire face à la vive concurrence qui sévissait dans un secteur fortement concentré internationalement.
Qu’en est-il du pavillon marocain ?
Aujourd’hui, la résurrection complète du pavillon constitue un grand défi. C’est dans ce cadre qu’une convention portant création d’une nouvelle compagnie Africa Morocco Link (AML), avec un capital privé marocain (BMCE Bank Afrika) et un armateur étranger grec, a été signée en mai 2016. Selon cette convention, la nouvelle compagnie devrait acquérir 9 navires neufs avec une capacité de 1.000 passagers au minimum et 200 à 400 places de voitures automobiles. Le pavillon marocain devrait couvrir sept lignes parmi les destinations les plus fréquentées. Et c’est, en 2017, que ladite compagnie a mis en place un nouveau navire sur la ligne Tanger Med-Algésiras offrant une capacité de 935 passagers et 220 places de voitures automobiles s’ajoutant à son prédécesseur de Diagoras. Le groupe devrait se lancer sur les lignes Nador-Almeria et d’autres lignes à plus long trajet, telle que Tanger Med-Sète. Il convient de constater aussi qu’à l’exception de MARPHOCEAN de l’OCP, les bateaux sous pavillon marocain n’assurent que le cabotage d’un port à l’autre, la traversée du Détroit de Gibraltar ou le trafic de conteneurs. La flotte nationale ne représente que 5% du trafic de passagers et de marchandises. Après la disparition de COMARIT-COMANAV, d’IMTC et de Narvine, seule l’entreprise Inter Shipping exploite des lignes notamment entre d’une part, Tanger Med et Tanger ville et d’autre part, entre Tanger-ville et Tarifa. Les insuffisances relevées au niveau de l’encadrement par des compétences avérées en droit maritime international continuent de constituer l’un des plus grands points faibles du secteur du transport maritime dont la solution est indispensable pour la reconstruction du pavillon marocain qui retrouverait une capacité au moins égale à la moyenne des pavillons internationaux.